Ar­chi­tec­tu­re pa­ni­que

Le Silo se penche ici sur "Things to Come", réalisé par William Cameron Menzies en 1936. Ce film d'anticipation couvre près d'un siècle d'histoire et traite ainsi de la problématique de la guerre aérienne.

Publikationsdatum
03-06-2014
Revision
15-10-2015

En 1933, voyant venir la guerre, H. G. Wells imaginait un récit de science-fiction anti-militariste, The Shape of Things to Come, dans lequel le narrateur observe : « La guerre aérienne réclame désormais impérieusement qu’on érige des fortifications non plus autour de la ville, mais par-dessus la ville. Dans les années 1930, on n’avait pas encore compris que la modernisation et la reconstruction de l’habitat étaient des solutions économiques. Ce n’est qu’à partir de 1942, sous l’effet de la panique, des bombardements, du gaz et à la faveur de l’extrême dépérissement du monde, qu’on a commencé à repenser l’architecture de fond en comble. » Trois ans plus tard, la fable était adaptée au cinéma par William Cameron Menzies (sous la supervision du romancier). Quatre ans après la sortie du film, la Luftwaffe bombardait Londres. 

Things to Come est un film d’anticipation couvrant près d’un siècle d’histoire. Le récit débute en l’an 1940 dans les rues d’Everytown sur fond de rumeurs de guerre. Pippa Passworthy est convaincu que le pire sera évité et que la guerre, si elle doit être déclarée, n’arrêtera pas le progrès (au contraire). Il se trompe deux fois. Les premiers bombardements ont lieu le soir même. La guerre dure et le monde n’est bientôt plus qu’un vaste tas de décombres. 1960 : un bulletin d’information grossièrement imprimé augure de la cessation prochaine des hostilités. 1970 : c’est un crieur de rue qui annonce la fin de la guerre. La société a techniquement et politiquement régressé : on circule sur des charrettes, la peste sévit et des seigneurs de guerre ont pris le pouvoir.

Le caïd qui règne sur ce qu’il reste d’Everytown – le personnage emprunte librement à la figure de Mussolini (d’où l’interdiction du film en Italie) – n’a pourtant pas renoncé au ciel. Mais le carburant manque et dans un monde incapable d’exploiter les ressources du sol, sa misérable escadrille ne risque pas de décoller. Ironie de l’histoire : l’homme a conquis le ciel après s’être aventuré sous terre où – en 2036 – il finira tout bien réfléchi par se réfugier, une providentielle brigade de pilotes-ingénieurs (Wings over the world) œuvrant sagement à la reconstruction d’une moderne « cité céleste » souterraine.

A propos de Metropolis (1926), H. G. Wells a écrit des pages impitoyables, tenant l’œuvre de Fritz Lang pour l’un des films les plus stupides de l’histoire du cinéma. Dans la cité idéale de Things to Come, conçue par Wells comme une « réfutation » de la prémonition langienne, on se retourne sur l’histoire des villes en visionnant des films sur des écrans LCD. A la vue d’une image montrant le skyline de la « ville debout » dans les années 1930, une petite fille interroge son grand-père qui lui explique comment l’architecture – après avoir été soumise pendant quatre siècles au vertige des hauteurs et au dogme de la fenêtre – est finalement sortie des ténèbres en s’enterrant. A notre tour, on aimerait extrapoler et demander au père de la science-fiction moderne à quoi refuse de s’exposer une ville sans fenêtres.