C’est dans l’air: la ven­ti­la­tion na­tu­relle

Nous passons 90 % de notre temps dans des espaces fermés. Pour maintenir un climat sain, une ventilation naturelle, effectuée par simple ouverture des fenêtres, ou mécanique, avec ou sans filtres et échangeur de chaleur, est indispensable. La circulation d’air permet en effet de chasser l’humidité, de supprimer les mauvaises odeurs et d’évacuer les composés organiques volatils ou d’autres polluants chimiques. En outre, pour des espaces intérieurs densément occupés comme des salles de classe, une bonne ventilation permet de maintenir un taux bas en CO2.

Date de publication
30-07-2021

Minergie, apparu dans les années 1990, a conditionné l’obtention de labels de qualité par l’optimisation de l’enveloppe du bâtiment d’une part, et par l’utilisation d’une ventilation contrôlée d’autre part. Il importait de supprimer les multiples défauts dans l’étanchéité des maisons, fenêtres, portes ou joints, laissant fuir plusieurs fois par heure le volume d’air intérieur. L’amélioration du confort hivernal, en préchauffant l’air entrant par un échange de chaleur avec l’air sortant par exemple, a permis d’abaisser les frais de chauffage tout en instaurant un climat stable. Désormais gérée par des calculs et des plans, l’atmosphère intérieure – soumise à une ventilation mécanique – devenait de plus en plus indépendante des changements saisonniers. À tel point que durant l’été, le système allait s’appliquer de la même manière qu’en plein hiver, avec parfois l’impossibilité d’actionner le moindre ouvrant.

Des capteurs de vent persans

Bâd-gîr signifie capteur de vent en persan. Cet élément d’architecture vernaculaire marque l’horizon de villes anciennes, dont Yazd ou Meybod en Iran. Utilisé depuis des siècles, ce dispositif simple permet de contrer les fortes chaleurs d’un climat désertique à l’intérieur des demeures. Des tours en adobe, hautes d’une dizaine à une trentaine de mètres, fonctionnent grâce au tirage thermique dû à la différence de pression atmosphérique entre la base et le sommet de la colonne, ceci entraînant des mouvements d’air. Durant la journée, l’air de la maison est évacué par le sommet de la tour, tandis que de l’air plus frais, capté en hauteur, s’engouffre vers le bas, par les conduits situés face au vent. Et lors d’une journée sans vent, les rayons du soleil réchauffent l’air dans la cheminée, qui s’échappe ensuite vers le haut. L’effet génère alors une légère brise dans les pièces d’habitation.

Alliée aux qualités hygroscopiques de la terre crue, la ventilation naturelle offre un confort exceptionnel. De plus, l’adobe, qui possède une bonne inertie thermique, s’imprègne de la fraîcheur de la nuit et la conserve une partie de la journée. Le vent stimule l’évaporation, entraînant une baisse de la température grâce au changement d’état de l’eau: de liquide, retenue dans les parois en terre ou provenant d’une vasque placée au pied de la tour, elle passe à l’état gazeux et se mêle à l’atmosphère. Elle engendre ainsi une meilleure qualité du climat intérieur, avec des baisses de température (entre intérieur et extérieur) de 8° C lors de fortes chaleurs1. L’usage ingénieux de la ventilation naturelle, telle qu’imaginée dans ces contrées chaudes, pourrait-il trouver des applications sous nos latitudes subissant les effets du réchauffement climatique?

À Céligny, une ventilation naturelle hybride

La commune de Céligny organisait en 2012 un concours d’architecture pour planifier un nouveau quartier, Les Grands Chênes, qui prévoyait la construction de 52 logements (location et PPE) en première phase. Le caractère villageois du lieu a inspiré l’architecture de bunq, bureau lauréat du concours. Celui-ci a proposé quatre volumes positionnés en constellation au sein d’un paysage champêtre. Les parois extérieures en béton ont été doublées intérieurement par de la brique de terre cuite, dont la matérialité poreuse et respirante régule l’humidité ambiante.

Dans les appartements, les espaces de jour s’organisent «en coulisse», un dispositif facilitant une ventilation traversante. Un concept novateur proposé par le bureau Perenzia, spécialiste en physique du bâtiment, met en place une ventilation naturelle hybride. La technique s’appuie sur l’effet de tirage thermique (quand l’air est plus chaud à l’intérieur qu’à l’extérieur) et par la différence de pression atmosphérique. À Céligny, le débit prélevé directement à l’extérieur est modulé par des prises d’air et des bouches d’extraction hygroréglables qui réagissent à l’humidité ambiante des appartements. Celles-ci sont insérées en façade, dans le dormant des cadres de fenêtre, avec des reprises situées dans les salles de bain, au bas des gaines de ventilation parfaitement verticales qui aboutissent à un ventilateur installé en toiture. Ce dernier est complémentaire et s’enclenche lorsque les forces de la nature ne suffisent pas.

Le tirage thermique fonctionne d’autant mieux que le conduit s’élève haut à l’horizon (différentiel de pression plus important), que la cheminée est positionnée dans une zone de dépression très ensoleillée, et que l’air neuf parvient d’un côté ombragé de la façade. Toutefois, quand le vent et la température extérieure ne créent pas suffisamment d’appels d’air, ou quand des heures de forte affluence sont prévues en matinée et en soirée, le ventilateur aspire mécaniquement l’air dans les conduits. Grâce à la simplicité du système, la ventilation naturelle s’exerce à une pression environ dix fois moins importante qu’une ventilation mécanique, en offrant toutefois des débits et une qualité du climat intérieur comparables. La solution ne récupère certes par la chaleur dans l’air extrait, mais cet aspect est compensé, en comparant l’énergie primaire pondérée, par une très faible consommation électrique.

Un suivi de performances réelles financé par la Mairie de Céligny, le Fonds Cogener et l’Office cantonal de l’énergie (OCEN) a été mis en place entre 2016 et 2019 pour vérifier les données de base du projet. Les mesures sur place ont montré une surventilation due à une surchauffe des appartements, avec des fenêtres maintenues en imposte qui asséchaient l’air intérieur. Les résultats saisonniers étaient en partie faussés par le réglage mal calibré de l’installation de chauffage, avec des températures dépassant 24° C en hiver. Malgré cela, il apparaît au final qu’un système hybride (bien mis en œuvre) est comparable, en termes de performances énergétiques et de qualité de l’air, à une ventilation double flux. Moins coûteuse et plus compacte, la ventilation naturelle hybride permet de gagner de l’espace et reste fiable à plus long terme puisqu’elle est, comme l’avance Romain Kichherr à la tête du bureau d’ingénieurs Perenzia, résiliente et appréhensible par ses utilisateurs.

Logements Les Grands Chênes, Céligny (GE)

 

Maître d’ouvrage: Commune de Céligny

 

Architecte: bunq architectes, Nyon

 

Physique du bâtiment: Perenzia ingénieurs, Lausanne

 

Ingénieur CVS: Energy Management & R-E Moser, Lausanne

 

Installation ventilation: Alpiq In Tech Romandie, Lausanne

 

Menuiserie extérieure: Menuiserie Mayland, Sainte-Croix

Note

 

1 G. R. Dehghan Kamaragi et all., Thermal and dynamic analyses of the Siraf city’s wind tower: Construction of a half-scale model at Lyon university, France : Proceedings of the International Conference on Civil, Architectural, Structural and Constructional Engineering, Dong-A University, Busan, South Korea, August 2015

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