À bout de souffle en Irak

Le destin tragique de trois Palestiniens qui tentent de fuir au Koweït. "Les Dupes" de Tewfik Saleh, un film de 1973, trouve 40 ans plus tard une résonance effroyable

Date de publication
29-07-2014
Revision
23-10-2015

Comment raconter la condition palestinienne, l’étrange mélange de résignation et de révolte d’un peuple ? En 1972, alors que l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani trouve la mort dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth, le réalisateur égyptien Tewfik Saleh réalise Les Dupes, adapté d’une nouvelle de Kanafani, Des hommes dans le soleil (1963). Le film narre le destin tragique de trois Palestiniens pris au piège de leurs aspirations. Les trois clandestins sont contraints d’emprunter le chemin de l’exil, chacun pour des raisons différentes, mais ils partagent le même but: se rendre au Koweït, où l’argent abonde, pour fuir la misère des camps de réfugiés et y construire un foyer.
Arrivés à Bassora en Irak, ils rencontrent un passeur qui accepte de les emmener dans son camion-citerne. Pour passer la frontière, il leur faudra rester enfermés par une chaleur torride dans la citerne vide, tandis que le chauffeur accomplira les formalités douanières. Sept minutes: c’est le temps qu’il lui faut pour faire signer son laisser-passer. Si le premier passage se fait rapidement, le deuxième s’éternise à cause d’un douanier qui prétend plaisanter avec le chauffeur. Pendant qu’il l’interroge sur ses aventures sexuelles à Bassora, les trois passagers étouffent. Quelques minutes de trop auront suffi pour qu’ils y laissent leur dernier souffle. Le film se termine sur un constat sans appel. «Un peuple sans terre est un peuple sans tombe.» Abandonnés nus dans une décharge, leurs cadavres composent en plein désert un tableau d’une rare cruauté.
L’allégorie de Kanafi s’achevait sur une question adressée par le passeur à ses passagers sans vie : pourquoi, demande-t-il, ne l’ont-ils pas appelé à l’aide ? Pourquoi, autrement dit, le peuple palestinien ne croit-il pas davantage au destin partagé de toutes les nations du monde arabe? Dans le film de Saleh, les trois clandestins frappent à toute force les parois de la citerne, mais personne ne les entend. Moins de dix ans après la publication de la nouvelle, la question soulevée par le film n’est donc plus tout à fait la même. Si le road-movie de Saleh est un modèle du panarabisme (réalisé par un Egyptien d’après un auteur palestinien, financé par l’Organisme national du cinéma syrien, mettant en scène l’Irak et le Koweït et tourné en Syrie), ce n’est plus tant de la détermination des Palestiniens qu’il fait douter que de la capacité de leurs voisins à fraterniser. Comment se peut-il en effet que le monde arabe demeure alors si divisé? 
Que la question soit, quarante ans plus tard, toujours d’une telle actualité, ajoute à l’effroi et à la colère qu’inspire cette fable tragique.

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