La tour Fif­ties con­ti­nue de ra­con­ter son his­toire

Le bâtiment administratif de ­Kabelwerke Brugg raconte ­l’histoire d’une industrie suisse ­florissante dans les années d’après-­­guerre. Malgré la présence d’amiante et la mauvaise performance énergétique de ­l’enveloppe, il a été décidé de le réhabiliter.

Date de publication
11-12-2023

L’ancien siège de la société Kabelwerke Brugg résonne encore de mille bruits. Les derniers travaux battent leur plein. Une forte présence d’amiante et de mauvaises valeurs énergétiques avaient rendu nécessaire la rénovation de cet édifice construit en 1956-1957. De nombreux bâtiments d’après-guerre, posant des problèmes similaires, sont remplacés pour répondre à des objectifs de densification, d’améliorations énergétiques ou de rentabilité. Mais le bâtiment administratif situé juste à côté de la gare de Brugg a pu être sauvé. Il se présente encore, ou à nouveau, quasiment tel qu’il était lors de son inauguration il y a près de 70 ans. Le soin apporté par les concepteurs de la rénovation est dû au statut de protection communale du bâtiment, et aussi au maître d’ouvrage, Brugg Immobilien, qui n’a pas ménagé ses efforts pour la rénovation énergétique.

Prestigieux, mais plein d’amiante

Dans l’après-guerre, l’entreprise Kabelwerke Brugg comptait parmi les plus grands employeurs de la région. En 1954, elle a lancé un concours de projets pour un immeuble de bureaux situé juste à côté de ses ateliers de production. La proposition des architectes lauréats Carl Froelich et Hans Kündig, une tour trapézoïdale à deux alignements, a surtout convaincu sur le plan urbanistique : la pointe de la tour de bureaux, visible de loin, joue le rôle de gardien monumental du site de l’entreprise.

La rénovation a été effectuée dans le cadre d’une procédure d’adjudication directe: le bureau Tschudin Urech Bolt Architekten de Brugg a été chargé de rénover le bâtiment administratif, qui a maintenant près de 70 ans. Une étude de faisabilité a montré qu’il était judicieux de conserver le bâtiment malgré la présence importante d’amiante. Le polluant se trouvait en partie sous forme non liée entre les piliers et le plafond. Pour procéder à la rénovation, il a donc fallu isoler chaque étage individuellement par dépression et le déshabiller jusqu›au noyau porteur. Ces travaux structurels importants n’ont cependant coûté que 300 000 CHF, sur un coût total de rénovation de 8 millions.

Le gros œuvre mis à nu et nettoyé offrait une grande liberté conceptuelle pour la rénovation. La matérialisation des couches réappliquées s’oriente néanmoins fortement vers les années d’origine du bâti. L’étage en attique, qui abrite un bar et un salon, surplombe six étages de bureaux presque identiques avec de nouveaux sols en PVC dans des nuances de vert. Ils remplacent le revêtement de sol d’origine en Sucoflor contenant de l’amiante, un symbole à l’époque de la modernité des constructions. Outre le vert, la palette de couleurs de la rénovation comprend également des teintes rouges et beiges, inspirées à chaque fois de la conception et de l’aménagement d’origine. Les surfaces de l’ancien étage de direction n’ont pas non plus été modifiées: comme autrefois, l’étage se distingue du reste par son parquet et ses armoires murales en noyer. Un autre hommage au passé du bâtiment se trouve dans la cage d’escalier intérieure: des cadres métalliques peints en blanc rappellent l’emplacement de portes murées et de l’ascenseur à dossiers, transformé aujourd’hui en zone d’accès.

