Là où pous­saient les noix

Hella à New York

Face à la pointe sud de Manhattan, Governors Island était autrefois le fief des militaires. Aujourd'hui, elle offre un panachage réussi d’espaces libres et d’aménagements paysagers informels – un petit secret qui vaut le détour.

Date de publication
05-07-2022

Le temps est encore venteux et pluvieux, mais tout le monde parle déjà des caniculaires étés new-yorkais, qu’il faut fuir à tout prix – donc je commence à prospecter. De la pointe sud de Manhattan, un ferry amène en dix minutes sur Governors Island, une île originellement exploitée par les Indiens Lenape pour la récolte des noix et la pêche. Réservée aux militaires après la colonisation, puis aux garde-côtes jusqu’en 1996, elle a longtemps été fermée au public. Elle ne figure donc pas sur le plan de ville intériorisé par nombre de personnes.

Suivre notre série estivale «Hella à New York». Au coup par coup et durant trois mois, Hella Schindel, rédactrice à espazium, nous fera part de ses trouvailles au cœur de la Grosse Pomme.

Depuis 2010, un trust de la Ville de New York gère une grande partie de ses 70 hectares, le reste faisant partie des monuments nationaux. Les idées d’affectation allaient d’un casino à un aéroport, deux projets qui ont heureusement pu être rejetés. Mais les controverses quant aux aspirations et aux impératifs en jeu sont encore loin d’être aplanies.

Autour du fort historique, la partie nord de l’île est occupée par une soixantaine de maisons en brique, qui ont d’abord abrité les militaires, puis les familles des garde-côtes. La plupart sont aujourd’hui inoccupées. Seule une rangée accueille une highschool, précédemment située à Bushwick jusqu’en 2010. Et cette année verra l’ouverture d’un spa grand luxe, dont les exploitants ont apparemment mis assez d’argent sur la table pour s’assurer la location du bâtiment durant les cent prochaines années.

Quelques fondations et des mécènes offrent des bourses et des ateliers aux artistes dans les bâtisses en briques et investissent dans la rénovation et les infrastructures. Le Lower Manhattan Culture Council (LMCC), également financé par des dons et gratuitement ouvert au public, anime une grande maison jouxtant le ponton du ferry. Durant les mois d’été, les artistes du milieu de la danse et des arts résidant à New York peuvent y briguer de simples ateliers offrant une vue unique sur Manhattan et y monter également des expositions. L’organisme s’efforce de créer des liens entre les participant∙e·s, ainsi qu’avec les autres personnes visitant l’île. L’accent est mis sur la mise en réseau de thématiques favorisant une économie circulaire et la gestion durable du lieu.

Aménagements informels

A côté de cette aire – oscillant entre les ruines et un nombre encore agréablement limité d’espaces libres dévolus à des activités artistiques – la partie sud de l’île a été nouvellement lotie. A l’issue d’un concours d’aménagement, remporté en 2018 par le bureau néerlandais West8, un magnifique parc paysagé y a vu le jour sur quatre collines constituées de déchets de construction locaux. Des projets de jardinage et de compostage en intègrent l’exploitation aux objectifs environnementaux de l’île et créent des emplois. On peut faire le tour du parc ou en arpenter la topographie au gré de chemins méandreux. Selon l’azimut, des vues s’ouvrent sur la silhouette urbaine, sur le port ou sur Red Hook, quartier de Brooklyn distant de seulement 400 m, dans une zone reliée à l’île par son propre ferry, qui focalise actuellement tous les regards. De la plus haute colline, on se retrouve quasi en tête à tête avec la statue de la Liberté – enfin presque.

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Le bourdonnement incessant des hélicoptères est souligné par les vols d’oiseaux, qui se plaisent visiblement ici, sur terre et sur l’eau. Des bancs pour le pique-nique, des sièges transportables et des hamacs offrent une variété d’environnements de travail ou de détente à l’ombre de saules, qui ondulent sans cesse dans l’omniprésente brise marine. Il faut toutefois se garder d’oublier que le dernier ferry quitte l’île vers 18 heures. Si l’on souhaite s’attarder, le glamping propose un luxueux hébergement sous tente et l’on peut s’asseoir près d’un petit feu pour voir les lumières de la ville illuminer le ciel. C’est un miracle que l’île soit encore à ce point méconnue. Pour ma part, j’attends l’été de pied ferme.

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