«La géo­ther­mie pro­fonde est dans une phase pi­lote»

Après la suspension du forage à Lavey-les-Bains, quelles sont les perspectives du projet lui-même et de la géothermie profonde en Suisse? Entretien avec Benoît Valley, professeur de géothermie et de géomécanique des réservoirs au Centre d'hydrogéologie et de géothermie de l'Université de Neuchâtel.

Date de publication
03-10-2022

Espazium: Monsieur Valley, après l'arrêt définitif des projets de Bâle et de St-Gall, la géothermie profonde suisse semble connaître un nouveau revers à Lavey-les-Bains (Lire l'article: La­vey-les-Bains: l'eau n'est pas au ren­dez-vous). A quel point peut-on considérer cette suspension comme un échec?
Benoît Valley: D'un point de vue purement productif, on peut en effet parler d'échec. Mais le projet de Lavey est pionnier :il s'intéresse à la géothermie alpine profonde, en allant chercher les circulations hydrothermales très bas dans le socle cristallin. Il s'agit d'une première en Suisse. Une fois analysées, les données collectées permettront d'engranger de précieuses connaissances thermales et structurales sur la zone hydrothermale de Lavey, mais aussi des enseignements sur les techniques de forage profond dans les roches cristallines. Ceci devrait augmenter la probabilité de succès de projets similaires.

Quel est le taux d'échecs dans les projets de géothermie profonde?
C'est une question complexe, surtout lorsqu'elle touche un projet exploratoire tel que celui-ci. Si l’on prend les projets hydrothermaux développés en Suisse depuis le début des années 1980, seul un environ un tiers est productif. L’échantillon statistique est limité et chaque projet a ses spécificités, mais cela montre bien que l'éventualité d'un puits sec ou pas assez productif fait partie du jeu. La probabilité de succès dépend aussi des techniques mise en œuvre. A Lavey, le projet est purement hydrothermal: on fore profond pour trouver des circulations naturelles, à côté desquelles on peut aisément passer. On peut - on doit même - s'attendre à des échecs. De l’autre côté du spectre, il y a des projets comme celui de Haute-Sorne (JU), on l'on cherche à créer des circulations artificielles par stimulation des massifs rocheux - on y est donc moins dépendant des circulations naturelles.

Serait-il possible de recourir à la fracturation hydraulique à Lavey?
Non. Tout d'abord, d'un point de vue légal, le Canton de Vaud a décrété un moratoire sur cette technologie. Ensuite, on ne peut pas s’engager dans ce type d’opération sans une évaluation détaillées des conditions géomécaniques du réservoir et du risque sismique.  Lavey se situant dans une région où l’aléa sismique est relativement élevé, le contexte n'est pas vraiment favorable au déploiement de cette technologie..

Comment a-t-on déterminé la zone cible du forage de Lavey?
Les sources de Lavey, les plus chaudes de Suisse, sont connues de longue date. Nous sommes donc dans un contexte géothermique favorable. Pour ce qui est de la zone cible proprement dite, sa profondeur est déterminée par rapport à la température recherchée, 110°C dans le cas présent, et au gradient géothermique. Les techniques géophysiques classiques, telle que la sismique réflexion, ne fonctionnent pas bien dans le socle cristallin et ne permettent pas d'imager ces circulations profondes.

La déviation du forage se fait donc en fonction des connaissances géologiques de surface relatives aux grandes structures conductrices. Mais elles sont difficilement extrapolables à 3 km de profondeur. On oriente alors le forage en fonction des observations et analyses faites sur les parois du puits au fur et à mesure de la descente. Le puits ne faisant 20 cm de diamètre, on peut facilement passer très près d'une zone productive sans toutefois l'atteindre.

Imaginez-vous qu'il soit tout de même possible d’exploiter le forage de Lavey?
Pour cela, il faudrait réussir à connecter le puit aux circulations naturelles. Divers techniques sont envisageable, notamment la réalisation de nouvelles sections de forage à partir du puits existant pour aller chercher la connectivité dans d’autres directions, mais ceci est couteux. Une alternative consiste à y placer une sonde coaxiale profonde pour récupérer de la chaleur par conduction. Un tel plan B a été mis en œuvre à Triemli, dans le canton de Zurich. Mais cela nécessite également des investissements supplémentaires, à mettre en perspective avec une production énergétique bien plus faible que celle escompté au départ.

Lorsque l'on parle de géothermie profonde, on fait souvent référence au Bassin parisien, où les projets de ce type sont monnaie courante. Peut-on tirer des parallèles avec Lavey?
Pas vraiment, car les contextes sont radicalement différents. Les roches du Bassin parisien sont de type sédimentaire, les faciès cibles sont poreux et perméables. Alors qu'à Lavey, on vise des fractures dans des roches cristallines, un milieu beaucoup plus hétérogène et moins prédictible. De plus le sous-sol parisien est beaucoup mieux caractérisé que celui de la Suisse, notamment en raison de la grande densité de forages déja réalisés.

Après l'échec de Lavey, quelles sont les perspectives pour la géothermie profonde en Suisse?
Contrairement à Bâle ou à St-Gall, où il a fallu à chaque fois plusieurs années pour redémarrer un projet, un autre prend immédiatement le relais de Lavey à Vinzel, au pied du Jura vaudois. Une dynamique semble s'être engagée. Mais il faut accepter qu'une partie des forages ne produiront rien et ne pas s'arrêter sur ces échecs. Il y a à cet égard un important effort de communication à faire: malgré son potentiel immense, la géothermie profonde en Suisse est dans une phase pilote, elle ne marchera pas toujours du premier coup!

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