Entre normes énergétiques et esthétique

Lors de la construction du bâtiment administratif dans les années 1950, on n’a pas lésiné sur les matériaux de qualité et les équipements techniques modernes. La bonne qualité des installations techniques du bâtiment et le plafond Zent-Frenger avec chauffage intégré, une première à l’époque, en témoignent. Des radiateurs supplémentaires avaient été installés sous les façades vitrées continues; ils pouvaient être commandés séparément pour le flux de chaleur pendant les périodes de transition. Mais les couches de liège de 3 cm d’épaisseur sur les murs extérieurs et les fenêtres à double vitrage ne répondaient plus aux exigences actuelles d’isolation thermique.

Les architectes ont donc été confrontés à une tâche délicate, mais typique des constructions d’après-guerre: le bâtiment devait faire l’objet d’une rénovation énergétique et être doté d’une couche d’isolation plus épaisse, tout en conservant sa grâce caractéristique. Des fenêtres spéciales à haute performance et une combinaison de vitrages fixes et de vantaux ouvrants ont permis de concilier les exigences de la physique du bâtiment et de la conservation des monuments. Comme il n’était pas possible d’intervenir à l’extérieur, les murs intérieurs ont été isolés sous les bandeaux de fenêtre, à l’emplacement des radiateurs précédents.

Si la façade apparaît toujours telle qu’elle était dans les années 1950, les plaques originales en marbre vert foncé de Verde-Alpi ont dû être retirées et éliminées. Un ponçage et une réutilisation ont été envisagés, mais du mortier a été utilisé à l’origine pour fixer le revêtement de la façade. C’est pourquoi les fenêtres ne pouvaient pas être remplacées sans endommager les dalles de pierre. Les nouvelles proviennent du nord de l’Italie et, comme les originaux, d’une carrière de Verde-Alpi. L’ancrage est un système de façade-rideau moderne, ce qui permet de remplacer à tout moment l’ensemble ou certains éléments.

Préservation de l’énergie grise

En raison du désamiantage et de la rénovation énergétique, Tschudin Urech Bolt Architekten a dû se débarrasser de nombreux matériaux de construction. Malgré cela, une grande quantité d’énergie grise a été conservée, car le bâtiment n’a pas été entièrement démoli. Le caractère original de la tour de bureaux a été préservé par la recherche de matériaux similaires lors du remplacement des éléments de construction. Marco Tschudin, chef de projet, le souligne: «Nous n’avons pas dû renoncer à l’esthétique pour réaliser les économies d’énergie souhaitées.» Grâce à l’intervention sur son enveloppe, le bâtiment administratif rénové ne nécessite que 30 % de l’énergie de fonctionnement antérieure, et prouve que les bâtiments de qualité d’après-guerre et les exigences actuelles en matière de physique du bâtiment et de protection climatique ne sont pas contradictoires. Bien au contraire: leur association recèle un grand potentiel.

Ce texte a été publié pour la première fois sous une forme légèrement modifiée dans Heimatschutz/Patrimoine 2/2023.

Rénovation du bâtiment ­commercial de Brugg

 

Maître d’ouvrage
Brugg Immobilien, Brugg

 

Architecture
Tschudin Urech Bolt ­Architekten, Brugg

 

Architecture paysagère
Westpol Landschaftsarchitektur, Bâle

 

Année de construction
1956-1957

 

Rénovation
2021-2023

 

Statut de protection
protégé au niveau communal

Avec le soutien de SuisseEnergie et de Wüest Partner, les numéros spéciaux suivants ont été publiés par espazium - les éditions pour la culture du bâti:

 

1/2018 «Immobilier et énergie: stratégies pour l'immobilier – orientation pour les investisseurs institutionnels».

 

2/2019 «Immobilier et énergie: stratégies de mise en réseau».

 

3/2020 «Immobilier et énergie: stratégies de la transformation».

 

4/2021 «Immobilier et énergie: sur des routes communes avec l'électromobilité».

 

5/2022 «Immobilier et énergie: stratégies d'autoconsommation».

 

6/2022 «Immobilier et énergie: reconnaître la valeur de l’existant».

Les articles peuvent être consultés dans notre dossier numérique «Immobilier et énergie».

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