Ar­chives du bâti- en­tre­tien #2: Cité de l’ar­chi­tec­ture et du Pa­tri­moine de Pa­ris

Deuxième entretien de la série «archives du bâti», nous visitons le centre d’archives de la Cité de l’architecture et du Patrimoine de Paris. Avec plus de 400 fonds d’archives, cette institution a contribué depuis sa création à faire prendre conscience de l’épaisseur et de la continuité de l’histoire architecturale du XXe siècle et se trouve aujourd’hui en quête de nouvelles formes de médiatisation de la culture du bâti

Date de publication
12-11-2020
David Peyceré
conservateur du patrimoine et responsable du Centre d’archives d’architecture du XXe siècle à la Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris

espazium.ch: quelle est l’origine du centre d’archives de la Cité de l’architecture et du patrimoine?
David Peyceré: le centre d’archives de la Cité de l’architecture et du patrimoine a été conçu en même temps que l’Institut français d’architecture (IFA), à la fin des années 1970. L’IFA, association para-administrative dépendant du ministère de l’Équipement, a ouvert en 1980. Il contenait un département nommé Archives et Histoire, créé pour collecter des archives d’architectes et les mettre en valeur ou, comme on disait alors, «en mouvement». Le fondateur de ce département, Maurice Culot, avait lancé dix ans plus tôt la collecte de ces archives à Bruxelles (les AAM); il a géré le centre d’archives de Paris jusque vers 2000, et est toujours activement lié à celui de Bruxelles.

Vous possédez plus de 400 fonds d’archives de nombreux pionniers de l’architecture française du xxe siècle tels qu’Auguste Perret, Henri Sauvage, Bernard Zehrfuss ou Jean Dubuisson. Quels sont vos critères d’acquisition de nouveaux fonds et comment ont-ils évolué au fil du temps?
Il est difficile de parler de critères et ils ont rarement fait l’objet d’une formulation écrite. Il s’agit clairement de collecter des fonds entiers, ce qui a mis l’accent sur des agences ayant effectivement beaucoup construit: sur l’architecture construite plus que sur les dimensions exploratoires de l’architecture. Deux dépôts de collections plus anciennes ont infléchi la collection (celle du CNAM, riche en pionniers du béton armé, et celle de l’Académie d’architecture, riche en documents d’architectes aux carrières officielles). Aujourd’hui, estimant avoir une masse critique raisonnable sur l’architecture en France jusque vers 1980, on cherche à collecter des archives témoignant de l’architecture des quarante dernières années environ.

Quel est le rôle & l’influence des archives d’architecture dans la culture du bâti contemporaine?
J’aimerais avoir une réponse à cette question… Les rares enseignants d’histoire de l’architecture dans les écoles d’architecture en France disent que la place de l’histoire est (re)devenue marginale dans les études. Évidemment l’IFA a fortement contribué, depuis 1980, à faire prendre conscience de l’épaisseur et de la continuité de l’histoire architecturale du XXe siècle; la Cité avec notamment la GAMC (galerie d’architecture moderne et contemporaine du MMF) et ses divers programmes poursuit cet objectif. Nous trouvons néanmoins que peu d’architectes viennent consulter nos archives.

Le Centre d’archives a mis au point ses propres outils et méthodes de classement et description des archives d’architecture regroupés sous l’application numérique "ArchiWebture". Comment s’est développé ce projet et quelle est sa particularité face à d’autres méthodes d’archivage?
ArchiWebture est la version en ligne de l’application interne de saisie d’inventaires ArchiVecture. Celle-ci est issue d’une base antérieurement développée de concert par le centre d’archives de l’IFA et les Archives de la construction moderne, à Lausanne, sous le nom d’Hypathie (1993). Créée en interne – sous Access – par une documentaliste du centre parisien, ArchiVecture (1997) s’inspirait d’Hypathie mais apportait un progrès en définissant l’objet architectural (la plupart du temps, un édifice) comme l’élément central de l’inventaire, auquel les fiches décrivant les dossiers (éléments matériels tels un dossier de correspondance ou une pochette de dessins) sont rattachées. Cela permet de combiner une numérotation discontinue des dossiers (facilitant l’inventaire) et l’affichage en continuité des dossiers liés à chaque objet. Riche en structurations (thésaurus, vocabulaires contrôlés), cet outil n’a pas d’équivalent en France pour les archives des architectes.

