Mème pas peur!

Editorial de Christophe Catsaros du 18/2017

Date de publication
13-09-2017
Revision
14-09-2017

"La Grande vadrouille soviétique", c’est-à-dire le film qui passait le plus souvent à la télé le soir du Nouvel An, était une comédie mettant en scène un individu confondant son appartement avec celui d’une jeune fille, dans une autre ville. L’Ironie du sort, tourné en 1975, raconte les déboires du protagoniste embarqué ivre mort dans un vol nocturne d’Aeroflot et persuadé de rentrer chez lui à 1000 km de son lieu de résidence. Même urbanisme, même adresse, même typologie, même aménagement  intérieur, même mobilier. Ce scénario hilarant tournait en dérision l’uniformité de la vie en Union soviétique et la soif effrénée d’individuation de ses citoyens, qui va conduire jusqu’à sa dissolution.

En 2017, près d’un individu sur quatre à l’échelle planétaire dispose d’un compte Facebook, autrement dit délègue son besoin vital d’individualité à un dispositif qui propose à deux milliards d’utilisateurs exactement la même interface pour être soi-même. Les réseaux sociaux ne sont pas simplement en train de changer notre sociabilité. Ils modifient aussi notre rapport au travail, à la famille, au savoir et finalement à la constitution du sujet en tant que doté d’un imaginaire propre.

Deux articles de Madeleine Aktypi et Elsa Boyer s’efforcent de comprendre cette nouvelle condition ontologique en s’attardant sur un objet pour le moins incongru. Le mème, c’est-à-dire cette tentative désespérée de s’identifier par le biais d’un cliché viral, est un des nombreux symptômes de notre nouvelle condition numérique. Image pourvue d’ironie, déclinée à l’infini, modifiée à coup de like et de retweets, le mème raconte la condition paradoxale d’une massification de l’individualisme outrancier.

Penser le mème, c’est aussi se demander à l’aube du 3e millénaire, si l’intelligence artificielle, panacée de la culture néolibérale, prendra la forme promise d’un perfectionnement de la machine s’approchant progressivement des performances de l’humain, ou celle redoutée et de plus en plus constatable, d’un abaissement de l’intellect humain au niveau de la machine.

A défaut d’avoir des robots pourvus de conscience, ne sommes-nous pas en train de faire éclore des humains mimétiques pourvus d’automatismes, capables tout au plus d’approuver ou de réprouver, des objets et des idées fournis d’avance?​​​​​​​

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