Les Eu­ro­codes, fu­tures normes de struc­tures suisses

Il est prévu de remplacer les normes de structures SIA par les Eurocodes de 2e génération. Dans cet entretien, Hans-Rudolf Ganz, qui préside le groupe de projet EC2G, nous explique la raison de ce changement et en quoi il se justifie.

Date de publication
31-01-2024

La première génération des Eurocodes a été publiée entre 2004 et 2007, pratiquement en même temps que les normes de structures SIA, appelées aussi Swisscodes. Au cours de ces vingt dernières années toutefois, de nombreuses évolutions techniques ont vu le jour, par exemple dans le domaine des matériaux et aussi des méthodes de dimensionnement. La législation, tout comme les exigences en matière de développement durable, ont par ailleurs connu d’importantes modifications. C’est ce qui a motivé la révision de cette première génération d’Eurocodes. Nous en sommes désormais à la deuxième génération, et celle-ci retranscrit l’état de l’art actuel dans les domaines cités. Un autre objectif de la révision était également de rendre l’utilisation des Eurocodes plus commode et de réduire le nombre des paramètres déterminés au niveau national (NDP).

Je crois savoir que la Suisse a participé à l’élaboration de ces Eurocodes de 2e génération...
C’est exact, voyez l’article publié en 2022 à ce sujet. De fait, dans le projet EC2G comme dans le projet EC2G+ qui a suivi, on a pu constater que les expertes et experts suisses avaient largement participé à l’élaboration du contenu des Eurocodes et peser sur celui-ci. Ils ont pu ainsi en grande partie satisfaire aux objectifs fixés par les partenaires. Là encore, les travaux ont conduit à une convergence tout à fait pertinente entre les normes de structures SIA et la majorité des Eurocodes.

Quelles sont les différences entre les Eurocodes de 2e génération et les normes de structures SIA?
Comme les normes de structures SIA, les Eurocodes couvrent les sujets fondamentaux – matériaux, applications, méthodes de vérification – mais ils le font généralement de manière plus détaillée. Ils couvrent par ailleurs un grand nombre d’autres sujets, également pertinents et intéressants pour les ingénieures et ingénieurs, mais qui ne peuvent pas figurer dans les normes de structures compactes que sont les normes SIA.

Et pourquoi les normes de structures SIA sont-elles retirées?
La charge que représente le maintien de deux séries de normes de structures très semblables quant aux bases de calcul, aux actions et aux méthodes de dimensionnement n'est aujourd’hui plus justifiable. Et, compte tenu que le domaine d’application des Eurocodes est nettement plus étendu, ce n’est pas non plus pertinent. Les Eurocodes constituent un corpus de normes cohérent en soi, qui restitue l’état de l’art actuel en matière d'étude des structures pour ce qui est des bases de calcul, des actions sur les structures et des méthodes de dimensionnement. Il reflète un large consensus au sein des membres du Comité européen de normalisation (CEN).

L’important est que les innovations restent possibles et que les nouvelles avancées en matière de calcul des structures peuvent être intégrées rapidement, grâce aux informations complémentaires non contradictoires (NCCI), soit dans les annexes nationales, soit sous forme de normes ou de cahiers techniques SIA.

Quelles normes seront remplacées par les Eurocodes de 2e génération, et quelles sont celles qui resteront en vigueur?
Après l’introduction des Eurocodes, il est prévu de retirer les normes SIA 260 à SIA 267 et SIA 269. Cela se fera au bout d’une phase de transition suffisante. D’autres normes et cahiers techniques SIA concernant les structures, comme les séries SIA 26x/1, SIA 269/x et SIA 118/26x ne seront pas remplacés et resteront applicables, moyennant une actualisation.

