Centralité négociée
C’est l’un des grands projets urbains, d’infrastructures et de mobilité de l’agglomération lausannoise. La gare de Renens, en chantier depuis quelques mois, amorce sa mue pour devenir une interface de transports publics majeure et une nouvelle centralité à l’échelle de l’Ouest lausannois. Retour sur la genèse de ce projet, en forme d’épopée municipale et partenariale, avec l’une de ses principales actrices, Tinetta Maystre, municipale de la Ville de Renens en charge de l’urbanisme.
2003: le SDOL, première vision territoriale commune de l’Ouest lausannois
Tout commence avec le SDOL1, né de la volonté de huit communes, Bussigny, Chavannes-près-Renens, Crissier, Ecublens, Prilly, Renens, St-Sulpice, Villars-Ste-Croix, et du Canton de Vaud de réfléchir à un projet de territoire partagé pour répondre à la pression démographique annoncée : +30 000 à 40 000 habitants et emplois à l’horizon 2030. Les enjeux : le maintien de la qualité de vie, le renforcement de l’offre de transports publics et de mobilités douces, et un développement raisonné et cohérent pour limiter l’étalement urbain. Au centre des documents graphiques du SDOL publié en 2003 : la gare de Renens, point névralgique où tous les flux semblent converger et se redistribuer.
« Le SDOL nous a permis de mettre à plat les besoins des communes et de débattre autour des nouvelles dispositions en terme d’aménagement du territoire que l’on retrouve aujourd’hui dans la LAT : densifier en ville, à proximité des infrastructures de transports publics. Le SDOL a provoqué une prise de conscience collective de l’importance stratégique d’un certain nombre de lieux le long de la voie ferrée, comme Malley et la gare de Renens.
La Ville de Renens avait déjà interpellé les CFF au sujet de la gare, très vétuste, mais elle était encore considérée à l’époque comme une gare de banlieue, sans réels enjeux. On oubliait simplement qu’elle desservait l’EPFL, l’UNIL, l’ECAL, par le m1, et on n’avait pas réellement pressenti le développement de tout l’Ouest Lausannois. Les CFF étaient bien conscients du rôle de la gare et de la nécessité de la rénover, mais d’autres priorités les avaient conduits jusque-là à repousser régulièrement ce dossier. »
2007 : premier concours, les communes prennent leur destin en mains
Fortes de leur envie partagée, les quatre communes mitoyennes de la gare – Renens, Crissier, Ecublens, Chavannes-près-Renens – lancent en 2007 un concours de projets sur la gare de Renens et ses abords, en partenariat avec le Canton de Vaud, les CFF et les transports publics lausannois (tl) : « Renens CFF – Gare de l’Ouest, interface des transports ». Le programme prévoit notamment « la requalification des places de la Gare nord et sud, l’amélioration du passage sous voies, la création d’une nouvelle liaison nord-sud pour les mobilités douces, l’amélioration des accès aux quais pour augmenter la convivialité et la sécurité des usagers ». Le projet « Rayon Vert » est lauréat du concours. Il est l’un des rares à proposer une passerelle pour franchir les voies, un geste symbolique fort pour les communes.
« Notre première démarche collective a été qualitative : nous avons décidé de lancer un concours pour répondre aux besoins identifiés, notamment la possibilité de traverser plus facilement les voies, parce que la gare représentait une vraie coupure entre les communes et que son accès était difficile. Les CFF se sont associés à ce moment-là avec un projet de rénovation de la gare, et leur programme a été intégré dans le concours. CFF Immobilier a rejoint le bateau avec une recherche d’idées sur les terrains qui leur appartenaient, sans résultat concluant à l’époque. Le projet des axes forts de transports publics du PALM2, avec le retour du tram à Renens, démarrait alors et a également pu être intégré.
