Dys­to­pie mo­der­ne à Jo­han­nes­burg

Ponte City, regard sur un ghetto vertical

Publikationsdatum
27-02-2014
Revision
13-10-2015

L’urbanisme moderne de la ville de Johannesburg a longtemps été synonyme de prospérité, d’exubérance et de ségrégation. Sous l’apartheid, au zonage fonctionnel qui délimitait les quartiers d’affaires des quartiers résidentiels s’ajoutait celui de la séparation raciale. 
Il y avait des quartiers réservés aux Blancs et des townships : des banlieues éloignées destinées aux Noirs. A la tombée de la nuit, les travailleurs Noirs devaient quitter le centre-ville. Ce couvre-feu perpétuel prit officiellement fin avec la chute du régime de Frederik de Klerk. Dès les premiers mois, le centre-ville fut pris d’assaut par des populations qui en avaient été exclues. 
Puis, comme à Détroit, les Blancs s’en allèrent, laissant derrière eux la ville moderne, faite de bâtiments prestigieux, d’ensembles de bureaux et de tours.
L’exposition Ponte City retrace l’évolution d’un de ces bâtiments : une tour résidentielle de 54 étages transformée en ghetto vertical. Situé dans le quartier résidentiel de Hillbrow, l’ensemble réalisé au début des années 1970 était exclusivement destiné à une population blanche et aisée. 
Ponte City est aujourd’hui à l’image du quartier : délaissée par les anciens maîtres au profit des serviteurs affranchis. Le couvre-feu demeure, sauf qu’il a changé de cible : désormais ce sont les Blancs qui ne s’aventurent plus dans ce quartier qui leur était pourtant réservé. Bien avant la fin de l’apartheid, ils avaient commencé à fuir vers les banlieues résidentielles comme Rosberg ou Sandton, pour y vivre cloîtrés dans des ensembles sous haute surveillance.
Hillbrow est le revers de la médaille : un quartier difficile dans une ville qui détient le plus grand taux de mortalité d’origine criminelle. La tour Ponte est caractéristique de ce déclin : c’est un ensemble résidentiel homogène, hanté par la violence urbaine. 
Pendant cinq ans, Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse ont accumulé des documents, afin de constituer le portrait sociologique et historique de cet ensemble. On y retrouve des archives personnelles, des plans, des brochures publicitaires, des coupures de presse, des extraits du règlement en afrikaans (la langue des Boers, proche du néerlandais), des prises de vue dignes d’un film de science-fiction, et des portraits des habitants. Foisonnante, l’exposition confronte plusieurs récits et toutes sortes de supports. 
Seul reproche qui peut être fait au projet : laisser trop facilement le caractère dystopique prendre le dessus. La tour Ponte est malgré tout un ensemble résidentiel, avec des ascenseurs qui fonctionnent et dans laquelle vivent surtout des familles. Aujourd’hui Ponte City semble remonter la pente. 
Portrait d’un emblème moderniste, ce projet documentaire met en évidence les difficultés chroniques de la société sud-africaine : la persistance des clivages, l’absence de vision urbaine d’ensemble, et finalement la poursuite de l’apartheid par la ségrégation économique.

 

Ponte City. Mikhael Subotzky & Patrick Waterhouse

Jusqu’au 20 avril 2014, Le Bal, Paris 
www.le-bal.fr

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