Sé­is­me d’Al Haouz: mis­si­on de re­con­nais­sance

Un puissant séisme a dévasté une partie du Maroc en septembre 2023, faisant plus de 2900 morts. Près de trois mois après le drame, la Société suisse du génie parasismique et de la dynamique des structures (SGEB) s’est rendue sur place pour examiner les dommages causés aux bâtiments et en tirer des enseignements pour la Suisse.

Publikationsdatum
15-10-2025

La province d’Al Haouz, au Maroc, est considérée comme une zone d’activité sismique faible à moyenne. Pourtant, dans la nuit du 8 septembre 2023, un violent séisme d’une magnitude Mw de l’ordre de 6.7-6.9 et d’un hypocentre estimé à une profondeur comprise entre 10 et 25 km a frappé le pays. Des séismes de cette ampleur pourraient également se produire en Suisse1. Une raison de plus de prêter attention à ce risque naturel et, en tant que scientifiques et ingénieur·es, de se faire une idée de la situation sur place.

Le Maroc présente une structure tectonique complexe, marquée par les interactions entre les chaînes de montagne du Rif, de l’Atlas et de l’Anti-­Atlas. Le pays a subi plusieurs séismes violents dans le passé, notamment à Fès (1624) et à Agadir (1731 et 1960). Les opérations de recherche et de sauvetage en lien avec l’événement de septembre 2023 étaient déjà terminées lors de notre mission de reconnaissance en novembre suivant. Les routes avaient été dégagées et, à Marrakech, la reconstruction avait déjà commencé après la mise en place de mesures d’urgence pour sécuriser les bâtiments touchés.

La plupart des bâtiments visités à Marrakech et dans les zones rurales de l’Atlas étaient des constructions traditionnelles. Celles-ci sont constituées de murs en pisé, de maçonnerie d’adobe ou de pierre naturelle, ou d’une combinaison des trois. Ces édifices comptent généralement un à trois étages et sont pour la plupart dotés de planchers traditionnels en bois. Les structures porteuses de nombreux bâtiments ont été plus ou moins modifiées au fil du temps, notamment par l’ajout de béton armé, et présentent donc une vulnérabilité sismique accrue.

Constructions en maçonnerie de pierre naturelle

Les bâtiments résidentiels en maçonnerie de pierre naturelle visités disposent généralement de petites pièces dotées de planchers en poutraison bois; les linteaux des fenêtres et des portes sont également en bois. La maçonnerie des murs porteurs est d’épaisseur variable sur la hauteur. Elle est généralement composée d’assises irrégulières de moellons faiblement équarris et souvent jointoyées avec du mortier d’argile.

La norme sismique RPCTerre pour le Maroc n’est entrée en vigueur qu’en 2011. Dès lors, de nombreux bâtiments ont été construits sans en tenir compte, les bâtiments traditionnels étant en partie construits sans planification technique ni contrôle de la qualité des matériaux utilisés. Ces constructions en pierre naturelle ne comportent inévitablement aucun élément spécifique de construction parasismique et présentent généralement une vulnérabilité sismique relativement importante. Plusieurs types de dommages et de défaillances caractéristiques de ce type de bâtiments ont pu être observés. Il s’agit notamment de fissures verticales le long des angles entre murs orthogonaux, dues à un chaînage d’angle insuffisant, du décollement interne entre parements muraux et du basculement hors du plan. En outre, les planchers sont souples dans leur plan et mal reliés aux murs; ils ne stabilisent donc pas les murs et contribuent à leur effondrement, en particulier hors-plan.

Constructions en terre (pisé et maçonnerie d’adobe)

La terre battue et la maçonnerie en briques de terre crue sont deux matériaux de construction fréquemment utilisés dans les zones étudiées, souvent en combinaison avec la pierre naturelle, générant ainsi une certaine hétérogénéité qui se traduit généralement par un accroissement de la vulnérabilité sismique. La partie inférieure du rez-de-chaussée est le plus souvent constituée de maçonnerie en pierre naturelle afin de protéger la terre crue contre l’humidité ascendante.

Les fissures verticales entre les murs orthogonaux ont également été l’un des types de dommages les plus fréquemment observés ici; en effet, la résistance à la traction des éléments de construction en terre n’était pas suffisante pour retenir un mur sollicité par une accélération horizontale hors de son plan. Les chaînages entre murs sont faibles, voire inexistants. Et lorsque l’imbrication des éléments d’angle et la résistance à la traction des éléments en terre étaient suffisantes pour éviter les fissures verticales, celles-ci apparaissaient dans des joints légèrement éloignés des angles. Le basculement hors-plan des murs ou parties de mur a été un type de défaillance fréquemment observé dans les constructions en terre.

Aussi, la transition entre différents matériaux ou les joints entre les blocs de pisé se sont avérés être un autre point faible de la plupart des constructions traditionnelles en terre examinées. En revanche, seuls quelques bâtiments présentaient des fissures obliques de cisaillement dans le plan.

Patrimoine culturel de Marrakech

La médina (vieille ville) de Marrakech est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO et constitue un conglomérat unique de styles architecturaux et de bâtiments. Ici, ce ne sont pas seulement la structure et les matériaux d’un bâtiment qui déterminent sa vulnérabilité sismique. En effet, la position d’une maison au sein d’un îlot bâti, les caractéristiques géométriques et structurelles des bâtiments adjacents ainsi que les liaisons entre eux jouent également un rôle important. Les principaux types de dommages observés dans la médina consistaient dès lors principalement en des basculements hors-plan de façades (tout ou partie) et des fissures verticales plus ou moins importantes proches des angles.

