L’articulation entre les métiers d’architecte et d’ingénieur en France
Une question de personnes et de talents
En France, l’articulation des profils d’architecte et d’ingénieur fait débat. Une culture héritée du 19ème siècle fragilise le dialogue et la valorisation des doubles parcours, mais des personnalités et des stratégies émergent.
Si les cabinets anglo-saxons réunissent architectes et ingénieurs, la France assume mal une dichotomie des deux métiers. En 1793-1794, avec la création des Ecoles des Beaux-Arts et Polytechnique, les architectes imaginent des structures et les élèves de Polytechnique suivent des cours d’architecture. En 1870, l’éclatement des métiers entraîne une prépondérance des ingénieurs. Dénonçant l’incapacité de l’enseignement des Beaux-Arts à dépasser la composition, l’Ecole spéciale d’architecture, créée en 1865, vise à former un architecte plus ingénieur. La rationalisation de la construction liée aux reconstructions d’après-guerre amène les architectes à déposer des brevets. La collaboration entre architectes et ingénieurs réputés va parfois jusqu’à la confusion des rôles, mais les grands BET (Bureau d'études techniques, une société prestataire de services d'ingénierie), créés après la Seconde Guerre mondiale, prennent vite une place dominante au détriment de l’architecte « chef d’orchestre ». En 1973, les décrets sur les missions d’architecture et d’ingéniérie ont entériné un glissement sémantique substituant au terme d’architecte une « maîtrise d’œuvre » plus large. Avec les PPP ou des procédures conception construction, elle s’étend aux ingénieurs de l’entreprise, le rôle de l’architecte étant délibérément réduit au concept architectural et à son contrôle. Ceci contredit l’esprit de la loi MOP du 12 juillet 1985 qui régit les rapports maîtrise d’ouvrage publique / maîtrise d’œuvre et reconnaît implicitement le rôle de mandataire de l’architecte dans sa mission complète : de l’esquisse à l’avant-projet détaillé et comme conseil au maître d’ouvrage. Elle valorise l’idée d’une équipe pluridisciplinaire lui associant des BET structures et fluides et un économiste.
Quand d’autres pays prônent un partage des connaissances, on assiste donc en France à une lutte de territoires inégale entre les architectes, dont la profession est réglementée mais atomisée (90 % des agences emploient entre 0 et 3 salariés) et les ingénieurs en prise sur le secteur du BTP, avec des organisations qui font reconnaître leur spécificité auprès des pouvoirs publics et de la société.
L’architecte, une profession atomisée
La loi de 1977 sur l’architecture définit l’organisation de l’Ordre qui réunit 30 000 architectes, l’exercice de la profession, son rôle social, le port du titre, les responsabilités, les connaissances et la déontologie. La formation est assurée par 20 ENSA (Ecoles Nationales Supérieures d’Architecture), par l’INSA de Strasbourg, école d’ingénieurs et d’architectes seul établissement à avoir valorisé de longue date un double cursus et l’Ecole spéciale d’architecture (privée). Le cursus en cinq ans est suivi d’un an de HMONP (habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre) pour ceux qui s’y destinent. Une volonté de diversification tend à attirer les autres diplômés vers la maîtrise d’ouvrage, la programmation, ou les agences d’urbanisme au nom d’une culture mieux partagée, ce qui fait néanmoins craindre une perte de la spécificité du métier. Parallèlement, l’exercice individuel libéral diminue au profit des architectes associés. Malgré un syndicat professionnel (UNSFA) et le militantisme du Syndicat de l’Architecture, l’atomisation limite le poids des architectes et une reconnaissance élargie de leur rôle. Pourtant, outre la responsabilité liée à leur statut, leurs compétences de synthèse pour mener un projet sont souvent reconnues.
Les ingénieurs et leur sphère d’influence
Ni Ordre ni organisation professionnelle exclusive pour les ingénieurs : le titre et la fonction n’étant pas protégés, seul le titre d’« ingénieur diplômé » l’est. 250 écoles habilitées sur agrément de la Commission des titres d’ingénieur (CTI) le délivrent. Le cursus en cinq ans a rang de master. L’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat forme des généralistes de l’aménagement. Les Centraliens et les Arts et Métiers rejoignent généralement les BET. L’Ecole supérieure du bâtiment et des travaux publics (ESTP) est un vivier pour les entreprises qui apprécient aussi la filière génie civil des INSA. La classification par écoles se réduisant, les master universitaires font leur place parmi les 70 000 ingénieurs en génie civil du pays.
