Ho­no­raires des pla­ni­fi­ca­teurs – le point sur la si­tua­tion

« Value app »

Quoi de neuf sur le front des honoraires des planificateurs ? Entretien avec Marco Waldhauser, vice-président de la SIA, sur la « Value app » – un nouvel outil de détermination du temps nécessaire et un levier important pour la construction durable.

Date de publication
16-09-2025

Judit Solt : La SIA et l’ETH Zurich ont développé conjointement la « Value app », un outil numérique qui permet de calculer le temps de travail nécessaire à la réalisation de prestations de planification au plus proche des réalités du terrain. En quoi cet instrument se distingue-t-il de l’ancien modèle ?

Marco Waldhauser : La principale différence réside dans la référence de calcul. Au lieu d’être fondée sur le coût d’ouvrage, l’estimation du temps nécessaire est dérivée des spécificités du projet. Seront ainsi pris en compte des paramètres tels que le type d’utilisation, la surface au sol, le degré de complexité ou la nature de la tâche (nouvelle construction ou rénovation), les parts de prestations, ou encore le mode d’organisation.

La rémunération des prestations de planification sur la base des coûts d’ouvrage était déjà pointée du doigt avant l’intervention de la Commission de la concurrence (COMCO). Cette approche était considérée comme obsolète, car elle était fondée sur une base quantitative et non pas qualitative. Les incitatifs ainsi posés n’étaient pas pertinents, sanctionnant de fait l’innovation et la sobriété. En quoi le nouveau modèle change-t-il la donne ?

Le calcul du temps nécessaire sur la base du coût d’ouvrage était pratique, simple et rapide, mais ne favorisait effectivement pas l’innovation. Quel intérêt y aurait-il pour un planificateur à proposer des solutions sobres si cela réduit systématiquement ses honoraires ? Prenons l’exemple des techniques du bâtiment : concevoir un projet low-tech requiert généralement autant de temps qu’un projet conventionnel. L’ancienne méthode mettait donc les planificateurs face à un dilemme insolvable.

Avec le nouveau modèle, les solutions innovantes peuvent enfin être reconnues à leur juste valeur, puisqu’il tient principalement compte de facteurs qui n’ont pas de lien direct avec le coût d’ouvrage, mais influent réellement sur le temps de travail. Ceci crée des conditions où il devient possible d’aborder les défis actuels plus ouvertement, en intégrant des approches tels que la construction circulaire ou le low-tech et de contribuer ainsi à réduire les émissions (zéro net) et à atteindre des objectifs énergétiques.

Ce n’est que sept ans après le retrait de l’ancienne formule de calcul que la plateforme Calcul des prestations et la « Value app » ont été mises en ligne, en août 2025. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps ?

C’est certes long, mais la SIA n’est pas restée les bras croisés, loin s’en faut. Suite à l’intervention de la COMCO en 2017, elle a développé une solution alternative qu’elle a été en mesure de proposer dès 2019. Mais cette nouvelle méthode, qui restait d’ailleurs arrimée au coût d’ouvrage, n’a pas fait ses preuves, les résultats étant en effet trop éloignés des valeurs empiriques. Fin 2020, la SIA l’a retirée du marché à la demande de ses membres. 

Ce retour à la case départ n’a pas découragé la SIA. À l’époque, l’ETH Zurich avait déjà mis au point une méthode de calcul pour les honoraires des architectes, mais elle était réservée aux étudiants. La SIA s’est jointe au projet afin d’en poursuivre le développement en collaboration avec d’autres experts de terrain.

Bien que le modèle de base ait été rapidement mis au point, il a ensuite fallu procéder à des clarifications, valider certains points et mener un travail de persuasion – un investissement de temps nécessaire au vu de la sensibilité de l’enjeu, qui a amené beaucoup de parties prenantes à se positionner. Lorsqu’il s’agit d’argent, tout le monde a son mot à dire et les discussions peuvent s’éterniser. Il n’a pas été facile d’aller de l’avant tout en gagnant la plus large adhésion possible. Et, last but not least, la SIA visait une synchronisation avec la révision actuelle des RPH, qui, comme nous le savons, prend plus de temps que prévu.

Entre-temps, certains maîtres de l’ouvrage ont émis leurs propres prescriptions de rémunération des prestations de planification. La ville et le canton de Zurich en sont un exemple d’actualité. Leurs nouvelles directives, émises au printemps 2025, ont suscité de profondes inquiétudes et donné lieu à un mouvement de protestation des architectes non seulement à l’échelle locale, mais aussi au niveau national.1 Cela met-il la SIA face au fait accompli ?

Nous maintenons un dialogue constant avec les entités adjudicatrices publiques concernées, le but étant de trouver des solutions sur une base partenariale. Encore une fois, nous croyons fermement que nous trouverons une résolution pour sortir de la situation actuelle, et la « Value app » est clairement prometteuse à cet égard.

La « Value app » est alignée sur les prestations telles qu’elles sont définies dans le Règlement concernant les prestations et honoraires des architectes (RPH) SIA 102. Comment expliquer qu’elle ait été mise sur le marché en août 2025, alors même que la révision des RPH est encore en cours...

