DIA­MOND IS­LAND

Cher, éclatant et dur: le diamant immobilier de Koh Pich reflète l’image divisée du Cambodge contemporain. 

Publikationsdatum
06-02-2018
Revision
22-02-2018

Diamond Island n’est pas que le titre du film réalisé par Davy Chou en 2016. C’est aussi la traduction anglaise de Koh Pich, nom d’un projet immobilier inauguré en 2006, sur une protubérance alluviale à la périphérie de Phnom Penh, à la défluence du Bassac et du Mékong. Lieu de misère accueillant les pêcheurs trop pauvres pour habiter la capitale du Cambodge, Koh Pich s’est d’abord développé dans l’anarchie d’un bidonville, avant d’être rattrapé par une ambitieuse stratégie de développement métropolitain.

Prenant place dans le temps des travaux, le film de Davy Chou expose toute la complexité démographique et urbaine du projet où se côtoient habitations délabrées faites de bric et de broc, espaces vivants de distractions où se retrouve la jeunesse de Phnom Penh (squares, parcs d’attractions, boîtes de nuit), et ossatures architecturales aux allures de ruines des futures résidences de luxe. Diamond Island est un projet défini comme le futur du Cambodge, une manière pour le pays d’entrer de plain-pied dans les enjeux du 21e siècle. Paradoxalement, la composition du paysage urbain et du tissu social donne un air de survivance, de fin du monde consommée, que renforcent les effets de luminescence en tout genre qui irradient le film: lumières des lieux d’attraction, boîtes de nuit et parcs, lumières des motos et des voitures, des téléphones.

Le récit se concentre sur quelques personnages qui suffisent à rendre compte de la complexité sociale du lieu. Trois groupes cohabitent : les « habitants historiques » de l’île, que la pauvreté a chassé des rues de la capitale et qui n’y ont jamais remis les pieds, les ouvriers venus des campagnes pour l’attrait d’un salaire, et les jeunes privilégiés de la ville qui viennent le soir pour profiter des espaces de loisirs déjà fonctionnels au milieu des chantiers aux allures de friches. La mobilité même des individus témoigne de leur condition puisque seule la jeunesse de la cité traverse le pont qui relie Phnom Penh à Koh Pich dans un va-et-vient incessant. Les autres, les pauvres, parlent de la capitale comme d’un pays lointain qui hante l’imagination et reste hors de portée.

La composition des groupes, loin de répondre à un ordre établi, témoigne d’un chaos social opaque et complexe. Solei et Bora sont deux frères partageant une même origine sociale et géographique. Ils ont grandi ensemble mais se trouvent séparés par leurs trajectoires: là où le premier vit d’un étrange mécénat, coupé du monde et dans l’oisiveté des soirées, le second est ouvrier, travaillant sur les chantiers pour apporter un soutien financier à sa famille. Aux projets utopistes du premier répond le désespoir du second. Virak, ouvrier de 27 ans, vit de rêves perdus et dans la survivance de ses illusions: le fantasme d’ailleurs impossibles à atteindre et les plaisirs plus ponctuels de l’ivresse.

Le projet de développement urbain Diamond Island apparaît à plus d’un titre coupé des réalités du pays. La tentative d’un bond dans le futur opère une déstructuration du tissu social dans lequel les individus disparaissent littéralement. C’est d’ailleurs la lecture poétique que donnait déjà Davy Chou dans son premier film consacré au sujet, le court métrage Cambodia 2099 réalisé deux ans plus tôt. Le héros, Sotha, disparaissait en voulant se projeter dans le futur pour voir Diamond Island.

Davy Chou (2016, Fr/Cambodge, 1 h 40, fiction)

Lieu: Cinémathèque, Cinématographe
Horaire: 28.02 à 16h30