Dans le parcours des grandes écoles, les premiers de Polytechnique peuvent devenir «X-Ponts» en intégrant l’école de spécialisation des Ponts et chaussées, puis le corps des ingénieurs des Ponts qui tiennent les grands postes du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie du Développement durable et de la Mer (MEEDDM) et exercent aussi dans d’autres ministères. Depuis le 18?e siècle, ce corps de fonctionnaires exerce son pouvoir sur le bâti et l’aménagement du territoire. Le président du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) et celui de l’AFNOR (Association Française de Normalisation) en sont issus.
Des doubles parcours perfectibles
Plus qu’une communion des disciplines, c’est le voisinage des écoles d’architecture et d’ingénierie qui fonde des partenariats. Depuis 1996, Les INSA et les ENSA ainsi que les Ecoles Centrales et les ENSA de plusieurs villes ont créé des doubles parcours en sept ans.
Etre ingénieur X-Ponts et architecte ouvre des perspectives captivantes au vu des parcours de Paul Andreu auprès d’ADP ou de Jean-Marie Duthilleul à la tête d’AREP. Ces structures publiques rivalisent avec les agences anglo-saxonnes sur les marchés internationaux. Belle figure d’«électron libre», Marc Mimram, diplômé de l’Ecole des Ponts et architecte précise que si dans sa façon de travailler, «les deux compétences sont indissociables, un double profil n’est pas indispensable. Nul ne doit abandonner sa culture, mais tout ce qui rapproche architectes et ingénieurs est précieux.» A la vision pessimiste qui substitue au clivage traditionnel architecte artiste / ingénieur cartésien, l’architecte captivé par l’image et l’ingénieur féru de commerce, il oppose l’idée positive selon laquelle l’informatique dans ses liens transdisciplinaires peut unir la pensée. Enseignant à l’Ecole des Ponts, il a créé avec l’ENSA Marne un double cursus qui offre aux étudiants des enseignements communs structures et architecture et débouche pour certains sur une formation complète parfaitement symétrique qui prépare les ingénieurs à l’approche sensible des projets et renforce les architectes sur le plan structurel.
Des clivages aux perspectives
«La dichotomie entre les métiers entraîne des difficultés pour maîtriser l’ensemble de la filière, notamment sur des opérations publiques complexes attribuées par appel d’offres au gré des mariages architectes BET. Dans le privé, et dans un contexte de plus en plus international, les cabinets anglo-saxon pluridisciplinaires sont souvent privilégiés car ils sont apparemment plus efficaces», indique Cédric Dumesges, ingénieur et directeur projets immobilier à l’APHP.
Sur un chantier, on reproche parfois à l’architecte de n’avoir pas toutes les compétences, mais chez les ingénieurs, la finance et l’informatique étant désormais plus attractives que la construction, les difficultés de recrutement pénalisent les BET dont la gestion limite aussi le temps voué à des études complexes au profit de données standardisées. Même le double profil «architecte centralien» ou «ingénieur des ponts architecte» n’est pas garant de pragmatisme, d’autant que les savoir-faire des entreprises déclinent. Manquant d’interlocuteurs compétents et porteurs de la responsabilité liée au permis de construire, les architectes tentent d’y palier avec des chefs de projets expérimentés en chantier ou en s’entourant d’ingénieurs spécialisés. D’autres sous-traitent la mission chantier, ce qui n’est pas toujours judicieux. Valode et Pistre, une grande agence, a renforcé la pluridisciplinarité en créant des sociétés de « métiers associés » dont VP & Green pour l’ingénierie. Quant à l’agence AIA, elle réunit architectes et ingénieurs.
En France, tout repose donc avant tout sur des personnalités et des talents. La question cruciale d’apprendre à mieux travailler ensemble, l’articulation politique des pouvoirs interprofessionnels, la structure des formation et les options culturelles conditionnent la définition des rôles. Le climat actuel incitera-t-il les organisations professionnelles à inventer une solidarité nouvelle? Améliorer la formation des ingénieurs en misant sur la recherche et l’innovation peut apparaître comme une piste qui pourrait déboucher sur des méthodes de travail adaptées à la diversité des projets, qu’il s’agisse de prototypes ou d’architecture plus standardisée.
Christine Desmoulins est journaliste collaboratrice de la revue d’a
L’Ordre des architectes
Année de fondation : 1977
Forme juridique : organisme de droit privé chargé de missions de service public
Nombre de membres : 29 000 architectes, agréés en architecture et détenteurs de récépissés remplissant les conditions fixées par la loi pour exercer leur profession : diplôme, déontologie, assurance, droits civils.
