Globes: de l'incommensurable au mesurable, et inversement
Une exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris qui permet de comprendre comment, au fil du temps, les visions de l’homme sur son environnement furent de magnifiques terrains de jeu pour explorer, comprendre, mesurer et dessiner les contours les plus inimaginables de notre univers.
A ceux, nombreux aux Etats-Unis, qui pensent encore que la terre est plate, une visite de l’exposition Globes. Architecture et sciences explorent le monde, à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris, ferait du bien. Ils y découvriraient l’ancrage et la prégnance des théories héliocentriques dans la culture.
L’exposition parisienne, orchestrée par l’architecte Yann Rocher, permet de comprendre comment, au fil du temps, les visions de l’homme sur son environnement – terre, ciel, soleil, sphère céleste, etc. – furent de magnifiques terrains de jeu pour explorer, comprendre, mesurer et dessiner les contours les plus inimaginables de notre univers.
Enseignant-chercheur à l’Ecole d’architecture Paris-Malaquais, Yann Rocher nous avait régalé avec l’exposition Théâtres en utopie, au Lieu Unique à Nantes, à laquelle Tracés avait consacré un hors-série, en octobre 2014. A sa lecture, on comprend pourquoi son auteur a décidé d’isoler une des formes élémentaires usitées par les architectes des théâtres utopistes – la sphère – et d’en proposer une exposition monographique. Parmi les projets de théâtres repris à la Cité, notons celui du pavillon de l’Allemagne de l’Ouest pour l’Exposition universelle d’Osaka (1970) de Karlheinz Stockhausen, avec Fritz Bornemann (architecte) et Fritz Winckel (acousticien). L’auditorium et ses jardins musicaux exprimaient la pensée du compositeur allemand autour de la notion de musique spatialisée dont l’un des objectifs était de transformer l’architecture en un simple dispositif de sons, de lumières et, littéralement, de faire flotter les auditeurs dans une musique cosmique. L’ingénieur Max Mengeringhausen tenta de dématérialiser au maximum une sphère géodésique afin de valoriser la constellation de lampes et d’enceintes en suspension sous la voûte. Il aura essayé de réaliser cette belle idée où le son devient l’architecture même. Hélas, pour des raisons techniques, une enveloppe fut mise sur la structure triangulée ayant pour conséquence de lui donner un aspect solide et opaque. Qu’à cela ne tienne, avec son Kugelauditorium, Stockhausen ouvrit une brèche dans sa Voie lactée!
«Les effets géostratégiques»
Un autre classique en matière de sphère géodésique vient conclure le quinzième îlot thématique et historique de Globes, «Les effets géostratégiques»: le fameux US Pavilion de Richard Buckminster Fuller, construit pour l’Exposition universelle de Montréal (1967). Exercice de style pour cet inventeur, le dôme en treillis installé sur l’île Sainte-Hélène se voulait une représentation totalisante, englobante, du pouvoir des Etats-Unis. Aujourd’hui rebaptisée Biosphère, son usage se rapproche davantage des idées écologiques du vieux Bucky.
Avant cette grande période américaine d’après-guerre, les dictatures modernes n’ont pas été en reste. L’URSS, au premier rang, imagina un Monument lumineux à Lénine (1926), renommé plus tard Monument lumineux de la Révolution (1927) sous la houlette de Grigory Gidoni et Naum Mogilevski1. Mise en scène d’un dessin lisible par la masse prolétarienne, une faucille sert d’escalier et englobe une sphère surmontée d’une statue de Lénine, le tout adossé à un marteau. L’échelle est monumentale car 2000 personnes devaient prendre place autour d’une scène accessible sous le globe. Hélas, comme tant d’autres, Gidoni eu la malchance de goûter aux purges staliniennes et ne put élever son colosse.
A cet égard, une constance règne dans cette exposition aux accents de cabinet de curiosité. Très peu de globes eurent en effet la chance de dépasser l’étape de la partition. De magnifiques dessins, peintures et autres photomontages ornent les pupitres tout le long de cet espèce d’espace sidéral noir où seuls s’illuminent les 90 projets de sphères allant de l’Antiquité à notre futur proche et lointain. Dans l’approche science-fiction et un peu folle, un architecte-artiste suisse, Christian Waldvogel, domicilié à Austin (TX – USA), a créé Globus Cassus (2002-2009). Sa problématique: comment résoudre en un seul mouvement les questions de la surpopulation terrestre et du dérèglement climatique? Son hypothèse serait d’aspirer la matière terre (intérieure et extérieure) pour la redéployer autour de quatre satellites et d’une structure les reliant. Ainsi les humains pourraient entièrement dépasser leur statut «naturel» pour se réorganiser dans un environnement totalement maîtrisé, au-delà de la période «anthropocène» et ouvrant celle d’une «ingénierie globale» assumée. Pourquoi pas!
Note
1. Lire à ce propos l’essai de Jean-Louis Cohen «La terre cabrée: les globes de l’avant-garde russe », pp. 230-237, dans Globes – Architecture et sciences explorent le monde, aux éditions Norma, co-édité par la Cité. Encore une fois le catalogue vaut l’exposition même si rien ne remplace la visite, ne serait-ce que pour les quelques originaux exposés.
Informations
Globes. Architecture & sciences explorent le monde
Jusqu’au 26 mars 2018
Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris