So­li­tu­de du con­som­ma­teur

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L'histoire de quatre individus en fuite qui se réfugient dans un gigantesque supermarché et se barricadent pour se protéger des zombies.

Publikationsdatum
03-09-2014
Revision
19-10-2015

Dix ans après Night of the Living Dead (1968), film tourné en 16 mm dont le peu de moyens induisait déjà un troublant effet documentaire, George A. Romero lève une nouvelle armée de morts-vivants pour réaliser le second volet de la série des « zombies ». Dawn of the Dead est filmé en couleur, stylé et mis en scène dans un décor adapté à la rallonge financière dont il bénéficie : à la modeste maison isolée où Barbara et Ben se barricadaient dans le premier opus, le film substitue un gigantesque supermarché où se réfugient quatre individus en fuite, un pilote d’hélicoptère, une réalisatrice de télévision et deux officiers de police. Retranchés dans la partie administrative du bâtiment, ils repoussent les zombies et reconstruisent les conditions d’un huis clos rassurant en bloquant une à une les entrées de la galerie commerciale. Parvenus à leurs fins, ils peuvent jouir en toute sécurité et en musique de l’abondance des biens qui s’offrent à eux dans le mall désaffecté : whisky, fromage et chocolat, montres, produits de luxe et articles de sport, équipements audiovisuels et armes à feu à volonté. 
La restauration fantasmatique d’une consommation illimitée n’entraîne alors rien moins qu’une nouvelle forme d’aliénation, la solitude et la mort assurées. Oscillant entre la crainte d’être repérés et le réconfort, voire l’excitation suscités par le rétablissement de leurs habitudes de consommateurs autarciques, les protagonistes maintiennent l’état de siège jusqu’à la confrontation finale avec une bande de pillards qu’ils se refusent à voir – tout comme les zombies – comme leurs homologues.
Le film de George A. Romero revisite un lieu commun de notre imaginaire cinématographique : s’introduire dans un grand magasin aux heures de fermeture, avec les grands burlesques ou la science-fiction de série B, pour jouir individuellement d’une marchandise appropriable sans contrepartie. Car le consommateur se représente toujours paradoxalement comme l’usager exclusif d’une quantité infinie d’objets et d’articles produits en masse. Il rêve d’un tête-à-tête avec la marchandise. C’est ce qui le distingue peut-être le plus franchement du zombie qui ne saurait accéder aux félicités de la relation marchande tant il adhère sans réfléchir aux valeurs du collectif.

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