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Pour le professeur Jean-Louis Scartezzini, directeur du Laboratoire d’énergie solaire et de physique du bâtiment de l’EPFL, le prix « Umsicht » favorise le dialogue entre les dimensions technico-économiques, artistiques et culturelles des réalisations durables

Date de publication
18-01-2017
Revision
19-01-2017

SIA : Vous venez de participer pour la troisième fois au jury de « Umsicht – Regards – Sguardi ». Quelles sont les particularités de cette procédure de jugement ?

Jean-Louis Scartezzini : Elle n’est pas fondamentalement différente de celle d’autres jurys de concours, mais se distingue, toutefois, par la grande variété de formation et la richesse d’expériences des membres du jury, qui reflètent le caractère multidisciplinaire et complexe du développement durable. Alliant des personnalités de milieux artistiques ou des sciences humaines et sociales avec des ingénieurs et des scientifiques, ce prix constitue, en soi, un véritable défi. Il faut relever, par ailleurs, que la SIA met en œuvre d’importants moyens en vue de faire effectuer, en amont des réunions du jury, une analyse technique rigoureuse et objective des qualités et vertus de tous les projets présentés.

Depuis 2011, percevez-vous une évolution dans les projets soumis ? Les approches, les axes ou les priorités des travaux soumis ont-ils changé ?

Il y a indéniablement une évolution, à la fois en ce qui concerne le nombre, mais aussi la richesse et la qualité des projets présentés. Le développement durable est entré dans les mœurs, en tout cas dans le domaine de l’environnement naturel, architectural et construit : on perçoit de réelles préoccupations en matière d’environnement et de préservation des ressources. Il me semble qu’on assiste, par ailleurs, à la naissance d’un dialogue authentique entre les dimensions technico-économiques et les composantes artistique et culturelle de nombreux projets. Globalement, la qualité des projets s’est ainsi nettement améliorée.

Il apparaît que des projets ou innovations de qualité, véritablement porteurs, sont aujourd’hui impérativement issus d’une équipe interdisciplinaire, et ne peuvent être le résultat d’un seul laboratoire ou bureau spécialisé.

C’est indéniable. De par ses multiples dimensions – sociétale, économique et environnementale –, le développement durable ne peut se pratiquer qu’à travers une approche globale et holistique des problèmes. Il implique nécessairement de faire appel à une approche interdisciplinaire. Par ailleurs, la complexité des processus de construction, les exigences en termes de performance et en matière de planification et de coûts, rendent impossible la conception et la réalisation de tels projets par une personne ou une seule équipe.

Vous êtes expert en énergie solaire dans le domaine de la construction. A la vue des projets soumis, l’énergie solaire offre-t-elle un grand potentiel ?

Dans le domaine de la construction, la mise en œuvre de l’énergie solaire sous ses formes passive et active n’est encore qu’à ses débuts, même si des progrès considérables ont été accomplis depuis les premières crises pétrolières des années 1970. De récentes études de notre Laboratoire d’énergie solaire et de physique du bâtiment à l’EPFL, menées sur plus de 1900 communes suisses, montrent ainsi que près d’un tiers de la consommation nationale d’électricité pourrait être couvert, à l’heure actuelle, par des installations solaires photovoltaïques intégrées aux toitures des bâtiments1.

Comment la construction et la planification durable vont-elles se développer dans les années à venir ? Va-t-on vers plus de technologie et de numérisation ou, au contraire, vers une réduction de la complexité ?

Les développements futurs dans le domaine de la planification et de la construction durable devront, par la force des choses, ménager nos ressources naturelles, tant en matière d’énergie que de matériaux. Cela est envisageable par les deux voies – high-tech et low-tech – pour autant que l’on fasse appel à ces technologies à bon escient. L’une et l’autre peuvent conduire à des résultats favorables ou défavorables en matière d’environnement et de développement durable. Ce qui est certain, c’est que nous devrons faire appel à plus d’intelligence dans notre manière de concevoir et de réaliser des projets, et cela quelle que soit leur échelle ou leur taille.

Comment le prix « Umsicht – Regards – Sguardi » pourrait-il se développer dans les années à venir ? Quels sont les aspects qui mériteraient plus d’attention ?

Il y a de bonnes raisons de croire que le concept de développement durable a aujourd’hui été appréhendé par celles et ceux qui ont la chance de bénéficier d’une formation professionnelle ou académique qui leur permet d’exercer des responsabilités. De grands progrès restent toutefois à accomplir, tant au niveau comportemental qu’économique et financier. Preuve en est le faible nombre d’institutions de financement qui œuvrent en faveur de la durabilité, alors que leur impact sur le plan global est souvent prépondérant. Il en est de même d’une large majorité des consommateurs, dont les actions quotidiennes sont souvent contraires aux principes même du développement durable. Ces dimensions socio-économiques et comportementales mériteraient d’être mieux valorisées à l’avenir

 

Note

1    Voir www.sccer-feebd.ch/solar-photovoltaic-electricity-potential-for-switzerland

 

 

Référence

« Umsicht – Regards – Sguardi », la distinction de la SIA pour des réalisations durables et porteuses d’avenir, sera attribuée pour la quatrième fois le 22 mars 2017, dans la nouvelle aile du Musée national suisse à Zurich

 

Biographie

Formé à l’EPFL (PhD et MSc en physique), à l’Université de Lausanne (MSc en géophysique) puis à la Colorado State University aux Etats-Unis, Jean-Louis Scartezzini dirige depuis 1994 le Laboratoire d’énergie solaire et de physique du bâtiment (LESO-PB) de l’EPFL. Ses recherches concernent notamment l’énergie solaire passive et active, la technologie et la simulation stochastique du bâtiment, le contrôle prévisionnel, l’infiltration et le renouvellement d’air ainsi que l’éclairage naturel et artificiel. Il a présidé la Société suisse pour l’énergie solaire de 1987 à 1995 et était membre de la Commission fédérale d’experts en énergie solaire de 1987 à 1998

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