Comment concilier énergie solaire et patrimoine bâti?
Partageant la parcelle du Grand Chalet à Rossinière (VD), une petite bâtisse, simple d’aspect, recèle un petit trésor de technologie difficile à détecter de prime abord. Sa toiture, qui n’est pas d’ardoises comme on pourrait le croire, transforme le rayonnement solaire en électricité.
L’Office fédéral de la culture (OFC) a récemment publié une brochure intitulée La culture solaire – Concilier énergie et culture du bâti, préconisant une réflexion globale plutôt qu’une analyse au cas par cas1. L’intégration de panneaux solaires dans le paysage urbain, postulent les auteurs, devrait être régie par l’intermédiaire de plans directeurs ou de plans d’affectation. La proposition est cohérente, mais les conclusions avancées prêtent toutefois à débat. En effet, selon l’étude, il suffirait de concentrer les installations photovoltaïques dans des zones périurbaines ou en mutation afin de «préserver les sites anciens». Or, aujourd’hui, les solutions sont suffisamment diversifiées pour répondre adroitement aux exigences de chaque projet.
Rossinière a vu passer un grand nombre de personnalités, de Victor Hugo à Wim Wenders. Elles ont pour point commun d’avoir séjourné au Grand Chalet, une pension devenue la résidence du peintre Balthus durant les vingt-quatre dernières années de sa vie. Le village du Pays-d’Enhaut abrite cet imposant édifice en madrier achevé en 1756 et dont les dimensions surpassent les règles habituelles. Avec une emprise au sol de 500 m2, il se déploie sur cinq niveaux et se termine par une immense toiture à demi-croupe protégée de tavillons. Identifié comme la plus grande structure en bois de son époque, l’ensemble est classé depuis 1946 et figure au recensement architectural du Canton de Vaud. Ce monument historique d’importance nationale justifie une protection spéciale qui s’étend également à son contexte environnant.
La dépendance qui nous intéresse fait partie de la propriété, bien que située légèrement en contrebas. Elle borde la rue pentue reliant le village à la gare, édifiée au fond du vallon. Dans un acte de vente datant de 1844, la petite maison est décrite comme un ancien buaton (porcherie) transformé en bâtiment de bains. Aujourd’hui encore, la bâtisse à deux niveaux reste simple d’apparence. Sa banalité cache cependant ce qui pourrait constituer l’amorce d’une petite révolution, ouvrant la voie vers une utilisation sans retenue ni a priori de l’énergie solaire.
Une invention sur mesure
Le développement des tuiles solaires qui couvrent la bâtisse remonte à 2014, quand John Morello, un ingénieur australien spécialisé en électronique, emménage dans une villa d’architecte. Le constat est alors sans appel, la toiture à quatre pans recouverts de tuiles en fibrociment n’est pas étanche. L’ingénieur cherche à transformer la couverture en une surface active qui produirait de l’électricité sur place. Il constate cependant que l’esthétique de la villa ne supporte pas l’ajout de panneaux rectangulaires, la forme et la dimension s’intégrant mal à la géométrie et réfléchit donc à une solution intégrée qui n’existerait pas sur le marché.
En collaboration avec le Centre suisse de recherche sur le photovoltaïque (CSEM) et le professeur Christophe Ballif, les premières tuiles solaires Solaris prennent place au-dessus de la tête de leur inventeur, jouant le rôle de laboratoire à l’échelle 1:1. Les tuiles plates de 7 mm sont formées de deux verres trempés, entre lesquels sont insérées trois cellules photovoltaïques. Leur dimension, doit convenir au remplacement des tuiles en fibrociment. Pour assurer l’étanchéité de la surface pentue, les modules photovoltaïques se superposent les uns aux autres, formant un empilement de trois couches en vertical. À l’image des tuiles, les modules sont ventilés par une lame d’air de plus de 80 mm fournie par l’épaisseur des lattes et contre-lattes. Ceci a pour avantage d’abaisser la température de surface en été, améliorant de ce fait le rendement des cellules. Un boîtier intelligent, placé dans la sous-construction, relie les tuiles par vingt unités. Il contrôle la production d’électricité, offre une grande flexibilité d’usage et une meilleure sécurité. En effet, quand de forts contrastes sont exercés par une alternance simultanée de soleil et d’ombre durant la journée, cela peut créer des déséquilibres et il est parfois préférable de désactiver préventivement la production. Avec un système conçu par zone, mettant en liaison quelques tuiles seulement, une partie s’arrête temporairement sans que les autres n’en soient affectées.
Intégration solaire
Contrairement aux solutions de première génération qui proposaient des panneaux ajoutés à la construction, la production solaire est ici intégrée à l’architecture. Cela permet de valoriser l’entier de la surface du toit. La solution étant relativement neuve, elle s’appuie aujourd’hui encore sur une réflexion sur mesure. Ainsi, après avoir couvert un certain nombre de toits neufs et rénovés, de nouvelles formes et dimensions de tuiles (à une, deux et quatre cellules) sont apparues, permettant de mieux composer avec les géométries rencontrées. C’est dans cet esprit qu’est née la tuile Héritage, visible à Rossinière. Celle-ci s’éloigne drastiquement de l’expression donnée par son aînée, noire et réfléchissante, qui laissait deviner la présence des cellules en silicium monocristallin. Sa surface mate et sa couleur gris clair camouflent la technique à l’œuvre et la rapprochent de l’ardoise, une pierre traditionnellement présente dans les constructions alpines. Grâce à la flexibilité de la proposition, les tuiles solaires sont installées sur les deux pans principaux, l’avant-toit protégeant l’entrée et la toiture de l’annexe. Les 54 m2 mis à profit génèrent 8 kWc. La solution comprend également la pose d’un onduleur qui transforme le courant continu en courant alternatif à 230 volts, l’ajout optionnel d’une batterie, et la mise à disposition d’une application de monitoring présentant une analyse détaillée de la situation, entre autoconsommation, achat et vente d’électricité sur le réseau.
Si nous souhaitons remplacer les cinq centrales nucléaires et leurs 25 Twh d’électricité (2019) par des énergies renouvelables, nous devrions également procéder à une mue – mesurée – du patrimoine bâti, le sortir de la muséification dans laquelle il tend à s’enfermer.
Note
1. Culture solaire – Concilier énergie solaire et culture du bâti, 2019.