Étu­dier les fuites de CO2 au la­bo­ra­toire sou­ter­rain du Mont Terri

À 300 m sous le sommet du Mont Terri, des chercheurs étudient in situ le comportement du CO2 dans une roche barrière afin de comprendre au mieux les phénomènes qui pourraient mener à une fuite dans l'atmosphère.

Date de publication
04-12-2020

Au nord du village de St-Ursanne, l’auto­route A16 de la Transjurane traverse le Mont Terri et son anticlinal au moyen d’un tunnel, que longe une galerie de secours. 300 mètres sous terre, elle abrite le laboratoire souterrain du Mont Terri, géré aujourd’hui par le Service géologique national, rattaché à swisstopo. Depuis le milieu des années 1990, des scientifiques du monde entier y étudient la question du stockage des déchets nucléaires les plus radioactifs.

Le cœur du Mont Terri est constitué d’une roche argileuse particulièrement intéressante: l’argile à Opalinus1. Elle est très imperméable et les circulations de fluides y sont d’autant plus restreintes que la roche cicatrise naturellement les fissures qui pourraient s’y créer: l’eau fait en effet gonfler les minéraux argileux, scellant à nouveau la masse rocheuse. Ces caractéristiques en feraient donc un matériau particulièrement adapté pour accueillir un dépôt définitif de déchets radioactifs en couches géologiques profondes, dont il constituerait la barrière naturelle2. Du fait de ces recherches, l’argile à Opalinus est l’une des roches les mieux caractérisées au monde.

Les propriétés de cette argile en feraient également une couverture idéale pour piéger du CO2 dans le sous-sol. Cette thématique est donc venue compléter les projets de recherche qui émaillent les 1200 mètres de galeries du laboratoire. Christophe Nussbaum, géologue chez swisstopo et responsable du projet Mont Terri, précise les enjeux de ces travaux: «Nous étudions ici les risques potentiels de fuite du CO2 au travers de cette formation rocheuse, que ce soit au niveau d’une faille ou d’un ancien forage mal colmaté. Nous ne sommes malheureusement pas assez profonds pour atteindre le seuil de supercriticité du CO2, mais nous avons l’avantage de pouvoir analyser les phénomènes in situ, sur un important volume de roche très représentatif de la réalité. Pour étudier leur comportement dans des conditions de pression et de température plus importantes, nous faisons parvenir des carottes à des groupes de recherche comme celui de Lyesse Laloui à l’EPFL, qui peuvent étudier le comportement de l’argile à Opalinus soumise à du CO2 supercritique à l’échelle du nanomètre, en ayant notamment recours à la tomographie, une technologie qui permet de voir en 3D à l’intérieur d’un matériau.»

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Le laboratoire souterrain du Mont Terri réalise deux catégories d’expériences sur le CO2. La première permet d’étudier le comportement d’un forage mal colmaté qui traverserait la roche de couverture. Les premiers résultats montrent que si le dioxyde de carbone peut se frayer un chemin vers la surface dans un premier temps, sa minéralisation colmate ensuite rapidement et efficacement le puits.

Sous la direction de l’EPFZ et du Service sismologique suisse, la seconde expérience a pour cadre une zone de faille qui parcourt le massif et traverse tout le laboratoire. Du CO2, dissous dans une saumure aux propriétés chimiques identiques à celles de l’eau porale, est injecté dans le cœur et dans les épontes de cette faille. L’échantillonnage de fluides, dans un forage voisin distant de 1.5 m, permet de déterminer si le CO2 peut migrer le long de la zone de faille et, le cas échéant, par quels chemins. «Même si les argiles sont sèches en apparence, elles contiennent un important volume d’eau fossile salée, piégée dans les nanopores de l’argile, explique, Christophe Nussbaum. Cette eau contient également du CO2 dissous. Afin de pouvoir les distinguer, le CO2 que nous injectons possède une signature ­isotopique différente.» Comme l’argile du Mont Terri possède les propriétés d’une roche barrière, y injecter du CO2 n’est pas tâche aisée. Plus d’une année aura été nécessaire pour 300 grammes. Mais cette faible quantité a déjà permis des observations intéressantes et ouvert des questions. Si du CO2 est en effet parvenu à passer à travers la zone de faille, il n’a pas suivi le plan de cette dernière mais une trajectoire presque perpendiculaire. Reste à comprendre pourquoi. Cette expérience permet également de déterminer si la migration du CO2 dans la faille est susceptible de provoquer de la microsismicité.

 

Notes

 

1. Sur le plan minéralogique, l’argile à Opalinus se compose de 40 à 80% de minéraux argileux, 10 à 15% de quartz, 5 à 40% de calcite, auxquels s’ajoutent de faibles proportions de sidérite, de pyrite et de carbone organique. On distingue dans le laboratoire trois types d’argile à Opalinus, affichant tous des teneurs différentes en minéraux argileux, quartz et calcite. Ils sont le résultat de conditions de sédimentation (profondeur du milieu marin et sens du courant) fluctuantes, dans une mer affichant une profondeur comprise entre 20 et 50 mètres. Sur le plan stratigraphique, l’argile à Opalinus repose sur les couches calcaires de la formation de Staffelegg et est recouverte par la formation du Passwang. Au laboratoire du Mont Terri, la couche d’argile à Opalinus a aujourd’hui environ 130 mètres d’épaisseur. Sa période de sédimentation a duré près de 400 000 ans.

2. Le Mont Terri n’accueillera pas de dépôt de ce type. La Nagra a déterminé trois sites potentiels situés dans les cantons d’Argovie et de Zurich.

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