Quelles sont les opportunités et les limites de la digitalisation dans l’archivage d’architecture?
Il y a sans doute des façons de prendre la question plus volontaristes ou efficaces que la nôtre. Au Centre d’archives d’architecture du XXe siècle, nous mettons en ligne beaucoup de documents numérisés, sans plan d’ensemble. Il peut s’agir d’une couverture de l’ensemble des projets, par sélection de quelques documents graphiques ou photographiques pour chaque projet. Si un éditeur ou un chercheur a demandé la numérisation de nombreux documents pour un même projet, nous mettons parfois en ligne un choix plus important de fichiers. Nous avons la possibilité de les lier à trois niveaux différents des inventaires en ligne, donc de hiérarchiser la place que nous leur donnons, mais nous essayons de toujours donner à comprendre qu’il ne s’agit que d’une illustration limitée, dont nous ne pouvons indiquer le degré de pertinence. La consultation devra toujours se faire sur place, sur les vrais documents. Les plaques de verre et les documents audiovisuels sont toujours numérisés.

Seule exception, le fonds Perret a été numérisé en grande partie il y a une dizaine d’années pour des raisons de conservation.

Depuis 2010, vous élaborez des expositions virtuelles d’une partie de vos collections. Comment définissez-vous les thématiques et quelles sont les expositions à venir?
Les thématiques de ces expositions virtuelles (ou dossiers documentaires) se sont accumulées sans plan préalable, à partir d’expositions qui ont fait l’objet d’une présentation physique. Certaines cependant ont été conçues pour elles-mêmes, notamment pour mettre en perspective des documents singuliers, comme les documents audiovisuels du fonds Marcel Lods: ils ont été numérisés pour être consultables mais leur intérêt est inégal, il fallait donc imaginer une aide pour les regarder et les comprendre.

De nombreuses archives d’architecture existent à travers le monde comme le CCA à Montréal, le Het Nieuwe Instituut à Rotterdam, Le Getty Research Institute à Los Angeles ou le GTA Archives ici en Suisse. Existe-t-il une collaboration/relation entre ces principaux centres d’archivage?
Il existe un réseau fondé en 1979, l’ICAM (International Confederation of Architectural Museums) qui rassemble tous les deux ans les responsables de nombre de ces centres d’archives, parfois autour de sessions consacrées aux archives. Cela permet de se connaître, et souvent d’échanger en marge des sessions et des congrès. En revanche, je connais peu d’exemples de collaborations concrètes, comme celle avec les ACM qui avait produit le logiciel Hypathie.

La Cité de l’architecture & du patrimoine est bien plus que ses archives. Quelles sont les missions ou la vision aujourd’hui?
Créée en 2004-2007, la Cité de l’architecture et du patrimoine a regroupé trois entités: l’IFA – qui était, outre le département Archives et Histoire, un centre de diffusion de l’architecture contemporaine –, le musée des Monuments français (MMF), et l’École de Chaillot, qui forme en France les architectes du patrimoine. Cumulant leurs mandats, elle a tout un ensemble de missions concernant la médiatisation de l’architecture auprès du public (sous toutes ses formes et toutes périodes confondues), mais aussi l’animation du débat auprès des professionnels de l’architecture. C’est l’institution nationale sur l’architecture, ce qui lui donne un rôle officiel de relais des ministères concernés (essentiellement la Culture), mais aussi une vocation de lieu ressource qui pourrait être, nous semble-t-il, sensiblement plus fréquenté.


Concernant les archives, elle a depuis deux ans la mission exclusive de la collecte des archives d’architectes au niveau national.

À propos de :

 

David Peyceré est conservateur du patrimoine, spécialité Archives. Son intérêt pour l’histoire de l’architecture s’est concrétisé lors de son service civil dans l’administration des monuments historiques en Île-de-France. Après des postes en Archives départementales puis aux Archives nationales (1988-1995), il est responsable depuis 1995 du Centre d’archives d’architecture du xxe siècle.

Liste des fonds d'archives

 

Liste des principaux fonds d’archives conservés au Centre d’archives d’architecture du XXe siècle - à télécharger ci-dessous dans l'onglet -download-. Pour la liste complète et pour plus d'informations, visitez la plateforme en ligne Archiwebture

Dossier: «Archives du bâti»

 

 

Du rôle des ar­chives et de leur ab­sence - Éditorial de Yony Santos & Cedric van der Poel, novembre 2020

 

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