L’eau, le vé­gé­tal et le sol au cœur du Con­grès pay­sage 2020

Pour sa deuxième édition consacrée à la frontière, le Congrès a décliné les grands thèmes du paysage. Deux journées passionnantes, en ligne.

Date de publication
10-12-2020
Valérie Hoffmeyer
journaliste, architecte paysagiste et correspondante régulière pour Tracés.

Le paysage est l’assemblage de composantes naturelles, le sol, l’eau, le végétal ou le climat, et culturelles, à savoir toutes les inter­actions que nous entretenons avec elles. Cette définition large permet d’enraciner la plupart des thèmes qui ont parcouru cette deuxième édition du Congrès paysage. Deux journées nationales qui se sont finalement déroulées en ligne, les 19 et 20 octobre derniers. L’événement s’est déployé de manière étonnamment fluide, malgré un programme très dense. Le principe d’une plénière, avec des interventions traduites en allemand ou en français, puis d’événements parallèles offrant des débats en groupes restreints, souvent portés par des tandems, a permis de multiples interactions entre les quelque 370 participants. Même les visites ont pu avoir lieu, grâce à la réactivité des professionnels de la région, qui ont emmené les congressistes sur des projets lausannois, caméra au poing. Un public connecté qui a dû lutter pour ne pas céder au picorage, au risque de perdre la substance des débats et présentations, forcément plus dilués en ligne qu’en présence réelle. Densité et qualité de vie, paysages urbains ou transfrontaliers, eau et arbres en ville sont quelques-uns des thèmes relayés ici, moins par souci d’exhaustivité que pour faire émerger les idées les plus innovantes.

Le sol vivant, un bien commun

Le sol, socle du paysage. Quel autre thème pour commencer ce congrès? Partagée par Paola Viganò et Claire Guenat, respectivement architecte et biologiste à l’EPFL, cette conférence inaugurale a soulevé une des questions essentielles de la transition écologique, en particulier dans les villes. Comment passer de la technopole à l’agropole? En reconsidérant la valeur des sols. Tous ont leur dignité, a rappelé Paola Viganò, même ceux qui sont aujourd’hui scellés et imperméabilisés sous les routes ou les parkings. Ils peuvent, moyennant aménagements et reconstitutions, retrouver des fonctions-clés contre le réchauffement climatique, comme le stockage du CO2, mais aussi l’infiltration des eaux de ruissellement et, bien sûr, la fertilité. Les intervenantes ont rappelé les fonctions biologiques du sol vivant, en tant que lieu de production de nourriture, mais aussi d’habitat qui mérite protection. Pourquoi? Parce que notre santé dépend de la sienne. «Il n’y a pas de santés individuelles, la mienne, la tienne, ou sectorielles, celle du sol, de l’air, de l’eau, mais une seule santé, a exposé Paola Viganò, évoquant le concept «One Health», qui considère la santé comme un bien commun. Adopter ce regard change complètement la manière d’envisager la ville et l’urbanisme.» Ce duo formé par une architecte et une biologiste plaidant la cause du sol a illustré un nouveau paradigme en matière d’aménagement du territoire : les praticiens de la planification et de l’urbanisme rejoignent enfin ceux qui connaissent et travaillent avec le vivant, qu’ils soient biologistes ou paysagistes, pour qui la composante sol a toujours été centrale.

L’eau qui rassemble

Autre thématique du paysage, l’eau a traversé maints débats, en particulier en lien avec la question des frontières, thème de ce deuxième Congrès. Utilisée historiquement comme une limite physique entre deux, voire trois entités administratives, communes, cantons ou pays, elle est désormais abordée comme un lieu commun, où se crée le paysage transfrontalier. Ainsi à Bâle, le projet de parc du Rhin cherche par exemple à mettre en réseau des espaces ouverts, situés en France, en Suisse et en Allemagne, et qui ont en commun leur proximité avec le fleuve. Ce projet inclut la question de l’accessibilité publique à l’eau, le développement d’infrastructures de loisirs et de mobilité douce, planifiées de manière concertée par les trois pays. À Genève, où l’idée d’un parc du Rhône fait aussi son chemin, c’est le réseau global de l’eau qui a fait l’objet d’une recherche dans le cadre du Master en développement territorial (MDT), porté par la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) et l’université : des étudiants venus du paysage, de la géographie, de la sociologie et de l’architecture ont travaillé ensemble à l’identification d’itinéraires doux au fil des cours d’eau pour arpenter le territoire du Grand Genève. Où comment marcher le long de l’eau – ou nager ! – fait oublier l’idée même de frontière.
Des usages et des gens dans le paysage et l’espace public
Le paysage est aussi une affaire de perception et celle-ci varie selon les individus et les groupes sociaux. L’exemple des femmes et de leur relation à l’espace public est à cet égard éloquent. Le film Chemins de femmes, toutes accès à l’espace public explore les obstacles réels et quantifiables, mais aussi ceux plus diffus qui empêchent une pratique égalitaire de l’espace public. Dans un autre registre, la perception de ce que l’on pourrait appeler les (nouveaux) paysages de l’énergie provoque beaucoup d’opposition dans la population, qui retarde la mise en œuvre du programme Énergie 2050 de la Confédération. C’est par exemple le cas lors de projets d’éoliennes ou de nouvelles lignes électriques, souvent rejetés pour des motifs de protection du paysage. L’EPF de Zurich a ainsi mis au point un outil de médiation qui intègre les contraintes de toutes natures, de manière à produire une «carte des résistances». Dans les zones sensibles, des facteurs comme la « protection de la nature » peuvent être pondérés plus fortement, afin de ne pas laisser systématiquement primer les questions d’efficacité technique au détriment du paysage – ce qui jusqu’ici a plutôt été la règle. De quoi trouver des consensus entre les intérêts en jeu?

Le végétal pour sauver les villes

De l’atelier «Arbres en ville», particulièrement engagé, est ressorti le constat que l’acte de planter exige encore et toujours un travail de conviction, et cela dans presque tous les milieux qui font la ville, même si les services écosystémiques sont largement connus et reconnus. Planter reste un acte militant, car l’arbre pèse peu face aux multiples concurrences qui surgissent au fil des projets, réseaux en sous-sol, mobilités en surface, pression foncière… Et pourtant, a-t-on entendu, tant dans les propos de la Fondation pour le paysage que dans ceux de Grün Stadt Zurich, il faut planter, beaucoup et mieux, pour augmenter la canopée, c’est une question de survie face au réchauffement. Un intervenant a même lancé l’idée de déconnecter les arbres du principe de la propriété, à la manière d’un patrimoine commun qu’il devient urgent d’inventorier, de protéger et de renforcer. Autres pistes : reconnecter les arbres au sol en luttant contre les sous-sols construits, utiliser les eaux de pluie pour l’irrigation des fosses de plantation, en un mot: donner les moyens nécessaires à la végétalisation. Mais sans volonté politique, a-t-il été scandé, les plus combatives des ONG ne feront jamais le poids.

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