Der Vo­gel ist auf dem Dach

La chronique critique de Pierre Frey

L'historien de l'architecture PIerre Frey réagit au dossier sur la construction en terre du TRACÉS 2016/17

Date de publication
29-09-2016
Revision
29-09-2016

Dans son ouvrage L’âge du plip, l’historien des techniques Bruno Jacomy développe la notion d’impasse technologique. Il entend par là la situation de ces techniques par lesquelles on est contraint d’en passer faute de mieux et dont on subit, quelques fois longuement, les inconvénients. Son exemple clef est l’assemblage des tôles par rivetage, dont il détaille les limites et les contraintes. L’automation est très difficile, restreinte par la portée des cols de cygne des machines à riveter, la mise en œuvre est un calvaire pour les ouvriers, au point qu’on nommait au 19e siècle la surdité, la « maladie des chaudronniers » et l’étanchéité est très difficile à obtenir. Ces inconvénients sont sans solution, c’est-à-dire qu’ils sont d’une nature telle que les améliorations incrémentales qui font évoluer les techniques y sont impossibles. La conséquence logique d’une telle situation, c’est l’abandon de techniques qui, d’une manière ou d’une autre, sont dans cet état d’impasse. Lorsqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, le brevet suédois Kjellberg a permis la soudure électrique foraine grâce à l’enrobage des baguettes, le rivet a disparu en un laps de temps très court. L’industrie navale allemande, la première, s’est ruée dans la brèche, la soudure permettant de blinder les unités sans dépasser les tonnages maximum imposés par le traité de Versailles, le génie civil fut bientôt gagné à la soudure électrique sur le chantier et la technique du rivetage s’est trouvée marginalisée à jamais.

Ce sont les pensées qu’a stimulé en nous la lecture du numéro 2016/17 de la revue Tracés qui s’emploie à établir une sorte d’état des lieux de la construction en terre et qui malgré l’effort, peine à convaincre, et c’est peu dire. Ariane Wilson, qui avait pourtant publié dans le numéro 13 de la revue criticat en 2014 une contribution prometteuse orientée vers les causes récurrentes qui firent barrage ces quarante dernières années à l’essor de la construction en pisé, s’égare dans des considérations idéologiques. Celles-là même qui ont fait déraper bien des débats du congrès TERRA 2016 à Lyon. D’une part, il est clair pour tout le monde que la mise en œuvre correcte du pisé repose sur des savoir-faire locaux, empiriques, déterminés principalement par la qualité des terres propres à être mises en œuvre et au PH de l’eau de gâchage. Les précisions chimiques et physiques qu’une recherche récente ont posées ne changent rien à l’affaire. Ensuite, c’est un fait établi que le pisé exige un énorme effort en travail humain. Les tentatives de mise en œuvre mécanisée, comme celle de Martin Rausch pour le bureau Herzog & de Meuron sur le chantier de Ricola VI, sont destinées à rester exceptionnelles et n’occuperont jamais qu’un marché ultra-spécialisé. Cela n’enlève du reste rien à leur intérêt. Ces problèmes convergents, insurmontables, rétifs aux améliorations incrémentales, font du pisé, irrévocablement une impasse technologique.

Dans les systèmes vernaculaires, où le travail possède un statut inconnu chez nous, ou alors relève quelques fois carrément de l’esclavage, ces techniques restent possibles, pour autant que les savoir-faire ne soient pas perdus ou qu’ils soient réacclimatés de manière expérimentale. Des conjonctures particulières, des crédits au développement par exemple, ont permis de fantastiques réalisations. Nous pensons aux constructions de Fabrizio Carola, d’Anna Heringer ou de Francis Kéré, qui ne sont pas devenues pour rien des icônes mondiales. Elles ont revêtu ce statut par le mécanisme des publications, des prix et des conférences, en raison précisément, de leurs qualités exceptionnelles, de leur rareté absolue. Leur héroïsme procure au matériau pisé et aux constructions en adobe une audience sans proportion avec la réalité de terrain, là où des populations dans le dénuement, la pauvreté ou l’exil, par force, doivent construire leurs abris pour elles-mêmes.

Les laboratoires scientifiques spécialisés dans la recherche sur la terre ont déployé sans le vouloir un curieux paradoxe ; stimulés par des mandats octroyés par l’industrie du ciment, ils sont devenus le creuset où se sont forgées des connaissances nouvelles qui semblent bien être de nature à redonner à la terre une nouvelle place comme matériau de construction. Il y eut tout d’abord les travaux sur l’empilement compact des sphères et leur application aux agrégats (mortiers, bétons etc.). Ces mandats de recherche confiés à CRAterre ont véritablement fait décoller la recherche. Il y eut ensuite les travaux sur l’agencement des plaquettes d’argile selon les PH de l’eau et les percées qui permettent la valorisation des fines argilo-calcaires et qui ouvrent la voie au développement de bétons de terre hautement performants. Ce sont en particulier les travaux de Guillaume Habert à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. La portée de ces travaux est telle qu’il est permis de penser à une véritable rupture de paradigme dans les techniques de construction en terre. Ils se situent dans la veine des biomimétismes et sont de nature à permettre à notre espèce d’espérer un jour faire aussi bien qu’un simple moineau. Car enfin, la coquille de son œuf est faite, tout bien considéré, d’un béton à très haute résistance dont les liants sont obtenus à basse température. 

Curieusement, au lieu de la sérénité de la controverse scientifique et de l’enthousiasme du partage permis par la rencontre de pratiques empiriques, vernaculaires et de la recherche académique moderne, on assiste à une polémique de nature idéologique. Nous n’ignorons pas que les débats techniques recèlent un haut niveau d’intrication avec des problématiques économiques et sociales, encore faut-il véritablement en maîtriser les termes. Les invectives, les déclarations et les incantations contre les marchands qui profaneraient le temple des pratiques vernaculaires correspondent à des postures qu’ont adoptées celles et ceux qui ont choisi d’ignorer les développements scientifiques évoqués ici. En dernier ressort, elles reviennent à confiner la construction en terre dans une pratique marginale, élitiste, pour le seul profit de celles et ceux qui contrôlent ce marché de niche et dont on étale avec complaisance de véritables publireportages.

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