«Le développement ne doit pas être une fin en soi»
Tina Cieslik: Monsieur Stöckli, le groupe CFF est le deuxième propriétaire foncier en Suisse après l’armée. En quoi cette entreprise se distingue-t-elle d’un promoteur immobilier classique?
Jürg Stöckli: Les CFF existent depuis plus d’une centaine d’années maintenant. Les centres-villes se sont souvent développés autour des gares.
C’est ainsi que nous sommes devenus propriétaires de vastes superficies parfaitement desservies et jouissant d’une situation centrale. Depuis dix ans, nous disposons d’une stratégie de développement renforcée pour ces terrains en ville. Nous gérons aujourd’hui 160 projets à l’échelle nationale, qui se trouvent à différents stades d’avancement et représentent des volumes d’investissement variables. Un tiers minimum de notre parc de logements est réservé à l’habitat social.
En Suisse, nous avons été le premier propriétaire majeur à nous intéresser au label de qualité DGNB, qui intègre les trois piliers du développement durable. Nous ne sommes pas une société cotée en bourse. Bien au contraire, nous planifions les choses à très long terme, que ce soit dans le domaine de l’infrastructure et des transports ou dans celui de l’immobilier. En tant qu’entreprise fédérale, nous nous attachons à prendre en compte les attentes du public. Il est donc de notre devoir d’étudier soigneusement le site et d’analyser les souhaits des habitants et des autorités administratives.
Le groupe CFF est constitué des divisions «voyageurs», «infrastructure», «marchandises» et «immobilier». Cette dernière est la seule à ne pas faire partie de l’activité transports à proprement
parler. Une réflexion a-t-elle été engagée pour une émancipation de l’immobilier?
Bien au contraire. Le lien entre l’immobilier, la mobilité et l’infrastructure est puissant. De fortes interdépendances les unissent. Si l’on construit par exemple des logements pour 300 personnes, cela ne sera pas sans incidence sur la mobilité. Le nombre de personnes qui se rendent quotidiennement dans nos gares est supérieur à celui des voyageurs dans nos trains. On peut dire dès à présent que nous sommes une société ferroviaire et immobilière à la fois. De plus, l’argent que nous gagnons avec l’immobilier est réinjecté dans le système. Cela permet d’abaisser les coûts d’infrastructure et d’assainir la caisse de retraite.
Comment procédez-vous concrètement lorsqu’il s’agit d’étudier un projet?
Nous analysons le quartier et l’environnement sous toutes leurs coutures dans l’optique d’une affectation, tout en tenant compte des évolutions futures. Pour la mobilité, on se posera des questions, comme par exemple: y aura-t-il des véhicules autonomes? Si oui, que faut-il prévoir dans cette perspective sur le site? Cette synthèse entre les besoins actuels du quartier, les préoccupations urbaines et des thématiques futures est passionnante. À partir de ce travail, nous élaborons une vision de développement urbain, que nous soumettons très ouvertement aux autorités administratives et aux habitants. Dès le début, nous engageons
des échanges transparents avec les villes et nous tenons compte de leurs réactions. Nous passons assez rapidement un contrat d’urbanisation avec la ville. C’est une garantie pour les deux parties.
Par contre, si une municipalité n’adhère pas à un projet, nous préférons le rompre. Avec 160 projets dans les tuyaux et un horizon de projection à long terme, nous sommes dans une situation confortable pour privilégier tel projet et mettre tel autre en retrait en fonction des besoins.
Avec une dizaine d’années d’activité et environ 150 projets à l’heure actuelle, avez-vous développé des procédures standard que vous pouvez mettre en œuvre?
Divers éléments ont été standardisés. Auparavant, de telles procédures étaient appliquées pour la phase construction uniquement, avec des listes de contrôle pour les responsables de projet. Aujourd’hui, cette phase démarre beaucoup plus tôt. Nous évaluons un projet à partir de différents critères comme l’importance, la situation, ou encore l’exposition politique, et choisissons ensuite une procédure et des standards appropriés. Depuis six ans environ, le service «développement» compte deux unités: le développement stratégique, qui intervient dans le cadre du projet jusqu’à la phase de clôture du concours, et le développement plutôt opérationnel pour la réalisation. Ces deux phases ne font pas appel aux mêmes compétences. C’est un système parfaitement rodé.
