Re­gard ré­tros­pec­tif après un an à la Chambre du peuple

Près d’une année après son entrée sous la coupole fédérale, l’ingénieure Céline Weber, spécialiste en énergie et présidente de la commission des normes (ZN) de la SIA, se confie sur les tempsforts de son activité parlementaire, les objets actuellement traités au Parlement qui concernent la planification et la manière dont la SIA pourrait intensifier son travail de lobbying.

Date de publication
27-09-2022

Espazium: Vous êtes ingénieure EPF/SIA, présidente de la commission centrale des normes (ZN) de la SIA, conseillère nationale (PVL/VD), vice-présidente du Forum Climatique de la Côte (FCLC), membre du conseil académique de l’HEPIA, présidente du comité de la Conférence romande de la formation continue (CRFC). Parlez-moi des points communs à vos activités.
Céline Weber: Je ne pense pas que l’on puisse établir des liens directs entre mes différentes fonctions. Mais si je devais en citer deux, ce serait l’ingénierie durable et la recherche. En effet, même dans ma vie professionnelle j’ai toujours été proche de la recherche et des milieux académiques, et je me réjouis de pouvoir mettre cette expérience à profit de la politique, notamment par le fait que, dans ma fonction de parlementaire, je suis membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC).

Votre emploi du temps laisse peu la place à l’improvisation. Comment conciliez-vous ces différents engagements?
Si j’exclus le Conseil national, l’engagement le plus exigeant est sans conteste la ZN. En tant qu’ingénieure, je souhaitais activement contribuer à mieux saisir le processus d’élaboration des normes SIA. Deux jours après avoir confirmé mon intérêt à la SIA pour le poste, Isabelle Chevalley m’appelait pour m’annoncer sa démission du Conseil national: j’étais la prochaine des «viennent-ensuite». Évidemment, j’ai accueilli sa proposition avec beaucoup d’enthousiasme, comme l’opportunité de vivre le façonnement de la politique de l’intérieur, d’apporter mes compétences d’ingénieure: pragmatisme, appétence pour la gestion de la complexité et rigueur. Depuis le début de ma présidence à la ZN au printemps 2021, j’ai la chance de pouvoir compter sur le précieux soutien de Giuseppe Martino, responsable du service Normes de la SIA. Professionnellement, j’ai dû revoir mon activité à la baisse. Mes journées ne durent que 24 heures et je souhaite aussi être présente pour mes enfants. Par chance, étant indépendante, mon bureau est à la maison.

Qu’est-ce qui vous a le plus enthousiasmée lors de votre entrée au Parlement?
La diversité des sujets abordés. Le même jour, vous traitez de la politique agricole, de l’AVS, des modalités d’accueil des réfugié·es ukrainien·nes, de l’armée ; il n’y a pas de place pour l’ennui. Bien que je me sois concentrée sur un sujet spécifique lors de ma thèse, je ne suis pas quelqu’un qui pourrait travailler toute sa vie sur un seul et même sujet. Ce qui m’anime, aussi bien à la SIA qu’au Parlement, c’est l’envie de jeter des ponts entre la Suisse romande et la Suisse alémanique.

Vous venez d’achever votre quatrième session parlementaire.
Quels sont les moments marquants de cette première année à la Chambre du peuple? Les échanges avec des collègues parlementaires. C’est ce qui m’a marquée, c’est comme une grande famille. C’est une ambiance de travail très agréable. Quand j’ai commencé à la session d’hiver 2021, les lobbyistes – à l’exception, si je me souviens bien, de ceux bénéficiant d’un laissez-passer permanent – n’avaient plus le droit de pénétrer dans l’enceinte du Parlement. À la session d’été, la salle des pas perdus était pleine. Le fait que lobbyistes et visiteurs puissent entrer à nouveau amène une vie impressionnante.

En parlant des lobbyistes, quelle est votre perception de leur activité?
Nous sommes constamment sollicité·es par des groupes d’intérêt. C’est normal, et je regrette parfois que le lobbying souffre aujourd’hui d’une image négative. De mon point de vue, le travail des lobbyistes est précieux. Bien sûr, ils représentent les intérêts propres d’une organisation ou d’une branche. Ils savent aussi pertinemment qu’ils ne peuvent entrer au Parlement que moyennant l’autorisation d’un·e parlementaire. lls ont donc tout intérêt à montrer patte blanche et à fournir un bon travail d’informations factuelles afin que nous, parlementaires, puissions prendre des décisions en toute connaissance de cause. Sans les lobbyistes, notre travail serait beaucoup plus compliqué. D’un autre côté, c’est aussi à nous de faire la part des choses en cas de doute.