Le fait que les quatre communes prennent leur destin en main à travers cette démarche constructive et positive a été un signal très fort envoyé aux différents partenaires et un détonateur pour les CFF. Nous sommes allés chercher l’EPFL et l’UNIL qui ont aussi déclaré leur intérêt pour ce projet. A partir de là, le Canton a également perçu l’enjeu et nous a suivi. Rétrospectivement, ce départ avait quelque chose d’épique. On s’est dit : « Faisons un franchissement et on verra qui nous suit ». Je pense que nous avons réussi à montrer l’importance d’un partenariat dans lequel tout le monde avait quelque chose à gagner. »
2009 : nouvelles études et projet « Léman 2030 », la gare devient un territoire stratégique
Les nouvelles études menées en 2008 et 2009 sur la base du projet « Rayon vert » mettent en évidence des chiffres qui avaient jusque-là échappés à beaucoup : 23 600 voyageurs transitent chaque jour en gare de Renens ! Redimensionné pour tenir compte de cette réalité largement sous-estimée, ainsi que de l’augmentation de la fréquentation prévue par le PALM, le projet prend une nouvelle dimension, confortée par la signature en décembre 2009 de la convention-cadre Léman 2030 (voir p. 17) qui fait de la modernisation de la gare de Renens, avec celles de Lausanne et de Genève, l’un de ses chantiers majeurs.
« Quand nous avons lancé le concours de 2007, nous estimions à environ 6000 le nombre de voyageurs par jour à la gare de Renens. Les comptages que nous avons réalisés par la suite ont montré une toute autre réalité... Collectivement, nous avons eu des sueurs froides ! Nous avons donc revu le projet ‹ Rayon vert › en conséquence : la passerelle, ses accès... Ces comptages ont mis en lumière le potentiel d’attractivité de la gare. A partir de là, les feux étaient au vert. Les CFF, qui avaient simplement prévu au départ de rénover le passage sous voies très étroit, l’ont finalement remplacé, élargi, et ont installé des ascenseurs provisoires pour en assurer la sécurité. »
2013 : concours CFF Immobilier « Renens, gare », le temps des négociations
Depuis le début du projet de la gare, les quatre communes ont engagé un partenariat étroit et constructif avec les autres acteurs. L’entrée en jeu de CFF Immobilier, la branche « promotion-investissement » des CFF, qui lance en 2013 un concours sur ses terrains au sud de la gare, corse les négociations financières, programmatiques, et techniques.
Le programme du concours « Renens, gare » développe environ 20 000 m² de surface utile sous la forme de deux bâtiments neufs de part et d’autre de la gare rénovée, ainsi qu’une vélostation et des places de stationnement voitures et vélos. L’interface entre les nouveaux immeubles et le passage sous voies, la passerelle et la place de la gare est complexe. Sur un territoire restreint, les deux projets « Rayon Vert » et « Renens, gare » (devenu entre temps « Quai Ouest ») vont devoir s’accorder.
« A Renens, les CFF sont un acteur particulièrement important, propriétaire de nombreux terrains : Renens gare, les Entrepôts, Malley... C’est un partenaire incontournable avec qui nous devons dialoguer. Leur foncier a acquis une valeur inestimable, ce dont nous n’avions pas conscience il y a seulement dix ans. Aujourd’hui, la stratégie de CFF Immobilier consiste à le valoriser pour rapporter de l’argent à l’entreprise, ce qui nous lie d’une certaine manière : s’ils estiment que les projets ne sont pas valorisables, peut-être qu’ils ne les feront pas. Nous sommes donc toujours dans une forme de négociation. A la gare, nous avons négocié pour qu’ils prennent en charge financièrement une partie de la passerelle et de la place sud. En contrepartie, leur projet immobilier a bénéficié d’une constructibilité importante. Du point de vue de la complexité technique et des interfaces entre nos projets, on peut dire que notre passerelle et leurs bâtiments se sont assemblés avec bienveillance, parce que le partenariat s’est très bien passé.
