La terre fait grève

Éditorial du Tracés 12-13/2019 consacré à la thématique du sol

Date de publication
13-06-2019

Pour contribuer à notre façon à la thématique «terre à terre» de Lausanne Jardins 2019, nous donnons la parole à des professionnels, des chercheurs et des penseurs du sol, afin d’aborder dans toutes ses dimensions ce milieu hybride où le vivant et l’inerte, le minéral, le végétal et l’animal se confondent. À la croisée des schémas traditionnels, qui tentent encore péniblement, comme par un vieux réflexe, de séparer nature et culture, le sol est également ce territoire de la pensée où techniques du vivant et de l’artificiel, génie humain et «génie naturel» (pour reprendre le mot de Gilles Clément) ne peuvent plus être distingués.

Ainsi, dans un texte qui résume brillamment les enjeux de Lausanne Jardins 2019, Valérie Hoffmeyer compare le sol à une «machine verticale». Certes, la métaphore de la machine aide nos cerveaux habitués à la pensée mécaniste à appréhender la haute complexité des processus en cours dans les sols. Mais le propos soulève également une question centrale: faut-il vraiment aller jusqu’à comparer le sol à une «usine vivante» pour permettre à nos sociétés de consommation de prendre conscience que ses enjeux sont également d’ordre économique – alors que c’est précisément sa surexploitation qui cause sa destruction?

La terre, traitée en prolétaire, finit par s’épuiser. Or, les services rendus par les sols, en termes de productivité, de régulation climatique, d’absorption des eaux pluviales, etc. peuvent se chiffrer, s’il faut vraiment passer par là. Bien des économistes, suites à des intempéries destructrices ou devant le constat d’appauvrissement des sols productifs, vous diront qu’il est grand temps de retourner nos équations. Du «Contrat naturel» de Michel Serres (1990) aux conférences sur le nouveau régime climatique de Bruno Latour (2015), jusqu’au «pari pascalien» proposé par Sébastien Marot (voir p. 10), les penseurs de la complexité font aux concepteurs, aux aménagistes, aux architectes, une proposition sans équivoque: il faut refonder le projet moderne, mais cette fois à partir du sol, de ses contingences et du rythme qu’il nous impose. Sinon il votera la grève prolongée.

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