Cette autre école qu’est le che­min

L'univers poétique de Fernand Deligny et son idée centrale que les déambulations d’un individu font langage peuvent-ils constituer le support d’une pédagogie collective? Probablement pas. Cela constituerait une contradiction dans les termes, Deligny ayant conçu sa pratique contre les défauts de l’enseignement de masse. 

La démarche de ce pédagogue progressiste des années 1960-1970 peut en revanche s’avérer précieuse dans la définition d’une nouvelle perception du milieu scolaire plus favorable à l’initiative enfantine. S’il n’y a pas de système scolaire Deligny, il peut y avoir des configurations d’apprentissage tirées de sa pratique de l’espace. 

Faire en sorte que la dérive, théorisée et défendue par Deligny comme une pratique légitime, puisse configurer des dispositifs d’apprentissage, scolaires ou parascolaires, est une façon utile de le relire aujourd’hui.

Ce numéro tente donc une équation audacieuse entre un texte savant sur le sens des cartographies chez Deligny et une expérience pédagogique disséminée sur 120 hectares à Arles. L’école du Domaine du possible constitue un cas exemplaire de pédagogie collective qui parvient à tirer des leçons de positions radicales, pas nécessairement faites pour faire système. 

Finalement, Deligny est sans doute aujourd’hui un auteur clé pour qui prétend comprendre les nouveaux cheminements du savoir et les nouvelles formes de cet autisme généralisé que l’on appelle la culture numérique. Car il faut bien convenir que les enfants d’aujourd’hui, enfermés qu’ils sont dans les dispositifs numériques auxquels nous les avons astreints, présentent de nombreuses ressemblances avec les enfants difficiles de Deligny. Ils poursuivent comme eux des errances individuelles qui, toutes virtuelles soient-elles, n’en sont pas moins sisyphéennes. Apprendre à tirer quelque chose de ces cheminements pourrait être l’un des possibles apports d’une redécouverte de Fernand Deligny.