«Le coût du so­laire n’est plus un ar­gu­ment»

En dépit de son coût, le photovoltaïque n’est toujours pas implémenté à grande échelle. Dans la perspective de Laure-Emmanuelle Perret-Aebi, il s’agit d’un défi à aborder en priorité de manière interdisciplinaire. La chercheuse EPFL discute de cette technologie à travers les angles social et économique. Rencontre.

Date de publication
26-05-2021

Espazium: Vous faites partie de plusieurs groupes de travail traitant de la question de l’intégration architecturale du photovoltaïque dans le bâtiment, notamment auprès de la Société des Ingénieurs et Architectes (SIA). Pourquoi cet engagement et que vous apporte-t-il?

Laure-Emmanuelle Perret-Aebi: C’est un sujet sur lequel je travaille depuis plusieurs années, à l’EPFL, puis au Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), où j’ai dirigé les travaux de développement des technologies permettant aujourd’hui de faire d’un panneau solaire un matériau de construction à part entière. Dorénavant, je poursuis mon activité en coordonnant le projet européen Be-Smart1 pour l’EPFL, ainsi qu’au travers de mon bureau de conseil LMNT Consultancy. Pour réussir la transition énergétique dans notre pays, il est nécessaire d’implémenter massivement les énergies renouvelables. Le solaire en fait partie: nous possédons suffisamment de toitures et de façades de bâtiment pour subvenir à l’entier de nos besoins énergétiques. La technologie est aujourd’hui mature, efficace et à coût compétitif. Donc, pourquoi n’est-ce pas déjà fait ? Parce qu’il ne s’agit justement pas que de technologie et que la transition énergétique et écologique doit être considérée sous divers aspects: technologique, bien sûr, mais aussi et surtout sur les plans social et économique.

Les commissions dont je fais partie sont multidisciplinaires. Ingénieurs, architectes, urbanistes, mais aussi designers, sociologues et politiciens s’y côtoient pour réfléchir et trouver ensemble non pas uniquement des solutions techniques, mais aussi des stratégies qui permettront ce changement et une prise de conscience plus globale. Je suis convaincue que seule l’interdisciplinarité nous permettra de réussir la transition en prenant en compte les enjeux propres à chacun des acteurs. Mon engagement aujourd’hui me permet, d’une part, de toujours mieux comprendre le fonctionnement de notre société et de ses enjeux, d’autre part d’agir de manière très concrète sur le processus d’implémentation de ces technologies solaires. C’est passionnant!

Ces dernières années, quelles ont-été les évolutions majeures des normes SIA en matière de photovoltaïque?

La technologie des panneaux solaires qui permettent une intégration dans le bâtiment a certainement évolué plus rapidement que les normes qui régissent la construction. Cela ne facilite pas la tâche! Néanmoins, il y a là un énorme effort, au niveaux national et international pour mettre à jour ces normes afin qu’elles puissent répondre à la fois à l’urgence d’installer du solaire et, en même temps, à assurer la sécurité et la qualité de nos constructions.

Dans ce cadre, normalisation et innovation sont-elles antagonistes ou complémentaires?

Il n’y a pas de réelle innovation si l‘on pense en même temps normalisation; il s’agirait peut-être plutôt de réfléchir en termes d’optimisation. Le processus d’innovation demande par définition d’être libre. Libre d’inventer, d’imaginer, de rêver et justement de sortir des sentiers battus, du «on a toujours fait comme cela». Lorsqu’un produit innovant arrive sur le marché, il faut penser à son application, et il doit alors pouvoir répondre à un certain nombre de règles, de «normes», afin de garantir que son utilisation ne met en danger la vie de personne. Les normes se doivent donc d’être elles aussi innovantes et capables de s’adapter rapidement, afin de ne pas freiner ce qui pourrait être un progrès pour la société, à l’image de l’utilisation des énergies renouvelables.

Quelle place occupe la Suisse dans l’exploitation de l’énergie solaire par rapport à des puissances économiques telles que la Chine ou les États-Unis?

La grande majorité du marché du photovoltaïque standard se trouve en Asie et en Chine. L’Europe a laissé filer cette opportunité, alors même que quelques entreprises sont encore actives. La Chine, quant à elle, a investi massivement dans ce marché, d’une manière déloyale et drastique pour les acteurs européens. Mais cela a eu comme conséquence une baisse des coûts impressionnante, qui fait qu’aujourd’hui l’électricité solaire est la plus compétitive. En réalité, l’Europe n’est pas prête à de tels investissements.

C’est un peu différent pour le marché lié aux éléments photovoltaïques dédiés au bâtiment. Il s’agit de matériaux de construction, de couleur et de taille qui peuvent être adaptés sur mesure, contrairement aux panneaux standards, conçus pour les grandes centrales solaires. Il existe en Suisse et en Europe quelques entreprises qui se sont spécialisées dans la fabrication de panneaux BIPV. Elles sont plus proches du milieu verrier, façadier, donc de la construction. Le milieu de la construction est très conservateur et agit de manière locale. Les modèles d’affaires de ces entreprises sont alors différents de ceux des grands producteurs de panneaux solaires chinois. Ces entreprises sont en train de se développer en Europe, et c’est réjouissant! Néanmoins, il ne faut pas oublier que tout va très vite en Chine aussi, que le marché du BIPV, très peu développé il y a cinq ans là-bas, est en train de démarrer à vive allure. Alors soyons créatifs et innovants pour que notre industrie européenne trouve une place forte sur le marché dans un modèle qui lui est propre.

Aujourd'hui, quels sont les freins à l’exploitation de l’énergie solaire en Suisse? Comment y remédier?

Les freins à l’implémentation de l’énergie solaire et son exploitation ne sont en tout cas plus aujourd’hui d’ordre technologique. Les éléments sont efficaces, bon marchés, colorés, de différentes textures et tailles, légers, grands, petits. Ils intègrent même des œuvres artistiques. Il faut aujourd’hui que cela se sache. Très clairement, un immense travail de communication à large échelle doit être réalisé, et pas uniquement par des ingénieurs et des scientifiques. Les activités de l’association COMPÁZ, que j’ai créée il y a quatre ans avec deux amis, poursuit cet objectif : parler et faire connaître ces technologies en utilisant le moyen artistique pour les valoriser d’une manière plus émotionnelle et ainsi faire comprendre à un large public leur immense potentiel.

Je dirai encore qu’aujourd’hui, les plus grandes crispations auxquelles nous nous confrontons sont notre peur du changement, notre manque de courage à prendre des décisions fortes et efficaces pour le climat et notre manque de créativité à penser comment pourrait être demain en nous libérant des modèles passés et actuels. Ces derniers, de toute évidence, ne nous permettent pas de construire et vivre dans un monde durable et résilient.

Évidemment, la politique est importante; les décisions doivent être claires, ambitieuses et courageuses. La législation et les réglementations doivent être alignées avec les objectifs qui permettront la transition énergétique. Elles doivent encourager plus que freiner. Cela prend du temps. Or, cela ne va pas assez vite, car il y a urgence. Mais le coût du solaire n’est plus un argument; c’est la source d’énergie la meilleur marché aujourd’hui.

Note

 

Il s’agit d’un projet de recherche de l’Union européenne, qui vise à contribuer substantiellement au déploiement du photovoltaïque intégré au bâtiment (BIPV) et à réduire ses coûts de 75% d’ici 2030, https://www.besmartproject.eu/.

 

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