La «Mai­son sur le ruis­seau»

Visite

Les architectes, Agathe Belot et Mathieu Jaumain, nous racontent leur émerveillement lors de la visite de la Casa sobre el Arroyo, chef-d’œuvre de jeunesse d’Amancio et Delfina Williams  

Date de publication
16-11-2021

Parmi les nombreuses réalisations architecturales visitées, peu nous ont bouleversées autant que la Maison sur le ruisseau, aussi appelée Casa sobre el Arroyo, ou encore Casa Del Puente. Elle est née de l’envie d’Alberto Williams, grand pianiste argentin, de se construire un lieu unique et paisible, loin du tumulte de Buenos Aires. Un espace dans lequel il pourrait à la fois se reposer, recevoir, s’évader et surtout composer ses mélodies. Il confie ce grand dessein à son fils, Amancio Williams, fraîchement diplômé comme architecte. Celui-ci saisit l’opportunité d’imaginer, avec sa jeune épouse Delfina Galvez Williams, elle aussi architecte, un projet novateur, très affirmé, qui tranche avec les styles classiques et régionalistes de leur époque. Main dans la main, ils réalisent ce qui deviendra un des projets les plus emblématiques du mouvement moderne en Argentine.

La maison se trouve dans la ville balnéaire de Mar del Plata, à quelques centaines de kilomètres au sud de la capitale argentine. En arrivant sur les lieux, elle est à peine visible. La végétation luxuriante ne laisse entrevoir qu’une petite partie de sa silhouette. Ce n’est qu’après avoir traversé ce rideau de plantes que nous sommes saisis par ce bloc de béton rectangulaire, reposant sur un arc très mince, enjambant ce qui fut autrefois un ruisseau. Le volume semble à la fois massif et léger, comme s’il était en suspension dans l’air. Le contact avec le terrain se fait uniquement par ses extrémités et les visiteurs que nous sommes comprennent vite que celles-ci ne sont pas uniquement un support, mais aussi les seuls accès possibles à l’étage supérieur. La séquence d’entrée est déroutante, tant elle donne l’impression de pénétrer dans les entrailles structurelles de la maison. Il nous faut passer sous une des deux extrémités du volume en porte-à-faux pour nous introduire dans une massive colonne, creuse à l’intérieur, d’où débute un étroit escalier épousant la cambrure de l’arc. Cette séquence est répétée dans une symétrie parfaite permettant de parcourir l’arc de bout en bout. On arrive finalement au milieu du volume, dans un long salon baigné de lumière grâce à son ouverture à 180° sur la végétation environnante. On a réellement l’impression d’être perchés dans les arbres ; la limite entre intérieur et extérieur devient soudain floue. Cette succession d’atmosphères, de contraction et de dilatation, rappelle l’ambivalence de la composition alliant massivité et légèreté.

Le plan est relativement simple. Il est organisé en bandes longitudinales : les espaces de jour sont séparés des espaces de nuit par un mur en bois faisant office d’armoire dans l’enfilade de chambres, et de plan de travail dans la cuisine. La maison apparaît comme une œuvre totale : un souci du détail est apporté à chaque élément. Le mécanisme des stores et des fenêtres est dessiné sur mesure pour s’encastrer dans l’épaisseur du plafond. Les luminaires, inspirés du design Bauhaus, et les mains courantes, courbées parallèlement à la cambrure de l’arc, sont des pièces uniques. Le feu ouvert en métal est comparable à l’industrial design européen en vogue à cette époque.
Ces nombreux détails ne sont malheureusement pas les premières choses qui nous ont sauté aux yeux. Il nous a fallu faire preuve de beaucoup d’imagination pour nous replonger dans l’ambiance de l’époque, tant l’état de délabrement de l’intérieur de la maison est désolant. Les plafonds et les sols portent les stigmates de deux incendies et d’un d’abandon progressif de 1989 à 2013. Heureusement, la Maison sur le ruisseau est aujourd’hui déclarée monument historique, accessible au public en tant que musée et sa rénovation débute, enfin, après de trop longues années d’attente.

Nous avons ainsi pris conscience de l’importance de la préservation du patrimoine architectural, car il s’agit ici d’une œuvre unique en son genre, témoin de l’influence du mouvement moderne hors de l’Europe, et de son appropriation, plus de 20 ans après sa naissance. Mais nous sortons aussi de cette visite émerveillés par la prouesse de ces deux jeunes architectes qui ne se sont pas contentés d’appliquer les fondements d’un style en plein essor, mais qui se les sont appropriés en innovant, tant au niveau de la structure que de la composition architecturale.

À propos des auteurs

 

Agathe Belot et Mathieu Jaumain, architectes et fondateurs du blog odyssedarchitectures.com

Texte

 

Extrait remanié d’un article tiré du blog odyseesdarchtectures.com

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