Pour la mise en œuvre, nous attachons de l’importance à des procédures comportant des variantes, que ce soit par le biais d’un concours ou d’un mandat d’étude. Les résultats sont ensuite évalués à l’aide d’une grille bien définie, qui doit fournir un repère au jury. Cette grille peut intégrer des aspects comme l’urbanisation et la rentabilité par exemple. Les coûts liés au cycle de vie sont donc pris en considération dès ce stade. Chaque projet doit être rentable à son niveau, mais pas toujours dans les mêmes proportions.
Nous avons évoqué l’exposition politique pour certains sites. Comment procédez-vous avec ces terrains?
En Suisse, les projets d’aménagement de sites en centre-ville s’étendent sur une durée comprise entre cinq et huit ans. En règle générale, des élections ont lieu au moins une fois durant cette période. Cela nous met parfois face à des difficultés. Les responsables changent, de nouveaux visages arrivent avec de nouvelles idées. Depuis peu, nous intégrons les élections en tant que dates-repères dans nos calendriers, de façon à mieux coordonner les phases critiques.
Le plus souvent, nos terrains ne sont pas inclus dans un zonage et, lorsqu’ils le sont, ils ne se trouvent pas dans la zone constructible dont nous aurions besoin. Par conséquent, il est toujours nécessaire de soumettre tel plan d’aménagement ou plan d’affectation spécial au parlement, et parfois aussi à la population, en vue de son approbation.
Nous avons besoin d’un écho largement favorable auprès des habitants, du parlement, de la municipalité. Il est donc essentiel d’intégrer suffisamment tôt les personnes concernées dans le processus, et de favoriser l’ouverture de façon à pouvoir modifier certains éléments le cas échéant. Il est tout aussi important de communiquer autour d’un projet, d’en exposer les tenants et les aboutissants, de montrer aux habitants la plus-value qu’ils peuvent en attendre. Dans le cas par exemple de La Rasude à Lausanne, il s’agit d’un site désormais achevé. Il sera prochainement ouvert, avec des espaces en rez-de-chaussée pour accueillir de petites entreprises de commerce et d’artisanat. Les habitants doivent pouvoir constater que la priorité n’est pas de maximiser des rendements.
Une démarche participative comme celle mise en œuvre pour l’aménagement du quartier Neugasse peut apporter un consensus pour un projet. Reste-t-il pour autant des potentiels d’amélioration?
Dans le cadre de ces procédures intensives, nous sommes naturellement tributaires d’une coopération. À Zurich, la mobilisation est très forte. Ici aussi. Les personnes de tendance politique rouge-vert se sont montrées très intéressées par le principe de l’échange. En revanche, le camp des conservateurs n’a été que peu représenté dans le processus participatif jusqu’à présent. C’est regrettable. Nous sommes en quête d’un autre biais pour toucher un spectre plus large de la société. J’invite chacun à participer à ces procédures, ou tout au moins à s’informer et à voter. Le développement ne doit pas être une fin en soi pour les entreprises. Il doit s’agir d’un «je donne» et d’un «je reçois» avec les habitants.
Depuis le 1er décembre 2010, Jürg Stöckli est Responsable de la Division CFF immobilier et membre de la Direction du groupe CFF. Il est menuisier de formation, a étudié le droit à l’Université de Berne et est avocat à Berne. Il a également obtenu un Executive MBA à l’Université de Saint-Gall. Avant de prendre la direction de l’immobilier, il était COO de la société suisse de services immobiliers Privera et membre de la direction.
Retrouvez tous les articles du cahier spécial «Sites CFF: de l'infrastructure à la ville» ici ou téléchargez gratuitement le pdf ici