Fonction : Les Conseils régionaux de l’Ordre ont pour mission principale d’assurer la tenue du tableau régional qui recense tous les architectes, agréés en architecture et sociétés d’architecture exerçant sur leur territoire de compétence. Les Conseils régionaux ont qualité pour défendre le titre d’architecte et veillent au respect du code des devoirs professionnels. La violation des règles du Code par l’architecte peut entraîner des sanctions disciplinaires prononcées par les chambres de discipline. Les Conseils régionaux de l’Ordre peuvent intervenir dans l’organisation de la formation permanente et plus généralement de la promotion sociale des architectes.Ils peuvent enfin contribuer au financement d’organismes participant de la vie de la profession.
Organes : L’Ordre des architectes se compose de 26 Conseils régionaux et d’un Conseil national.
Critères d’admission : diplôme d’architecture d’Etat ou autre titre d’architecte reconnu. L’inscription à l’Ordre des architectes confère le droit d’exercer la profession et de porter le titre d’architecte.
Publication officielle : Les Cahiers de la profession sont édités trimestriellement par le Conseil national de l’Ordre des architectes. Ils sont disponibles sur demande au CNOA.
www.architectes.org Le Conseil national des ingénieurs et scientifiquesLe CNISF compte plus de 160 000 membres directs et indirects, et représente 450 000 ingénieurs et scientifiques.
Organes : Elle fédère plus de 160 associations de diplômés et anciens élèves d’écoles d’ingénieurs et une trentaine de sociétés d’ingénieurs et scientifiques. Elle est présente sur tout le territoire français par le biais de 23 Unions régionales des ingénieurs et scientifiques (URIS) ainsi qu’à l’étranger (13 sections).
Année de fondation : 1992, de la fusion de trois grandes associations représentatives des ingénieurs et scientifiques français : la Société des ingénieurs et scientifiques de France (ISF), la Fédération des associations et sociétés françaises d’ingénieurs diplômés (FASFID), le Conseil national des ingénieurs français (CNIF).
www.cnisf.org Un ingénieur des ponts et chausséesLe corps des ingénieurs des ponts et chaussées était, jusqu’au 1er octobre 2009, un corps technique d’encadrement supérieur de la fonction publique d’Etat, à vocation interministérielle. C’était également le principal corps technique d’encadrement supérieur du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. On comptait, en 2005, 864 ingénieurs du corps des ponts et chaussées en activité dans la fonction publique, sur un total d’environ 1750. Les membres de ce corps étaient en majorité d’anciens élèves de l’Ecole nationale des ponts et chaussées (ENPC), les autres provenant de promotions internes ou de fusions avec d’autres corps d’ingénieurs intervenues dans les dernières années. [Source : wikipédia] ConcoursEn France, les concours sont également régis par les directives européennes. Toutefois, la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) éditent des recommandations qui sont très souvent suivies. Pour certains points, cette mission travaille en étroite collaboration avec l’Ordre des architectes dont le rôle est principalement celui de veille et de «contrôle» du bon déroulement des concours. Vers de nouveaux logements sociaux 2Toutes les images servant à illustrer cet article proviennent de l’exposition Vers de nouveaux logements sociaux 2, présentée à la cité de l’architecture à Paris.
L’exposition s’articule en deux parties. La première présente seize opérations de différentes échelles, sélectionnées dans l’Hexagone, de Saint-Nazaire à Mérignac, Paris ou Lyon, pour l’intérêt de leur démarche, qu’elle se définisse de manière constructive, urbaine, ou en termes d’usage. De nouvelles typologies de l’habitat s’affirment ainsi dans le champ de la mixité sociale et programmatique, en centre ville, en périphérie, mais aussi en milieu rural.
La seconde partie élargit le cadre et met en perspective. Différents éléments de comparaison, présentés pour la plupart sur écrans, se développent en cinq sections : les jalons de l’histoire du logement social en France au 20e siècle ; les projets présentés dans la précédente édition de l’exposition (2009-2011) qui sont aujourd’hui construits, comme la transformation de la tour Bois-le-Prêtre à Paris ; d’autres démarches intéressantes repérées en France dans différents contextes ; le programme spécifique du « logement étudiant » dans l’Hexagone ; et, finalement, un panorama européen faisant état de la vitalité de la production dans le domaine de l’habitat social, des Pays-Bas à l’Espagne en passant par la Belgique et la Croatie.
Christophe Catsaros