L'in­con­sci­ent ar­chi­tec­tu­ral de la ville est ci­né­ma­to­gra­phi­que

Editorial de Christophe Catsaros du numéro 04/2018

Publikationsdatum
22-02-2018
Revision
22-02-2018

Après l’exposition monographique sur Hannes Meyer, le plus révolutionnaire des directeurs du Bauhaus, la CUB, fondation conçue pour accompagner la création d’une institution dédiée à la culture du bâti au sein du pôle muséal lausannois, inaugure son deuxième projet d’envergure: ÉCRANS URBAINS, un panorama de films sur la ville, le paysage et l’architecture. Cinq jours dans six salles différentes, une trentaine de films dont une majorité projetés pour la première fois en Suisse, des rencontres avec les réalisateurs, des débats et une installation au f’ar: avec ÉCRANS URBAINS la Romandie se dote d’un évènement inédit, autour d’un genre documentaire habituellement classé, pour faire simple, sous la bannière «film d’architecture».

Ce rendez-vous vient-il combler un quelconque besoin? Ce qui est certain, c’est que des évènements du même type font leur apparition depuis quelques années, un peu partout en Europe: Rotterdam, Lisbonne, Copenhague, pour n’en citer que les plus importants. Au-delà d’un certain effet de mode qui contribue à la montée en puissance du phénomène, J’aimerais proposer deux explications afin d’éclairer cette convergence entre le cinéma et l’architecture.

La première raison serait que l’expérience cinématographique, collective (et donc forcément politique), convient dans sa structure à un questionnement sur la culture du bâti. Il y a une certaine cohérence formelle au fait de se poser des questions sur la ville, sa forme et ses représentations, dans le cadre d’une expérience collective dans un espace donné. A l’heure du règne sans partage du nouvel individualisme numérique, regarder un film dans une salle constitue quasiment un acte de résistance.

A cette «communion» par le cinéma s’ajoute un deuxième aspect qui rend fécond la rencontre entre cinéma et architecture. Le cinéma, pour avoir été et pour être toujours le plus malléable et le plus accessible des supports de notre inconscient collectif, nous parle, parfois à son insu, des villes et de notre façon de les occuper.

Le cinéma est le rêve diurne du milieu dans lequel s’inscrit la communauté. Il permet de saisir à un instant donné l’esprit d’une époque, ses idées, son ethos, ses représentations, son rapport à la cité édifiée, ou encore celle en train de l’être. Le champ qui s’ouvre, une fois cela établi, est infini. On peut considérer la cinématographie mondiale, depuis sa création, comme une source intarissable pour alimenter une sociologie de l’urbain. On peut, tels des archéologues du 3e millénaire, scruter des courtes séquences dans des films improbables, à l’affut de telle façade à jamais disparue, d’un bâtiment mythique en chantier, ou d’un intérieur que l’on croyait à jamais perdu mais qui se retrouve, comme par miracle, saisi sur la pellicule. On peut surtout laisser les films nous raconter comment le bâti structure les rapports sociaux, comment telle forme de ville correspond à telle société, etc... Le cinéma raconte le 20e siècle comme la littérature a pu raconter le 19e. En cela le croisement de la théorie architecturale et de la théorie cinématographique dessine un nouveau champ de la connaissance. 

Regarder Blade Runner en archéologue des années 1980, scrutant les signaux annonciateurs de notre ethos écologique et de notre condition numérique, dans une façon de représenter l’homme du futur (le réplicant persécuté) et son milieu (la mégalopole dystopique) est tout à la fois un travail savant et un gai savoir ouvert à tous.

Le 27 février au Capitole, nous ferons un peu des deux.