Agir plu­tôt qu'at­tendre

Avec le projet «La Suisse 2050», la SIA travaille à une vision qualitative de notre futur cadre de vie. La démarche interdisciplinaire adoptée est aussi originale que l’esprit d’ouverture qui l’anime. L’avenir n’est pas une affaire d’annonces prospectives, mais le résultat du travail conceptuel fourni par des professionnel-les des études
et de la planification.

Publikationsdatum
20-04-2017
Revision
27-04-2017

ll y a deux ans, la SIA lançait le projet d’avenir intitulé « La Suisse 2050 », dans le but d’élaborer une vision pour la Suisse à l’horizon 2050 et d’en promouvoir la mise en œuvre. Dans cette optique, la SIA a défini les exigences auxquelles elle estime que ce futur cadre de vie doit répondre. Celles-ci n’ont rien de nouveau : qualité de vie élevée, usages et aménagement durables du territoire et du bâti, environnement protégé, approvisionnement énergétique efficient et solutions de mobilité efficaces. Le projet n’en représente pas moins une entreprise inédite, dans sa méthode, comme dans son esprit.

Une vision holistique et optimiste


«La Suisse 2050» relève d’une démarche transdisciplinaire et inclusive. Il ne s’agit donc pas de résoudre des problèmes de territoire, d’infrastructures, de trafic, d’aménagement et d’urbanisme ponctuels, mais de comprendre les relations entre différents facteurs et acteurs afin de les exploiter. Cela implique une approche holistique excluant les réflexions sectorielles – approche insolite à l’heure de la spécialisation. Plutôt que de dissocier des problématiques complexes pour les confier à des experts qui travaillent séparément et dont les conclusions seront difficilement compatibles, il s’agit de parvenir à une vision commune. Ce n’est qu’une fois l’objectif fixé que les différentes disciplines seront amenées à plancher sur leurs tâches respectives. Cela concerne non seulement les bâtisseurs de toutes obédiences, mais également les sciences humaines et sociales.
Cette volonté d’élaborer une vision tranche heureusement avec les méthodes de la recherche prospective. Une vision peut, dans un premier temps, complètement s’affranchir du réel, tandis que les pronostics établis par des prévisionnistes découlent d’un contexte initial existant. La prospective commence par analyser le passé et le présent, afin d’identifier les développements à l’œuvre, puis elle leur applique divers modèles de calcul pour en extrapoler les possibles effets. Autrement dit, la prospective observe des voies déjà balisées pour en prédire le cours et elle établit la probabilité de différents scénarios auxquels l’humanité devrait se préparer. Soit une démarche qui, au fond, véhicule l’idée plutôt fataliste selon laquelle on pourrait réagir au futur, mais pas vraiment l’infléchir.
A l’inverse, le projet «La Suisse 2050» modifie l’angle de vue et fait souffler un vent d’optimisme – en prenant l’exact contrepied d’une telle approche. Il bâtit une vision idéale du cadre de vie, avant d’examiner comment les évolutions en cours peuvent être canalisées et exploitées pour concrétiser cet idéal. Il ne s’agit plus de s’accommoder au mieux de l’avenir, mais de le concevoir et de le façonner dans un esprit plus léger et enthousiaste. Autrement dit, de se fixer un but sans tabou, puis de chercher les moyens adéquats d’y parvenir.

Les concepteurs se manifestent


Ce projet relève d’un mandat que la SIA s’est elle-même donné. Il découle de la conviction que, comme association interdisciplinaire de professionnels de la construction, elle a la compétence – et le devoir civique – de promouvoir un débat public sur l’avenir de la Suisse. C’est un appel exhortant tous les bâtisseurs à réfléchir à la véritable finalité de leur action – au-delà de leur pratique quotidienne et des mandats concrets qu’ils assument. Car ce que nous bâtissons aujourd’hui reviendra à nos enfants.
Notre influence sur la forme que prendra réellement le cadre de vie qui sera celui de la Suisse en 2050 n’est du reste que marginale; des évolutions telles que le changement climatique ou l’explosion démographique sont bien plus lourdes de conséquences que des planifications locales. Il est donc d’autant plus important que la Suisse tire parti de sa situation privilégiée pour exploiter au mieux la marge de manœuvre dont elle dispose, aussi modeste soit-elle. Elle peut en effet se permettre de tester et de mettre en œuvre des propositions d’aménagement durables, lesquelles sont susceptibles de déboucher sur des perspectives applicables à bien plus grande échelle.

Donner vie au tigre de papier


Certes, ce projet aussi ambitieux qu’atypique pour une Suisse habituellement prudente n’en est qu’à ses prémices. Il n’empêche: qu’une réflexion de ce type voit le jour indique que la branche des études pour la construction entend affermir sa liberté de pensée et son poids politique. C’est une très bonne nouvelle.
Il s’agit maintenant de traduire l’intention affichée en actes. Les premiers résultats issus de la phase initiale sont disponibles et ont été partiellement publiés (www.sia.ch/die-schweiz-2050). Des échanges impliquant des centres de compétence et des représentants des pouvoirs publics ont eu lieu et sont appelés à se poursuivre sous différentes formes (lire l’article de Paul Knüsel, p. 16). Or, il serait également souhaitable que des appels à idées, des ateliers ou des auditions réunissant des élues et élus locaux soient organisés dans différentes régions.
Mais ce qu’il faut avant tout, c’est un débat large et ouvert – entre professionnels de la branche des études et au sein du public. Car si l’on ne veut pas que la vision élaborée rejoigne des milliers d’autres analyses, idées, planifications tests et rapports d’experts au fond d’un tiroir, mais qu’elle modifie la politique d’aménagement de la Suisse, il faut que le grand public puisse s’y rallier. Elle doit atteindre le degré de pertinence et de maturité politiques nécessaires pour être soumise au corps électoral. C’est à ce moment-là seulement qu’on verra si la SIA parvient à ancrer l’expertise rassemblée par ses membres dans l’action politique réelle.

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