«Il faut dé­mon­trer aux po­li­tiques la plus-va­lue du con­cours»

En novembre dernier, Olivier Français (PLR, Vaud) était élu au Conseil des États. L’occasion, pour le politicien et l’ingénieur civil SIA, de nous en dire plus sur ses engagements politiques: la révision de la loi sur les cartels et les marchés publics.

Date de publication
08-01-2020

TRACÉS: Vous siégez depuis quatre ans au Conseil des États et venez d’entamer votre second mandat en décembre dernier. Quels sont vos chevaux de bataille?
Olivier Français: J’ai récemment déposé une demande de révision partielle de la loi sur les cartels : mon projet est de formuler une proposition homéopathique, afin de permettre à deux PME ou bureaux d’architecture de travailler ensemble, pour autant qu’ils s’entendent sur le prix. Dans la législation actuelle, tout arrangement de corps de métiers est suspect dans l’acte de construire ; il s’agit de tordre le cou à cette suspicion. 

L’autre point concerne les grands mandats : aujourd’hui, les constructeurs publics, tels que l’Office fédéral des routes (OFROU), ont tendance à élaborer des lots gigantesques en vue des concours et des appels d’offres. Or, force est de constater que ces mandats sont fréquemment remportés par de grandes entreprises, au détriment des bureaux locaux qui manquent de références. Si l’on prend l’exemple des CFF, en élaborant des lots à 400 millions de francs, ils ne permettent plus aux bureaux actifs à l’échelle nationale de répondre à ces marchés, puisque les critères d’adjudication demandent, là aussi, des références. Qui peut se targuer d’avoir déjà géré un projet à un coût pareil?
Si on veut sauvegarder le marché en Romandie, c’est progressivement vers une convention collective dans tous les cantons qu’il faut basculer, afin de s’assurer que les bureaux paient le juste prix à leurs collaborateurs. Aujourd’hui, quand j’apprends qu’un grand bureau de la place romande a accepté un tarif horaire entre 30 et 50 francs, je suis scandalisé. C’est inacceptable ! Il va rapidement falloir se mettre d’accord sur un prix de référence par rapport aux différents corps de métiers, car on ne peut définir la sous-enchère que lorsque l’on connaît le prix de référence.

Votre pratique d’ingénieur a-t-elle influencé votre manière de penser le rapport entre politique et société?
Je suis issu de la géotechnique, donc je m’occupe des sols. Un de mes professeurs nous disait: «Le sol a toujours raison». Ceci nous oblige à faire preuve d’humilité, à savoir se remettre en cause. Quand on fait voter un projet, qu’il est accepté, on doit remettre une étude préliminaire de celui-ci. Anticiper donne une garantie du planning et du coût. Plus on anticipe, mieux on gère le projet. Une erreur conceptuelle en électromécanique peut avoir des conséquences importantes sur le coût. Prenons l’exemple du M3: c’est une variante que j’ai imposée à un autre projet qui était un tram de surface. Grâce à ma formation, j’ai pu démontrer qu’il était important de se demander si le métro n’était pas une option plus intéressante que le tram. Les adversaires d’hier du M3 en sont aujourd’hui de fervents défenseurs. C’est la force que l’on possède, en tant que techniciens : on n’a pas peur de contredire et d’amener des solutions alternatives.

Cet automne, la SIA a mis en place un forum, permettant aux délégués et groupes professionnels de faire entendre leur voix. Deux thèmes ont émergé: la passation des marchés et les bouleversements climatiques. Que peuvent faire les professionnels pour encourager un environnement construit de qualité?
Par rapport aux effets climatiques sur la conception des ouvrages, si l’on pense au photovoltaïque ou à la géothermie, on a un bon train de retard entre ce qui se développe dans les EPF et ce que l’on fait sur le terrain. Il y a énormément à faire à court terme, mais il faut se donner des défis réalistes. J’en ai d’ailleurs proposé un à Berne : il manque 66 MW d’énergie électrique pour les bâtiments de la Confédération. Si on fait le calcul à l’envers avec un rendement faible de cellules photovoltaïques, on aurait besoin de 171 terrains de football. J’ai démontré qu’en douze ans, on pouvait le faire. Il faudra modifier la loi sur l’aménagement du territoire, parce qu’aujourd’hui c’est possible, mais c’est de nouveau un règlement, une loi qui peut modifier le développement des cellules photovoltaïques.

Il faudrait qu’on impose le photovoltaïque dans l’acte de construire. Ingénieurs et architectes ont un gros travail à faire sur le politique pour démontrer que la loi sur l’aménagement du territoire inclut plein de bonnes choses, mais également de nombreux effets pervers à modifier.

Le conseiller fédéral Alain Berset s’est rendu à Paris le 25 octobre dernier pour défendre les concours d’architecture et une culture du bâti de qualité. Quels sont les instruments permettant d’atteindre cette qualité, en Suisse?
C’est assez facile, il suffit de vouloir. En 16 ans à la direction des travaux de la Ville de Lausanne, j’ai quasiment toujours promu le concours pour permettre de générer des variantes, malgré la méfiance qu’il peut susciter. C’est un débat incessant, parmi les chefs de service d’architecture des cantons et des villes, pour démontrer aux politiques la plus-value du concours. La SIA et ses sections cantonales doivent continuer à s’engager dans ce sens. Actuellement, je sens beaucoup de vigueur et d’action politique au sein de la SIA Vaud, mais c’est un travail de longue haleine, et il faut faire attention de ne pas se faire marcher dessus.

Il faut démontrer les bienfaits du concours et sanctionner ceux qui vont à l’encontre de l’éthique professionnelle en faisant du dumping salarial. C’est pour cela que la convention collective constitue un premier pas en direction de salaires et de prestations corrects.

À propos

Olivier Français (1955) est ingénieur civil diplômé EPF, avec spécialisation en géotechnique. De 1995 à 1997, il préside la section vaudoise de la SIA. En 2000 et durant 16 ans, il occupe le poste de conseiller municipal directeur des travaux à la Ville de Lausanne. De 2007 à 2015, il est élu au Conseil national. Depuis 2015, il siège au Conseil des États. Parmi les projets les plus emblématiques dont il a assuré la conduite, il convient de citer, entre autres, le métro M2 et le projet Tridel, soit la construction d’un tunnel d’acheminement des ordures reliant la gare de Sébeillon à l’usine d’incinération Tridel. Il est l’initiateur des projets Métamorphose, du M3 et de la place de la Sallaz. Depuis 2016, il est administrateur d’OF ingénierie et conseils Sàrl.

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