Un en­droit a priori im­pos­sible

Au cœur de l’action plutôt qu’à la marge: si la devise n’existait pas, il faudrait l’inventer pour le périmètre Zwicky. Coincée entre des bretelles d’autoroute à plusieurs voies et un viaduc ferroviaire, la parcelle de 24 ha qui accueillait l’ex- filature Zwicky se situe à l’intersection des communes de Zurich, Wallisellen et Dübendorf. Dans cette zone au bord de la Glatt, une nouvelle forme de ville, la Glattalstadt, est actuellement en gestation – et le lotissement Zwicky Süd, porté par Kraftwerk1 dans la subdivision E, est l’un des acteurs les plus intéressants de ce développement.
Jusqu’en 2001, l’entreprise a fabriqué ici des fils à coudre et à tisser, puis la production a été délocalisée à l’étranger pour des raisons économiques. L’hoirie souhaitait voir s’y implanter un nouveau quartier à usages mixtes, qui maintienne et intègre les bâtiments historiques de l’usine. Un projet tout à fait dans l’air du temps: depuis la mise en service du tramway du Glattal en 2010 (distingué par Umsicht– Regards – Sguardi en 2011), l’image de banlieue anonyme auparavant accolée à l’agglomération nord de Zurich a en effet fait place à celle d’une zone urbaine en plein essor. D’ici 2030, la région englobant Opfikon, Wallisellen et Dübendorf devrait ainsi accueillir jusqu’à 120'000 habitants et autant d’emplois supplémentaires, si bien que la demande en surfaces résidentielles et commerciales y est très soutenue.

Clarté programmatique pour un contexte difficile
L’implantation d’un nouveau quartier dans la subdivision E a mobilisé plusieurs partenaires, à commencer par la coopérative d’habitation Kraftwerk1, dont le savoir-faire dans des contextes délicats était déjà attesté par les lotissements Hardturm (1999–2001) et Heizenholz (2011). Quant aux promoteurs de l’opération, ils réunissent l’entreprise saint-galloise Senn Resources et les conseillers en immobilier Wüest & Partner, la première ayant aussi à son crédit le complexe artisanal Nœrd à Zurich Oerlikon, qui a obtenu une distinction lors de l’édition 2013 de Umsicht – Regards – Sguardi (architecte: Beat Rothen Architektur, Winterthur).
Le mandat d’études parallèle lancé entre cinq équipes de projet en 2009 a été remporté par le bureau d’architecture zurichois Schneider Studer Primas. Celui-ci a répondu par une grammaire simple aux difficultés que présente le site: quatre bâtiments écrans placés en limite de parcelle pour la couper du bruit, deux blocs au centre pour atteindre la densité requise et des halles à usage commercial peu élevées pour animer le socle. La liaison entre les volumes est assurée par deux passerelles piétonnes métalliques, qui reprennent ainsi du service dans l’agglomération après une première mise en œuvre lors de la réhabilitation de la place Escher-Wyss à Zurich.
Un vocabulaire différencié vient ensuite décliner ces grands principes: le lotissement achevé en 2016 offre 126 logements d’une extrême diversité, allant du studio-atelier à de grands appartements «cluster» comptant jusqu’à 13.5 pièces. Parler d’achèvement est toutefois relatif: les finitions ne sont pas dictées jusque dans le détail, mais volontairement laissées à l’état brut. Les habitants sont invités à mettre eux- mêmes la main à la pâte, afin de s’approprier les lieux et de poursuivre ainsi le développement de leur quartier – une occurrence plutôt rare dans un contexte aussi guindé que celui de l’agglomération zurichoise.

Atouts écologiques et fédérateurs
Les constructions répondent au standard Minergie- Eco ainsi qu’aux critères de la société à 2000 watts. Le toit du lotissement accueille 1400 m² de panneaux  photovoltaïques produisant 200 000 kWh par an, directement consommés sur place. Un réseau de chaleur à distance assure le chauffage au moyen d’une pompe à chaleur alimentée par le rejet d’eaux épurées. Le quartier limite l’usage de la voiture, notamment grâce à sa situation au cœur d’un nœud de trafic et son excellente desserte par les transports publics. Chaque résident reçoit en outre une carte de membre Mobility gratuite et les parcs à vélos sont généreusement dimensionnés.
Efficience énergétique, souci de l’environnement, participation sont autant d’éléments louables, analogues à ce qui devient progressivement la norme dans d’autres coopératives d’habitation. Ce qui distingue en revanche Zwicky Süd, c’est l’approche inclusive et solidaire – au-delà des nationalités, des modes de vie et des classes sociales – qui détermine le devenir du quartier. Quelque 300 personnes, originaires de plus de douze pays différents, occupent actuellement le lotissement. Parmi elles, des gens qui ne pourraient normalement pas s’offrir un tel logement et dont le loyer est cofinancé par un fonds de solidarité collectif, des jeunes en rupture qui trouvent ici un hébergement protégé, ainsi que cinq familles de réfugiés. Le complexe accueille également des personnes en situation de handicap, qui travaillent au sein du restaurant et de l’hôtel exploités par la résidence et assistent le concierge. Dans ces domaines, Kraftwerk1 collabore avec les fondations Domicil et Altried. Une démarche holistique – ou justement clairvoyante – qui a aussi dûment attiré l’attention du jury et vaut au projet Zwicky Süd de Kraftwerk1 une distinction pour son exemplarité.