Fin­ding Bru­ta­lism

Un recueil photographique sur l’architecture brutaliste en Grande-Bretagne

Publikationsdatum
04-10-2017
Revision
12-10-2017

Qu’est-ce qui fascine dans le brutalisme ? Ce mouvement des années 1960-1970, considéré comme le virage critique de la modernité en architecture, continue à susciter de l’attention, des articles et des prises de positions engagées des défenseurs du patrimoine récent.

Il est vrai que nombre de ces grands ensembles ayant parfois mal vieilli sont aujourd’hui menacés. Mal isolés, ils s’adaptent difficilement aux nouveaux impératifs énergétiques prescrivant un renforcement de l’isolation. Leur forme atypique rend souvent difficile le doublement des parois par l’extérieur.

Doit-on rappeler la démolition, actuellement en cours, d’un des ensembles les plus célèbres des Smithsons ? Robin Hood Gardens n’est plus, comme n’est plus l’école Pimlico, remise sur le devant de la scène par l’OMA, à la Biennale de Venise de 2012.

Les qualités de cette architecture plastique et spatiale suffisent-elles pour expliquer l’engouement qu’elle suscite ? A l’heure de l’hyper-normativité et du bridage de plus en plus poussé de la créativité formelle des architectes (seules les stars pouvant encore « créer » des formes), serions nous admiratifs d’une époque où l’architecture anonyme pouvait faire l’objet d’une véritable expérimentation formelle ?

Le récent ouvrage monographique du photographe anglais Simon Phipps, aux éditions Park Books, pourrait éclairer cette attirance à certains égards nostalgique pour une architecture qui a pourtant ostensiblement échoué à mettre en place ce qu’elle proclamait.

Car il faut bien le constater, cela fait déjà longtemps qu’aucun architecte, journaliste ou enseignant universitaire n’habitait plus à Robin Hood Gardens. L’armée d’essayistes et de bloggeurs qui défendent cette architecture héroïque n’y passaient pas plus d’une après-midi.

On aime s’y rendre lors de journées pluvieuses, y promener sa mélancolie d’homme ou de femme, curieux et téméraire, mais y vivre est une toute autre affaire.

Les grands ensembles brutalistes ont surtout dépéri car la classe moyenne les a lâchement fuis. Les quelques exemples de grands ensembles de ce type ayant vraiment su garder une population aisée doivent leur attrait à des facteurs exogènes. Une centralité inégalée pour l’ensemble Barbican de Chamberlin, Powell & Bon, par exemple.

Dans la plupart des cas, les grands ensembles brutalistes ont progressivement troqué leurs occupants les plus aisés contre des nouveaux arrivants moins riches, jusqu’à se transformer, dans certains cas, en lieu de relégation.

L’échec du brutalisme est celui d’une génération d’architectes persuadés que le contexte bâti et l’intelligence spatiale à elles seules pouvaient restituer l’attrait qui manquait à l’urbanisme moderne. Le brutalisme est beau, théâtral, dramatique, mais cela ne suffit pas.

La succession d’images dépeuplées et éminemment tristes de Phipps permet d’entrapercevoir une autre filiation qui mérite d’être plus profondément analysée. Celle qu’entretient cette architecture avec sa propre ruine. Y a-t-il dans le brutalisme, au-delà de l’esprit du jeu et d’une certaine expérimentation spatiale, quelque chose qui pourrait s’apparenter à une pulsion de mort, c’est-à-dire une disposition à jouir de sa propre déchéance ?

Les formes post-apocalyptiques, la monumentalité parfois écrasante permettent de le penser. Si cette architecture a échoué, c’est aussi pour avoir trop porté en négatif la destruction qui l’a précédée, celle de l’urbicide de la Seconde Guerre mondiale.

Mais il s’agit là d’une question beaucoup trop complexe pour entrer dans cet article, ou même dans l’ouvrage photographique de Philips. Révéler le lien du brutalisme à la destruction aérienne afin d’en saisir le déclin actuel serait le projet d’un ouvrage à part entière.

 

FINDING BRUTALISM

 

Simon Phipps, Park Books Zürich, 2017, ISBN 978-3-03860-064-0 / fr. 39.–

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