Too big to fail: con­cours du centre spor­tif des Cher­pines

Qu’il soit sportif, commercial ou universitaire, qu’importe, l’architecture du «centre» doit être générique, alléchante et flexible afin de s’adapter aux futurs investisseurs. Ou comment le concours sert d’abord à fournir l’image catalysatrice de méga-projets.

Date de publication
12-11-2024

À quelques semaines d’intervalle, le résultat des mandats d’étude parallèles (MEP) pour le centre sportif des Cherpines (GE), et la mise à l’enquête du plan localisé du quartier (PLQ les Cherpines) où se situe le projet ont été rendus publics. À la seule vue des noms des équipes retenues – comme BIG et Zaha Hadid, figures de la «starchitecture» des années 2000/2010 – un certain scepticisme s’installe. On s’interroge aussi sur la bizarrerie qui consiste à publier le résultat d’un concours avant que PLQ concerné n’entre en vigueur… d’autant que le projet est partiellement implanté sur un autre PLQ (Le Rolliet). Surtout, on se demande à qui exactement est destinée cette infrastructure estimée à 250 millions de francs et comment elle est financée.

Le futur centre sportif (financé par des fonds publics), prévu sur 3.5 ha, s’inscrit dans un vaste projet de développement urbain public-privé situé à cheval sur les communes de Confignon et de Plan-les-Ouates qui promet à terme plus de 3800 logements et la création de 2500 emplois. Portés par la commune de Plan-les-Ouates, les MEP ont permis la production d’images chatoyantes et ambitieuses, dont certaines laissent planer un doute: centre sportif ou centre commercial? L’architecture des méga-projets peut-elle répondre uniformément à différents programmes? S’il est évident que le projet lauréat de Marc Mimram Architecture & Associés et collinfontaine architectes est celui qui s’intègre le mieux au contexte genevois, ce n’est pas tant le résultat du concours qui interroge que l’opportunisme de ce type de procédure internationale.

L’objet du concours

Dès les premières études en vue de l’élaboration du plan directeur de quartier (PDQ), le centre sportif est intégré dans une des «cases» du futur quartier des Cherpines – un quadrillage hérité de l’ancienne trame agricole. Dans le prolongement du centre sportif existant, le projet couvre un large éventail d’activités sportives et, dans une moindre mesure, culturelles : piscine de 50 m, patinoire de 30 × 60 m, salle polyvalente de 1200 places, fitness, centre d’hébergement, centre de raquettes (plus d’une quinzaine de courts), etc. Du point de vue architectural, il a été demandé aux concurrents d’imaginer un «symbole du quartier avec une expressivité claire».

Pour voir les résultats et le rapport du jury, rendez-vous sur competitons.espazium.ch

En plus d’une programmation conséquente et gourmande en surface, le centre sportif a pour objectif de relier les divers projets connexes du quartier. Sur l’axe est-ouest, il constituera une étape entre le secteur résidentiel du Rolliet, actuellement en construction, et celui des Cherpines, dont l’adoption du PLQ est prévue en 2025. Entre la route de Base et l’Aire, il articulera une zone industrielle (ZIPLO), un futur parc des sports, et le tracé du nouveau tramway, qui divise le périmètre en deux parties inégales par une diagonale. Telle une clé de voûte du projet urbain, il est conçu à la fois comme centralité de cette future «ville du quart d’heure» et comme un facteur d’attractivité à l’échelle intercommunale, voire cantonale ; une fonction qui était celle des centres commerciaux il y a quelques décennies.

La procédure

La vision globale d’un quartier unitaire et autonome sis sur deux communes est confrontée à leur engagement différentiel, perceptible dans l’élaboration des MEP1. Bien que le concours pour le centre sportif se déroule sur la commune de Plan-les-Ouates, qui en est maître d’ouvrage, la programmation prend explicitement en compte les besoins de Confignon. Il est donc surprenant qu’une seule personne, sans droit de vote, représente cette commune dans le jury du concours. Plus encore, si le dialogue compétitif concernant une infrastructure d’une telle ampleur aurait pu, ou dû, inclure Confignon, un autre acteur est absent de la procédure: le groupement GD Cherpines SA, impliqué dans la réalisation et le financement du quartier et qui en regroupe deux tiers des propriétaires2. Ce manque de représentativité des parties risque d’entraîner à terme une évolution de la programmation.

La complexité des enjeux associés à l’infrastructure sportive justifie le recours aux MEP, une procédure plus flexible qu’un concours anonyme. Cependant, lors de l’attribution de l’organisation à Irbis Consulting, ce dernier a convaincu la commune de Plan-les-Ouates de «l’inutilité du Stample SIA [sic]»3, soit de la certification SIA 143, et de plafonner forfaitairement les indemnités des équipes concurrentes, compte tenu du coût de l’ouvrage et du fait qu’il sera probablement réalisé en entreprise totale. Il y a là un décalage entre l’investissement que représente le rendu et le mandat en jeu. Seule une partie de celui-ci courra jusqu’à la dépose du permis de construire. En somme, le concours organisé offre la possibilité au lauréat de produire une image détaillée et potentiellement évolutive du projet, mais pas de la réaliser4.

Le contexte

Le tramway 15, déjà en service, traverse une vaste plaine en restructuration. Tel est le contexte du projet: un enchevêtrement de règles d’urbanisme et de configurations foncières. Le périmètre du centre sportif est réparti sur deux PLQ, chacun étant principalement rattaché à l’une des deux communes. Scindé en deux, il a été conçu comme une pièce urbaine «d’équilibre» permettant le report équitable des droits à bâtir des propriétaires sur l’ensemble du quartier. Néanmoins, ni le PLQ du Rolliet, ni celui des Cherpines n’impose de fortes contraintes urbaines sur l’infrastructure sportive.

