Ar­chi­tec­tes sans ar­chi­tec­tu­re: in­tro­duc­tion à la Bi­en­na­le de Ve­ni­se

Silvia Berselli, correspondante de la revue Archi, livre une introduction sur la Biennale en forme de panorama critique. Si elle salue la présence de l’Afrique, elle regrette aussi de devoir chercher l’architecture.

Publikationsdatum
20-07-2023

D’entrée de jeu, la nomination de la commissaire Leslie Lokko, architecte et écrivaine née en Écosse mais d’origine ghanéenne, a conféré un caractère politique à cette biennale. Sa biographie personnelle l’a naturellement amenée à se pencher sur le thème de la diaspora africaine, orientant la sélection des participant·es de manière à présenter sur la lagune les travaux de jeunes praticien·nes (moyenne d’âge: 43 ans) et se situant en dehors des circuits établis de la discipline. L’exposition principale, sous la direction de la commissaire, a le mérite de présenter des œuvres qui tentent de donner une voix à tous·tes, et surtout à un continent jusqu’alors négligé – dans le sillage du commissariat d’Alejandro Aravena, qui avait ouvert la voie en 2016. Si l’on prête attention aux légendes, souvent essentielles pour comprendre les œuvres, on remarque que les participant·es sont né·es sur le continent africain, mais ont étudié dans de prestigieuses universités américaines ou travaillent dans des bureaux établis dans des capitales européennes. Une photographie placée à côté des textes de présentations permet de réaffirmer leurs origines. Or la globalisation n’a pas les mêmes règles pour tout le monde et se rendre en Europe n’est toujours pas aisé pour les ressortissant·es africain·es: la commissaire a dû renoncer à la présence de trois de ses plus jeunes collaborateurs, qui n’avaient pas obtenu le visa nécessaire de la Farnesina pour se rendre à Venise, déclenchant une controverse médiatique qui, espérons-le, se transformera en prise de conscience.

Certains projets présentés nous semblent profondément occidentalisés – non pas tant dans leurs géographies ou leurs thématiques que dans leurs processus –, comme en témoigne la grande salle où David Adjaye expose des maquettes d’imposants bâtiments publics attendant d’être transformés en icônes, et laissent entrevoir, au-delà d’un leitmotiv de revendications post-coloniales, les subtils écueils de l’hyper-colonialisme. Pour découvrir une contribution authentiquement africaine à la discipline, il faut visiter le pavillon des livres et la petite exposition consacrée dans cet espace au lauréat du Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière. Demas Nwoko, né en 1935, est un artiste, conférencier et architecte nigérian aux multiples facettes, qui s’est engagé à construire en utilisant uniquement des ressources locales. Il a produit des formes plastiques intégrant des systèmes simples de contrôle passif du climat, qui ont en même temps une valeur expressive. La voie tracée par Nwoko et quelques autres participants, dont l’Atelier Masōmī, semble montrer une alternative intéressante pour l’Afrique, entre deux extrêmes : l’adoption des langages et méthodes occidentaux et le retour aux éléments vernaculaires afro-chics. Un projet durable et autonome semble possible, mais l’occasion de lui donner plus d’espace dans l’exposition est manquée.

À l’Arsenale comme dans les Giardini, on a l’impression que le passage aux années impaires imposé par la pandémie depuis la dernière édition a confondu la biennale d’architecture avec celle de l’art contemporain, générant une profusion d’installations, de performances, d’événements, de processus et, surtout, un flot de vidéos qui transforment la visite en une expérience proche du zapping. Le dépassement des frontières disciplinaires est certainement souhaitable dans une société liquide, globale et interconnectée, mais un doute se fait sentir, celui que quelque chose a été laissé de côté : les fondements mêmes de la conception. L’architecture est absente de cette Biennale.

Le pavillon italien accueille le visiteur par un grand vide uniquement peuplé d’un écran géant et présente dans la deuxième salle neuf installations illustrant neuf micro-interventions issues de démarches participatives. Ce thème est également étudié par le collectif Decolonizing Architecture Art Research (DAAR – Lion d’or de la meilleure participation) ainsi que dans les pavillons nationaux. La participation représente l’un des nombreux tessons qui composent la mosaïque de possibilités offertes aujourd’hui à la profession d’architecte, bien au-delà du classique «de la cuillère à la ville». Cette année à Venise, l’architecture assume plutôt un rôle social, en traitant de journalisme d’investigation (Killing Architects), de droits et de minorités ethniques (Canada), de réappropriation territoriale et de redécoupage des frontières (Autriche et Suisse), de dénonciation des mécanismes du capitalisme (Lettonie). Les nostalgiques de l’architecture faite de maquettes, de dessins, d’esquisses, en revanche, trouveront leur compte dans la profusion de créations de Flores y Prats, une pépinière de projets de récupération de l’existant qui témoignent d’une grande recherche de qualité, présentées dans des coffrets de voyage, prêts à partir.

L’un des principaux thèmes abordés par la Biennale est celui des ressources et de leur utilisation. Ainsi de nombreux pavillons présentent un sol recouvert de terre, y compris le lauréat (pavillon du Brésil), qui offre par ailleurs une énième réinterprétation du mythe fondateur de Brasilia et une installation qui devrait être tournée vers l’avenir – mais qui n’en montre aucune trace. Le sol en terre était révolutionnaire sous les pieds des danseurs de Pina Bausch ou dans le théâtre shakespearien de Brook et Ostermeier: ici, c’est du déjà-vu. De nombreuses recherches visent à optimiser les ressources en évitant les déchets (Bahreïn, Finlande, Pays-Bas, Espagne), à sauvegarder la biodiversité (Chili) ou à produire de nouveaux matériaux de construction naturels et renouvelables (Belgique). La volonté d’étudier un thème qui, au moment même de l’inauguration de la Biennale, s’est révélé d’une actualité brûlante, est récurrente dans de nombreuses recherches : le rapport entre la construction et l’eau. Les inondations meurtrières en Emilie-Romagne, survenues pendant l’inauguration de la Biennale, illustraient bien l’urgence de plusieurs travaux sur le sujet, consacrés à l’étude des embouchures de fleuves (Philippines), des structures en contact avec l’eau ou sous l’eau (Argentine, Grèce, Géorgie), ou encore des villes côtières (Danemark).

Outre le circuit classique de la Biennale, Venise présente un riche éventail d’offres réparties dans toute la ville: au Palazzo Franchetti, l’exposition monographique de Kengo Kuma et le pavillon du Qatar ; sur l’île de San Giorgio Maggiore, les espaces du Saint-Siège et de la Fondation Cini; dans le centre, les trois sites du Centre culturel européen et bien d’autres choses encore. À ceux qui se rendent à Venise à la recherche d’architecture, nous recommandons des chaussures confortables, car ils devront marcher de nombreux kilomètres pour la trouver.

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