Leurs projets pour les deux sites de la gare de Renens et des Entrepôts, plus à l’est, vont dans le sens des principes de densité et de mixité des fonctions que les Communes ont définis dans les Plans de Quartier (PQ). Pour autant, nous aimerions parfois que CFF Immobilier soit un peu moins dans la recherche de rentabilité et un peu plus coopératif sur des objectifs et des partenaires sociaux. Sur le programme de l’opération par exemple, nous n’avons pas toujours été entendus. Nous avions imaginé un hôtel à la gare, parce que c’est un lieu emblématique, une porte d’entrée sur les quatre villes. Mais les études de marché de CFF Immobilier ont considéré que ce n’était pas pertinent. Sur la question des équilibres en termes de commerces et de services, entre cette nouvelle polarité et celles qui existent déjà, dans le centre de Renens ou ailleurs, nous ne pouvons malheureusement pas vraiment intervenir. »
Demain, une nouvelle centralité pour l’Ouest lausannois
L’histoire du projet de la gare de Renens témoigne de la démarche engagée de quelques communes pour penser ensemble leur avenir, en dehors d’un cadre institutionnel trop rigide. Un pas après l’autre, la cohésion des acteurs s’est forgée autour de cette gare, d’abord grâce au SDOL, relayé ensuite par les communes, qui ont elles-mêmes été proactives auprès des autres partenaires pour donner à ce projet toute sa mesure. Aujourd’hui, pour faire tourner cette machine complexe qui mobilise de multiples maîtrises d’ouvrages, plusieurs instances de coordination, politiques et techniques, ont été mises en place, réunissant tous les partenaires sous l’égide de la Ville de Renens.
« C’est un projet incroyable : dans un mouchoir de poche, nous avons condensé un programme de ‹ faire ville ensemble ›, dans un partenariat serein, constructif et multiple : les CFF, les communes, le Canton et la Confédération et les tl.
La part d’informel est importante dans notre démarche, elle nous a beaucoup aidé à avancer. Nous avons commencé modestement, par le concours. Les quatre communes participent au financement au pourcentage3, chacune met quelques milliers de francs pour que le projet reste portable. Certains parlent de bricolage institutionnel à propos du SDOL, moi je parlerais plutôt d’intelligence et de sensibilité. Evidemment, la suite – la phase réalisation – nécessite des dépenses de plusieurs millions. Là, on est obligés de poser les choses et de signer des conventions. Mais c’est plus simple quand on a réussi à s’entendre dès le début ! Après l’avant-projet du « Rayon vert », le SDOL s’est retiré pour laisser la place aux quatre communes partenaires, qui ont elles-mêmes décidé de déléguer la mise en oeuvre du projet intercommunal à Renens, dès lors que nous engagions un chef de projet dédié à la gare.
C’est une belle aventure, parce que les villes ont compris l’importance de travailler ensemble. Ce choix n’est pas seulement celui des élus, les habitants aussi se sont engagés et se sont passionnés, comme nous, pour ce projet.
Pour l’avenir, j’ai confiance quant à cette nouvelle centralité ici, sur cet espace situé au cœur de l’Ouest lausannois. La passerelle et les places au nord et au sud de la gare sont une garantie que ce projet sera un trait d’union entre la gare et la ville. C’est important pour l’identité de ce territoire qui est en train de se créer. Le district est nouveau, il a à peine dix ans. Une nouvelle identité se forge et le projet va y contribuer ».
Notes
1 Aujourd’hui : Stratégie de Développement de l’Ouest Lausannois. A l’origine : Schéma Directeur de l’Ouest Lausannois.
2 Projet d’agglomération Lausanne-Morges
3 La clé de répartition des charges du projet établie par les quatre communes : Renens – 50 %, Chavannes-près-Renens – 25 %, Crissier et Ecublens – 12,5 %, calculée en fonction des territoires communaux dans un rayon de 500 à 1000 m autour de la gare et du nombre d’habitants actuels et futurs dans ce rayon.
Intervenants projet "Quai Ouest"
Maître d’ouvrage : CFF Immobilier
Architecture : Fres Architectes
Génie civil : Weber + Brönnimann SA
Ingénierie CVSE : Roschi + Partner AG
Intervenants du projet "Rayon Vert"
Maître d’ouvrage du projet « Rayon Vert » : communes de Chavannes-près-Renens, Crissier, Ecublens et Renens
Architecture et urbanisme : Farra Zoumboulakis & associés
Paysage : L’Atelier du Paysage Jean-Yves Le Baron Sarl ;
Gestion de projet : Tekhne SA
Mobilité : Citec ingénieurs conseils SA
Génie civil, passerelle : Ingeni SA