Le périmètre du concours comprend douze parcelles acquises ou en voie de l’être. En amont de la procédure, le programme est subdivisé de façon à être adapté à la disponibilité foncière des parcelles et à la capacité financière de la commune, influençant ainsi la disposition sur site des activités et le phasage du projet. À titre d’exemple, une partie prioritaire du programme, comprenant notamment la piscine, se concentre sur les parcelles déjà maîtrisées par Plan-les-Ouates. Interrogé, le chercheur en géographie urbaine et économique Thierry Theurillat explique que, dans le cadre d’un partenariat public-privé concernant ces deux PLQ, la commune exerce ses droits de superficie en tant que propriétaire foncier puis, comme locataire de certaines surfaces d’activité, elle se porte garante de sa rentabilité5. Le mécanisme permet alors de sécuriser une partie du projet tout en sollicitant les investisseurs privés.

Le programme

Signées par des architectes de renommée internationale, les trois propositions issues des MEP suggèrent des géométries complexes et séduisantes, des toitures virevoltantes et des structures en bois dans l’air du temps. L’architecture du projet lauréat lisse un programme qui peut évoluer en fonction des investissements à venir. Le modelage de l’enveloppe intègre plusieurs grands sous-ensembles dont le degré d’aboutissement semble varier. Dans le rapport du jury, il est question d’ajustements des espaces extérieurs de la piscine et d’optimisation de la façade de la patinoire; la salle polyvalente doit être entièrement revue en fonction des futurs exploitants; quant au centre d’hébergement, il ne serait pas surprenant qu’il devienne un hôtel et que les surfaces commerciales et de restauration s’agrandissent afin de financer le reste des équipements.

L’autre invariant entre les trois projets est la bipartition entre avant et arrière du centre sportif, qui n’est pas sans rappeler, à nouveau, les centres commerciaux. Le projet lauréat se démarque par une organisation des activités autour d’une esplanade centrale facilitant l’interaction entre les réseaux de mobilité et les espaces urbains environnants (à la différence du projet de BIG), tout en maintenant des proportions modestes (contrairement à celui de Zaha Hadid Unlimited). En contrepoint, une zone d’accès logistique motorisée aux différents programmes est située à l’est du site. Le projet se présente comme un système adaptable aux besoins des investisseurs, définissant globalement les circulations, les alignements et les gabarits sur un site sans grandes contraintes urbaines. Les images de concours, schémas techniques et autres coupes de détail semblent avoir fait l’objet d’un usage détourné, présentant les réponses au concours comme autant de «produits d’appel» pour de potentiels investisseurs.

Too big to fail. Trop grand pour échouer, si complexe et politique que les subtilités architecturales du futur centre sportif en deviennent secondaires. Plus qu’un résultat cohérent, les MEP ont dégagé une image marketing du projet s’appuyant à la fois sur l’attractivité d’un concours international, l’opulence dégagée par les planches de rendu, mais aussi les possibilités d’ajustement d’un programme et d’une architecture générique. L’exemplarité du concours suisse n’est plus à prouver en tant que procédure, mais sa récupération fréquente pour la mise en marche de projets gigantesques et – potentiellement  – contestés appelle à la vigilance.

Notes

 

1. Avec plus du double de population et l’implantation de nombreuses entreprises à haute valeur ajoutée (zone industrielle ZIPLO), la commune de Plan-les-Ouates dispose de davantage de moyens financiers que Confignon.

 

2. Le canton de Genève, les communes de Plan-les-Ouates et Confignon et GD Cherpines SA – qui regroupe les propriétaires actuels de près de 73% des parcelles – sont signataires d’une convention relative à la planification, au financement et à la réalisation de l’étape 2 du projet de Cherpines en 2018. Une des missions de GD Cherpines SA est de répartir équitablement les droits à bâtir sur l’ensemble du quartier, mais également de conduire et de financer des études et avant-projets, voire des PLQ de détails, sous l’égide du canton et des communes.

 

3. Extrait du Projet de délibération relatif au crédit d’engagement de 1 650 000 CHF en vue de réaliser des mandats d’étude parallèles pour les équipements sportifs et culturels de la pièce D aux Cherpines à Plan-les-Ouates du 8 février 2022, Commune de Plan-les-Ouates.

 

4. Les indemnités des trois concurrents du second tour des MEP sont de CHF 200’000, et auraient probablement été plus élevées en appliquant les directives de la SIA. Le mandat attribué au lauréat porte de façon variable sur les phases d’avant-projet à la dépose d’autorisation de construire, voire partiellement d’appel d’offres pour les premiers programmes à sortir de terre.

 

5. Thierry Theurillat est professeur et chercheur à l’Haute école de gestion Arc, Neuchâtel (HEG-Arc/HES-SO) . Une partie de son travail porte sur les processus de financiarisation des centres sportifs et commerciaux en partenariat public-privé en Suisse, pionnière en la matière. Voir le projet de recherche FNS (2021-2025) : le rôle de l’immobilier dans le développement urbain et régional en Suisse.

Pièce D – Équipements sportifs et culturels

 

Maître d’ouvrage: Commune de Plan-les-Ouates

 

Procédure: Mandats d’étude parallèles à deux degrés, en procédure sélective

 

Projet lauréat: Marc Mimram Architecture & Associés et collinfontaine architectes

 

Candidats 2e degré: Bjarke Ingels Group (BIG) et Frei & Stefani Architecture et Développement ; Zaha Hadid Limited De Planta et Associés Architectes

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