Dans quelle mesure le travail de lobbying de la SIA est-il différent de celui d’autres lobbys? Et comment peut-elle améliorer son travail de lobbying?
De ma perspective, la SIA se montre très discrète. Elle n’a pas de lobbyistes actifs en permanence au Parlement. En outre, il y a peu d’élu·es ingénieur·es. Quand il y a des projets de loi en lien avec la planification ou l’ingénierie, la SIA devrait aller davantage au contact des parlementaires, en utilisant les ingénieur·es pour ouvrir des portes.

Vous évoquez les ingénieurs... Justement, à quoi est due cette sous-représentation de la branche au Parlement?
Je n’ai pas vraiment d’explication. La vie de parlementaire n’est pas toujours compatible avec la vie d’un·e employé·e d’un bureau d’ingénieur·es. En ce qui me concerne, je n’aurais pas pu accéder au Conseil national si je n’avais pas été à mon compte. C’est peut-être une explication. D’autre part, contrairement à d’autres professions, on sait que la majorité des ingénieur·es n’aiment pas forcément prendre la parole en public. Et il faut aussi relever que l’ingénierie en tant que telle ne fait pas partie des principaux sujets traités au Parlement, comme l’agriculture ou la santé. Enfin, il est probablement plus facile ou naturel de participer à l’élaboration de lois lorsque vous travaillez déjà dans le domaine juridique que dans le cas où vous officiez dans un autre secteur. Les ingénieur·es se sentent-il·elles peut-être moins concerné·es, ou moins à leur place? C’est difficile de donner une raison en particulier…

Par rapport aux objets actuellement traités au Parlement qui concernent les membres de la SIA, que pouvez-vous nous dire sur l’état des travaux sur l’initiative biodiversité et le contre-projet indirect? Il y a déjà l’initiative biodiversité et son contre-projet indirect. En lien avec cette dernière, la Commission du Conseil national avait établi un co-rapport. La Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) est responsable de ce dossier, mais la CSEC-N avait relevé en particulier que le respect de la culture du bâti ne doit pas empêcher la transition énergétique. Ce n’est évidemment pas au Château de Chillon que j’irais prioritairement poser des panneaux photovoltaïques sur le toit, mais on ne peut pas tout surprotéger non plus. Il existe par exemple des tuiles solaires esthétiques qui conviennent bien pour des bâtiments dont l’intégrité doit être préservée.

Une question pour conclure. Depuis le 1er janvier 2021, le nouveau paradigme de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) est entré en vigueur: ce n’est plus «l’offre la plus économique», mais «la plus avantageuse» qui remporte l’appel d’offres. La mise en oeuvre de ce méta-objectif n’est pas simple. En tant qu’ingénieure, êtes-vous satisfaite des effets de ce changement dans la culture d’adjudication sur votre pratique professionnelle? Que reste-t-il à faire et de quelle manière la SIA peut-elle apporter son soutien?
Le changement d’orientation dans la culture d’adjudication est bien sûr un grand pas en avant. Il est d’ailleurs en cours d’approbation dans les parlements cantonaux. Néanmoins, je constate qu’il y a encore un travail de sensibilisation à effectuer sur ce nouveau paradigme auprès de certaines collectivités publiques. Il s’agit de leur faire comprendre que cette loi fait foi pour leurs adjudications de travaux et  de les rendre attentives au fait que si elles ne tiennent pas compte de la qualité, un bureau soumissionnaire serait tout à fait habilité à porter plainte. Concernant les actions que la SIA pourrait entreprendre, outre une campagne de sensibilisation, c’est de poser ouvertement la question à ses membres, à travers une enquête: parmi les gros bureaux ayant répondu à un ou plusieurs appels d’offres de la Confédération, certains se sont-ils vu refuser des adjudications sur la base du prix uniquement ? Une telle étude permettrait d’analyser si et comment ce changement de paradigme est entré dans les moeurs.

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