Le La­by­rin­the han­té

Shining de Stanley Kubrick, 1980

Pour le collectif Silo, «Shining», le seul film d'horreur de Stanley Kubrick, est une fantaisie lilliputienne

Publikationsdatum
26-02-2013
Revision
23-10-2015

Isolé dans les montagnes Rocheuses et prétendument bâti sur les lieux d’un ancien cimetière indien, l’hôtel Overlook de Shining est un espace labyrinthique dont on a souvent relevé l’impossible architecture. Construit en studio par Kubrick, le décor privilégié du seul et unique film d’horreur du cinéaste est un espace incohérent; son immensité vide et son inquiétante symétrie instillent chez le spectateur, par définition en proie à une perte de repères, une angoisse croissante. Les scènes où Danny (Danny Lloyd) arpente les interminables couloirs de l’Overlook sur son tricycle illustrent parfaitement ce sentiment. L’utilisation habile du steadicam transforme les mouvements de caméra en étude pathologique: l’espace hanté de l’hôtel est bel et bien un espace maladif, poussant Jack (Jack Nicholson) dans les affres de la folie.
A l’instar des fameuses jumelles que Danny rencontre dans les couloirs, l’Overlook a un double: le monumental labyrinthe de haies qui s’étend à l’extérieur de l’hôtel. Théâtre de la célèbre et terrifiante scène finale, le dédale végétal imaginé par Kubrick est très littéralement un jardin d’égarement (Irrgarten): ses hautes parois limitent le regard, plongeant le promeneur – à l’égal du spectateur – dans une obscurité et une myopie menaçantes.
Comme dans l’Enfer de Dante, ceux qui osent y pénétrer doivent abandonner, au moins pour un moment ou un autre, tout espoir d’en sortir. Dans une célèbre séquence du film, Jack se penche sur une maquette du jardin: par un subtil mouvement de plongée, le modèle fait place au véritable labyrinthe et Jack y aperçoit les minuscules figures de sa femme et de son fils. Outre la correspondance qui s’installe entre l’espace de l’hôtel et celui du labyrinthe (énième exemple de l’angoissante symétrie formelle et thématique qui hante le film), la séquence soulève deux problèmes: l’un de point de vue, l’autre de mise à l’échelle.
Problème de point de vue, parce que seul le survol donne accès à la connaissance du labyrinthe : ainsi les labyrinthes antiques étaient-ils couverts car la vue surplombante donne accès à la vision qu’il faut à tout prix empêcher. Problème de mise à l’échelle, parce que ce qui s’offre à l’oeil cyclopéen de Jack est bel et bien de l’ordre d’une fantaisie lilliputienne.
Ce véritable onirisme gulliverien n’est autre que le point de vue adopté par le film – et par conséquent par son spectateur – dès la séquence initiale quand la caméra, accompagnant le trajet de la petite voiture des protagonistes vers l’hôtel, survole à grande vitesse les paysages montagneux des Rocheuses.

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