L’ar­chi­tec­ture, sup­port fan­tas­ma­go­rique

Dans le cadre de la manifestation Homes, quatorze créateurs sont invités à fabriquer puis mettre en acte l’espace de leurs rêves fous. Du 21 au 23 août à l'espace DémArt à Lausanne

Date de publication
19-08-2015
Revision
22-10-2015

Une résidence de dix jours pour une quinzaine de créateurs de tous bords – designers, architectes, plasticiens, un botaniste et même une taxidermiste – avec l’ambition de faire naître à l’issue de cette période des espaces hors norme sortis tout droit de l’imaginaire de chacun, et mis ensuite en acte lors de performances publiques. C’est en substance le propos de la manifestation lausannoise Homes, mise sur pied par Giona Bierens de Haan, membre fondateur du Repaire Fantastique (lire encadré ci-dessous)

L’espace DémArt, sis à l’intersection de l’esplanade de Montbenon, du quartier raté du Flon et de celui de Sébeillon, est ainsi mis à la disposition des quatorze créateurs invités pendant près de deux semaines, sans compartimentage préalable du lieu. Les parcelles sont définies une fois que tous sont entrés en résidence et selon les envies, chacun prenant soin d’apporter sa matière première – photos, posters, musique, plantes, circuits électroniques, moulages, textiles... –, mêlée ensuite in situ à des matériaux de construction. Chacun des créateurs, avec ses compétences particulières et les matières et matériaux dont il est familier, mais aussi en tenant compte des contraintes architecturales du lieu, façonne ainsi un univers onirique propre. 

La manifestation collective, porte pourtant l’empreinte du travail de Giona Bierens de Haan, au travers de deux thèmes qu’il exploite de manière récurrente – le bestiaire architectural et, comme le nom de la manifestation l’indique, la maison – et qu’il a évoqués auprès des artistes résidents. Le texte de présentation de la manifestation met en exergue les liens tissés entre ces deux motifs :

« You can’t go home again. Si l’on en croit le titre1, une fois quittée, la maison n’est plus. Jamais plus on ne revient à la maison, jamais plus on n’habite chez soi comme on a pu le faire jadis, dans son enfance. Aussitôt la première maison abandonnée, la voici devenue un souvenir, tantôt refuge, tantôt repoussoir. La maison invisible continue pourtant de hanter celui qui en est parti. Souvent, elle lui reviendra à l’esprit, s’introduira dans ses pensées, à moins qu’elle ne se glisse sous sa plume. Elle mêlera un peu de sa lumière à ses créations, et ne lui épargnera pas les désillusions.

[L’auteur du texte raconte ensuite trois fables célèbres, qui mettent toutes en scène des personnages évoquant des animaux qu’ils n’ont pourtant jamais vus : la parabole bouddhiste des aveugles décrivant chacun une partie d’un éléphant qu’ils ont touché, l’histoire des trois princes de Serendip qui aident un chamelier à retrouver son chameau sur la seule base de traces laissées par le passage de l’animal, et enfin celle d’un rhinocéros – cadeau diplomatique arrivé d’Inde au Portugal – dessiné par Albrecht Dürer au moyen de textes écrits par d’autres qui, eux, ont vu l’animal.]

Trois animaux, donc. Trois animaux qui ne sont jamais vus par ceux qui les décrivent. S’ils ne sont pas vus, ils sont tout du moins désirés. L’imagination supplée à leur absence – et peu importe que la description se rattache au tangible de la bête. Moins on voit, mieux on développe la forme en soi. Trois animaux qui écartent ceux qui les rêvent de leur chemin – chemin qui n’est pas boucle mais spirale : après eux, la maison n’est plus la même. You can’t go home again. En fait, il se pourrait bien que la maison soit l’animal que l’on n’a jamais vu. Elle lui ressemblerait tout à fait : invisible, imaginée, reconstruite par les mouvements croisés de l’induction et de la déduction, recréée à défaut d’être créée – pas plus qu’on ne peut la regagner, on ne saurait créer une maison : on ne fait qu’évoquer le fantôme de tant d’autres qui la précèdent, tant d’images enveloppant le plan de celle qui vient de voir le jour. Le divers, l’unité en fragment, l’infini puzzle du corps morcelé, ce divers s’assemble dans l’animal. Il a pour nom chimère, licorne, griffon ou basilic. L’éléphant, le rhinocéros ou le chameau n’en sont que des développements ou des démonstrations rassurantes. La maison est éléphant, certainement : autant de pièces indépendantes, autant de parties aveugles, organes isolés s’unissant en un tout. Elle doit même être chameau : secret et voyageur, dont on peut s’appliquer à suivre l’empreinte imaginaire. Mais elle est aussi rhinocéros, car absolument réelle, longtemps rêve, puis soudaine découverte merveilleuse. La maison ne s’écrit qu’au pluriel. »2 

Chaque construction particulière fabriquée pendant ces quelques jours est ensuite mise en acte et présentée au public lors de performances – c’est d’ailleurs la seule véritable contrainte imposée aux artistes : construire, pendant ce temps de résidence, un espace d’action pour une ou plusieurs personnes, avec précisément la perspective de l’investir au moyen d’une performance. Chaque installation sera animée par son créateur selon un horaire précis, durant un week-end. L’exposition est ainsi révélée au compte-gouttes. 

Homes, qui convoque l’imaginaire et les spécificités des artistes résidents, puis du public, est l’occasion de mettre en exergue un aspect non utilitaire de l’architecture, ici ludique et artisanale, qui fonctionne comme medium ou support aux fantasmagories.

 

Notes

1. C’est celui d’un roman de l’écrivain américain Thomas Wolfe, publié à titre posthume en 1940, dans lequel le protagoniste, jeune écrivain talentueux, entreprend de décrire sa ville natale de manière autofictionnelle. 
2. HOMES – Rhinocéros, éléphant et chameau, texte de présentation pour la manifestation Homes, écrit par Julien Zanetta, docteur en langue et littérature françaises modernes à l’Université de Genève.

 

Homes

21 et 22 août de 17h à 00 h 00, 23 août de 14 h à 18 h , DémArt + Datcha, Côtes de Montbenon 17, 1003 Lausanne.
Avec : Lawrence Breitling, construction ; Laurent Chassot, construction ; Adrien Cochard, imprimerie ; Ariel Curtelin, construction ; Surya David White, design ; Alexandre Devaud, tatouage ; Vincent Goldschmid, botanique ; Yann Gross, photographie ; Malak Mebkhout, design ; Simon Pillet, construction ; Isaie Reuling, musique ; Nathanael Reuling, graphisme ; -Vanessa Schindler, design textile ; Jeanne Wéry, taxidermie.

 

Le Repaire Fantastique

Le Repaire Fantastique est une structure de travail basée à Lausanne et fondée en 2012 par Giona Bierens de Haan, Laurent Chassot et Simon Pillet, tous architectes issus de l’EPFL. Intégrant des architectes et des plasticiens, elle pratique l’exploration, la recherche et la communication au travers de l’art, du design et de l’architecture. Giona -Bierens de Haan, pivot du Repaire Fantastique, s’intéresse aux structures libérées de leur rôle d’architectures conventionnelles et utilitaires. Il explore le monde du rêve par le truchement d’installations surréalistes, exposées notamment au centre Dürrenmatt de Neuchâtel, au Grand Palais de Berne, au Kunstmuseum de Thoune ou encore à la Villa Bernasconi de Genève. Dans le domaine de l’enseignement, il a aussi participé à des ateliers menés à la HEAD.
www.lerepairefantastique.ch

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