Les aspects des normes de structures SIA qui ne sont pas traités dans les Eurocodes seront conservés sous forme d’informations complémentaires non contradictoires (NCCI). Il s’agit par exemple des actions du trafic ferroviaire à voie étroite, des conventions d’utilisation, de la base du projet ou du béton recyclé, pour ne citer que ces exemples. Selon leur importance, ils seront directement intégrés dans l’annexe nationale de l’Eurocode concerné ou seront maintenus sous forme de norme SIA. Par ailleurs, les normes de produit, les normes d’essai et les normes d’exécution concernant les structures ne sont pratiquement pas concernées, car il s’agit aujourd’hui déjà presque exclusivement de normes européennes.

Quelles vont être les prochaines étapes?
Dès la mise à disposition d’un Eurocode par le CEN, celui-ci sera publié par la SIA comme norme SN EN, avec un avant-propos national. Ensuite, dans la plupart des cas, on élaborera les annexes nationales, qui comprendront les valeurs suisses pour les paramètres déterminés au niveau national (NDP), les informations sur l’utilisation des annexes informatives et les informations complémentaires non contradictoires (NCCI) considérées comme importantes, en Suisse, pour le dimensionnement des structures.

Il est prévu une publication en bloc de toutes les annexes nationales fin 2027, ce qui permettra alors l’utilisation des Eurocodes de deuxième génération.

Que fait la SIA pour que le passage d’un corpus de normes à l’autre soit réussi?

Il est prévu, pour 2027 également, de proposer des cours d’introduction aux Eurocodes. La commission des normes de structures porteuses (KTN) de la SIA a par ailleurs prévu d’élaborer des documents d’application pour les Eurocodes les plus importants pour la Suisse, qui devraient être publiés sous forme de lignes directrices SIA.

Des voix critiquent l’introduction des Eurocodes en Suisse. Quels sont les arguments avancés?
L’argument le plus entendu concerne la taille des Eurocodes. Les normes de structures SIA comportent en moyenne 100 pages. Les Eurocodes souvent plusieurs centaines. Ceci étant, les Eurocodes couvrent un éventail nettement plus important de matériaux, de technologies, de méthodes de justification et d’utilisations. Par ailleurs, une grande attention a été portée à la navigation à l’intérieur des Eurocodes. Avec les outils informatiques disponibles aujourd’hui, celui ou celle qui connaît le contenu d’un Eurocode trouvera facilement et rapidement les informations qui lui sont utiles.

Ce qui est important pour les utilisatrices et utilisateurs suisses, c’est que, même après l’introduction des Eurocodes de 2e génération génération, certaines particularités et certains niveaux de sécurité propres à la Suisse seront conservés. Tous les pays ayant participé à l’élaboration des Eurocodes partageaient ces préoccupations et y ont veillé. Les particularités des pays sont prises en compte par les paramètres déterminés au niveau national (NDP). Par ailleurs, pour les clauses normatives utilisant la forme verbale potestative, les annexes nationales peuvent introduire des méthodes alternatives, sans toutefois invalider la clause normative concernée. Par là, on a la garantie que les innovations et les nouveaux développements ne seront pas bridés par les Eurocodes.

Y a-t-il d’autres réticences?
Certaines personnes s’interrogent aussi sur l’influence des Eurocodes sur la culture ingénieuriale suisse et sur les offres de prestations de conception. L’introduction, en Suisse, des Eurocodes de 2e génération génération n’aura aucune incidence sur les processus de prestations d’ingénierie dans le domaine des structures. Au contraire, les Eurocodes laissent aux ingénieures et ingénieurs expérimentés toute latitude pour innover et pour appliquer leur expertise. Une connaissance précise des Eurocodes offre aussi de nouvelles opportunités, avec la possibilité de proposer des prestations à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, la commission des normes de structures porteuses (KTN) a à cœur de ne pas négliger les arguments critiques. C’est pourquoi elle échange avec toutes les parties concernées, soit directement soit au travers de discussions dans les commissions de normalisation SIA.

Hans-Rudolf Ganz Dipl. est ingénieur civil diplômé, président de la KTN et à la tête des projets EC2G et EC2G+.

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