À l’origine, l’objectif était de lancer les deux en même temps, puisque les RPH révisés et la « Value app » reposent sur les mêmes principes. Mais il se trouve qu’il faut encore du temps pour que les RPH refondus obtiennent leur feu vert, alors que nous voulions mettre la « Value app » à disposition le plus rapidement possible afin de la mettre à l’épreuve du terrain. Cela se justifie : l’outil est également aligné sur les prestations définies dans les RPH encore en vigueur, et peut donc être utilisé dès à présent.

Quand la révision des RPH sera-t-elle achevée ?

Lorsque les textes seront prêts à être soumis à l’approbation de l’Assemblée des délégués (AD) de la SIA. Le vote devrait normalement se tenir à l’automne 2026 dans le cadre d’une assemblée extraordinaire. En effet, les retours de la consultation ont été si nombreux qu’il est impossible de les traiter d’ici l’AD ordinaire au printemps 2026. 

La « Value app » est actuellement réservée aux seules prestations d’architecture. Sera-t-elle déclinée pour d’autres disciplines ?

Oui, et le même principe s’appliquera : le référentiel des coûts d’ouvrage sera abandonné, et le temps nécessaire sera déterminé à partir de différents paramètres propres aux disciplines. 

Il est prévu que des solutions destinées aux différents métiers de l’ingénierie et de l’environnement ainsi qu’à l’architecture paysagère soient mises au point d’ici la fin 2025. Comme pour la version destinée aux architectes, l’ETH pilote le projet, appuyée par la SIA et des experts externes. La « Value app » étendue, intégrant le génie civil, l’architecture paysagère et les techniques du bâtiment – tels qu’ils sont structurés respectivement par les RPH SIA 103, SIA 105 et SIA 108 – sera mise en ligne au printemps 2026. La suite dépendra du marché.

Comment la SIA compte-elle imposer la « Value app » comme outil de référence ?

Il ne suffit pas de mettre la plateforme Calcul des prestations et la « Value app » en ligne et de croire que le tour est joué. Encore faut-il en effet que la nouvelle méthode soit effectivement appliquée. Contrairement à l’ancienne approche, elle offre un large éventail de variables, ce qui permet une différenciation assez fine, notamment dans l’estimation de la complexité de la tâche. C’est précisément là que réside la marge de négociation des planificateurs par rapport aux maîtres de l’ouvrage. Reste maintenant à nous familiariser avec cette nouvelle manière de faire. À partir du mois d’octobre, des webinaires gratuits seront proposés aux utilisateurs de la « Value app » afin de les aider à mieux comprendre l’application et leur donner l’occasion de poser des questions.

Plus nous recueillerons de retours d’expérience et plus vite nous le ferons, mieux ce sera. Une chose est sûre, la question du temps nécessaire à la réalisation d’un projet requerra dorénavant une attention plus précoce, et devra faire l’objet de réflexions plus poussées. Je le répète : c’est par l’usage que la plateforme Calcul des prestations et la « Value app » s’imposeront. À nous de les intégrer à notre quotidien professionnel et d’en faire des références pour toute la branche.

En 2018, la COMCO a contraint la SIA à retirer son modèle du temps nécessaire arrimé aux coûts d’ouvrage des Règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH) SIA 102, SIA 103, SIA 105 et SIA 108. 

 

Ces pratiques de rémunération ont encore eu cours quelques années dans la branche, mais le consensus qui les maintenait s’est finalement effrité. Depuis, les bureaux de planification ne disposent plus d’aucune base pour fixer leurs honoraires, lesquels ne dépendent plus que de leur aptitude à négocier – un défi de taille, notamment pour les plus jeunes. 

 

Depuis 2018, la SIA s’emploie à redéfinir les pratiques de détermination des honoraires dans un cadre conforme au droit de la concurrence. Le lancement échelonné de la plateforme Calcul des prestations et d’une première version de la « Value app » destinée aux prestations d’architecture telles que définies dans le règlement SIA 102 a débuté en août 2025. Quelque 1000 utilisateurs ayant testé la version bêta ont ainsi pu accéder à l’application, qui sera progressivement ouverte à tous les architectes dans le courant de l’automne 2025. 

 

Pour plus de contexte, voir le e-dossier RPH 

Notes

 

  1. Les nouvelles directives de rémunération sont consignées dans la version révisée du « Merkblatt zu Planungsaufträgen » (feuille d’information sur les missions de planification, disponible en allemand uniquement) de l’Office des bâtiments de la ville de Zurich (AHB) datée de janvier 2025 et dans le guide « Planerhonorare und Vertragsmodelle » (honoraires des concepteurs et modèles de contrats, disponible en allemand uniquement) de l’Office des constructions du canton de Zurich (HBA) daté du 1er janvier 2025. Le principal motif d’inquiétude réside dans le calcul du solde des honoraires. Les coûts d’ouvrage déterminant le temps nécessaire au moment du décompte final ont été réindexés sur l'année 2018, à l’aide de l’indice zurichois de la construction résidentielle (Zürcher Wohnbauindex – ZIW), ce qui entraîne une baisse significative des honoraires. À lire également à ce sujet : « Débats tendus sur les honoraires à Zurich »

De concert avec l’Office des bâtiments de la ville de Zurich (AHB) et l’Office des constructions du canton de Zurich (HBA), la SIA a engagé une démarche visant à instaurer des pratiques de rémunération durables. D’intenses discussions menées fin août ont permis de dégager une compréhension mutuelle, posant les fondements d’une nouvelle approche de la détermination du temps nécessaire. Voir la prise de position SIA

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