L’ur­gence de ra­len­tir

Éditorial du numéro TRACÉS 09/2020

Date de publication
26-05-2020

Depuis que le coronavirus a franchi les frontières pour se répandre dans les moindres recoins d’un monde globalisé, provoquant une mise à l’arrêt inédite, des experts de toutes disciplines ont pris la parole pour tenter de démêler les origines du mal, analyser les réponses sanitaires – du confinement plus ou moins autoritaire à l’immunité collective – et les leçons à en tirer, enfin penser «le monde d’après».

Le rôle de l’organisation de l’espace – mondial, collectif, individuel –, a de fait été questionné. Certains se sont demandé: la densité et l’hypermobilité sont-elles des facteurs de propagation? Nos territoires et nos villes sont-ils compatibles avec une vie confinée, avec une règle de distanciation sociale, avec un virus? Un problème appelant une solution, d’autres ont décrété qu’il fallait d’urgence fermer les frontières, repenser la ville, l’espace public, l’habitat – comme l’urbanisme hygiéniste puis le modernisme en leur temps –, en finir avec les open spaces dans les bureaux, la ville dense ou les espaces partagés dans les logements; condamner, en somme, tout ce qui rassemble, pour se hâter de se replier dans un chez-soi autonome. Conclusions aussi peu réjouissantes que hâtives.   
Les guerres, les risques et les catastrophes ont produit par le passé des effets variés sur les corps et les espaces. En réaction, les réponses spatiales ne se sont pas toujours révélées utiles, ni pour soigner le mal dont elles étaient le remède, ni pour soigner les suivants. Demain, un autre virus, une catastrophe nucléaire, un crash d’Internet, un tsunami, pourraient nous imposer de nous serrer les uns contre les autres, ou de nous terrer sous terre. Les abris PC suisses, qui n’ont été d’aucune utilité pour cette fois, pourraient reprendre du service…

La première chose à faire n’est sans doute pas de repenser la ville à l’aune du virus. Depuis des décennies, d’autres « urgences » occupent le devant de la scène : la crise climatique, l’explosion des inégalités sociales. Sur ces deux points, qu’on pourrait relier, tout reste à faire. Si l’on considère la pandémie comme un dommage collatéral supplémentaire de l’ère anthropocène, alors poursuivons les chantiers en cours et tentons, comme le propose Paola Viganò dans ce dossier, de penser des territoires résilients et généreux, capables d’accepter les risques, plus que de les éviter à tout prix. De développer nos anticorps urbains, en somme.

Depuis le début de la crise, Espazium est allé à la rencontre des acteurs de la culture du bâti, architectes, ingénieurs, enseignants, géographes, historiens de la médecine… pour tenter de saisir cette crise et ses répercussions. Cette série d’entretiens, à lire sur espazium.ch, se poursuit dans cette édition papier avec Frédéric Frank, Paola Viganò, Vincent Kaufmann, Valentin Bourdon et Sébastien Marot autour des liens entre aménagement de l’espace et crise sanitaire. La pandémie a mis le monde à l’arrêt. Profitons de cette pause pour réfléchir avant qu’il ne s’empresse de retrouver sa vitesse de croisière.

 

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