Les édifices sacrés, tels que les mosquées, présentent quant à eux des caractéristiques architecturales comme des arcs, des coupoles, des voûtes, des tours, des minarets, des arcades et des contreforts. Cette complexité structurelle peut les rendre très vulnérables en cas de tremblement de terre.

La plus grande mosquée de la ville est la mosquée Koutoubia, datant du 12e siècle; elle a été construite principalement en maçonnerie de briques, certaines parties des murs extérieurs étant construites avec des blocs de grès. Le minaret de 77 m de haut, en maçonnerie de pierre naturelle (grès), est de forme carrée et relativement élancé (rapport hauteur/largeur d’environ 5 pour 1). Après le séisme, des fissures ont été constatées dans la partie supérieure du minaret, qui a alors été stabilisé à l’aide de renforts en acier, cette mesure visant à ­empêcher l’augmentation des dommages en cas de nouveau séisme. Aussi, les balustrades ont également été stabilisées pour éviter qu’elles ne basculent et des étais soutiennent certains murs extérieurs de la mosquée. Sans accès au minaret ni à l’intérieur de la mosquée, il n’a pas été possible d’identifier tous les dégâts générés par le séisme.

Constructions plus récentes combinant béton armé et maçonnerie

Les principaux dommages observés pour ce type de construction sont concentrés dans les zones montagneuses situées à proximité de l’épicentre. Ces régions comptent une proportion importante d’habitations dont la structure porteuse est constituée d’éléments en béton armé remplis par de la maçonnerie. Cette méthode constructive qui s’est répandue progressivement à partir du milieu du 20e siècle dans les régions du Maghreb est devenue prédominante.

Les bâtiments observés comportent généralement un à trois niveaux, et la plupart ont été édifiés avant l’entrée en vigueur en 2011 du Règlement de Construction Parasismique RPS 2000. Comme l’indique la présence fréquente de fers en attente dans les piliers de toiture, et selon les témoignages recueillis auprès des habitant·es, ces constructions sont souvent réalisées de manière progressive, sur plusieurs années, voire générations. Il est donc probable que les prescriptions parasismiques applicables aux constructions neuves n’aient pas été mises en œuvre lors des surélévations.

Dans de nombreux cas relevés sur le terrain, les piliers ont été bétonnés après la mise en place des remplissages en maçonnerie, ce qui permet d’économiser les coffrages latéraux. De même, les sommiers de liaison avec les planchers semblent parfois coulés directement contre les assises supérieures de maçonnerie. Les planchers sont constitués de dalles à hourdis, mais le mode de liaison entre ces planchers et les sommiers liés à la maçonnerie reste difficile à identifier. Ainsi, la maçonnerie joue un rôle porteur partiel tout en étant faiblement confinée par des piliers en béton de qualité médiocre et faiblement armés.

D’un point de vue parasismique, bien que ces structures donnent l’impression de fonctionner comme des cadres, leurs caractéristiques constructives − notamment le faible taux d’armature (étriers et barres longitudinales), la faible qualité du béton et les petites dimensions des sections − ne permettent pas de leur attribuer, à elles seules, un rôle efficace de contreventement. Il s’agit plutôt d’éléments en béton armé confinant partiellement des pans de maçonnerie sollicités en compression, mais dont la résistance reste limitée par la qualité du matériau. En l’absence de calculs structurels et de contrôles réalisés par des ingénieur·es civil·es, la robustesse de ces constructions dépend largement du savoir-faire empirique des artisan·es. Celui-ci est directement lié à leur niveau de formation, leur expérience, et aux ressources disponibles − notamment sur les plans financier et humain − dans le secteur local du bâtiment. Par conséquent, la qualité de réalisation varie fortement d’un ouvrage à l’autre.

Enfin, dans les régions plus éloignées de l’épicentre − notamment autour de Marrakech −, les bâtiments en cours de construction observés semblent suivre les standards actuels définis par les normes marocaines. Toutefois, ces édifices récents, situés à environ 80 km de l’épicentre, n’ont pas fait l’objet d’inspections détaillées lors de la mission post-sismique.

Pertinence pour la Suisse

Malgré les grandes différences entre le patrimoine bâti marocain et suisse, les observations permettent néanmoins de tirer des enseignements sur la vulnérabilité des bâtiments dans notre pays. D’une part, les dommages subis par les bâtiments transformés (construction hétérogène au niveau des matériaux) montrent que toute transformation mal conçue et/ou mal réalisée peut accroître la vulnérabilité sismique d’un bâtiment. D’autre part, les observations relatives à la défaillance des matériaux tels que la maçonnerie d’adobe et le pisé sont pertinentes dans le cadre de la transition vers une construction plus durable et écologique. Pour finir, les bâtiments historiques, avec leurs façades élancées ou leurs tours, sont également vulnérables aux séismes. Qu’il s’agisse d’un minaret en Afrique ou d’un clocher en Europe, un tremblement de terre ne fait aucune différence. Tout au plus, le mode de construction.

Ce texte est une version traduite et adaptée d’un article paru en allemand sur espazium.ch le 06.01.2025.

Notes

 

1. Clementine Hegner-van Rooden, «Auch bei uns sind starke Schadenbeben möglich», espazium.ch, 09.12.2024

Rapport complet

Le rapport complet de la mission de reconnaissance a été publié en français: Meriton Beqiraj, Gustavo Cortés, Mylène Devaux, Afifa Imtiaz, Eric Lattion, Savvas Saloustros, Hamza Sehaqui et Yuhan Zhu.Rapport de la mission de reconnaissance SGEB, Séisme du 8 septembre 2023, Al Haouz, Maroc, SGEB 2024.