Écrans Ur­bains, deuxième !

Filmer un monde en mutation

Pour leur seconde édition, les rencontres cinématographiques Écrans Urbains (EU2020), qui se tiendront à Lausanne (et en ligne) du 16 au 21 décembre, promettent une programmation riche et éclectique mêlant documentaires, fictions et films expérimentaux. Avec Aldo Bearzatto et Hervé Bougon, qui ont assuré la sélection, nous parlons des villes et de leurs habitants, de mondes qui disparaissent, de résistance et des multiples regards que posent des cinéastes sur ces sujets.

Date de publication
11-12-2020

Espazium: Écrans Urbains est l’une des manifestations phares initiées par la fondation Culture du Bâti (CUB). En quoi le cinéma, dans ses multiples formes, peut-il être un vecteur de connaissance, de diffusion et de promotion de cette culture du bâti?
Aldo Bearzatto (AB): L’un des objectifs de ces rencontres est effectivement de démocratiser la «culture du bâti». La programmation élargit le thème à la ville et aux problématiques auxquelles les habitants doivent faire face dans leur quotidien. C’est ce que nous montrerons dans la section «Panorama». Partout dans le monde, les mêmes questions se posent, avec des intensités variables: exclusivité toujours plus grande, marchandisation, exclusion progressive des habitants des quartiers populaires… Les films que nous avons choisis parlent d’architecture, mais plus globalement du fait urbain et parfois de la violence qui accompagne l’urbanisation.

Hervé Bougon (HB): Deux axes ont guidé nos choix. D’abord, les sujets traités : les impacts que ces transformations urbaines ont sur la vie quotidienne des gens. Ensuite, le regard des réalisateurs sur ces situations, la manière dont ils s’approprient un contexte, leur capacité à aller à la rencontre des habitants, témoins et acteurs de ces transformations. À travers cette sélection, nous voulons à la fois informer les spectateurs sur ces situations, et qu’ils soient touchés par le quotidien des habitants via des écritures singulières et des partis pris formels intéressants.

Parmi les documentaires qui parlent plus spécifiquement d’architecture, certains montrent une architecture sacralisée, esthétisée, et des figures quasi mystiques d’architectes contemporains (Architecture of Infinity de Christophe Schaub ou les films d’Enea Zucchetti), tandis que d’autres démythifient en quelque sorte ces architectures et leurs architectes pour s’attacher à l’espace tel qu’il est vécu par ses habitants (Bonne Maman et Le Corbusier de Marjolaine Normier).
AB: Oui, nous aimons bien les films qui parlent de façon détournée d’une architecture à travers le regard des habitants. Bonne Maman et Le Corbusier par exemple adopte le point de vue de la grand-mère de la réalisatrice, une résidente de la Cité Radieuse. Elle nous fait vivre sa réhabilitation à travers une sorte de déambulation poétique, douce et ludique. Le film interroge l’architecture et la question patrimoniale par le prisme de ses usagers, habitants et visiteurs.

HB: Les thèmes de la mémoire et du patrimoine sont aussi présents dans plusieurs films. Dans le documentaire cambodgien Last Night I Saw You Smiling (2019), le réalisateur Kavich Neang filme les habitants de l’un des derniers bâtiments modernistes de Phnom Penh – déserté en 1975 lors de la prise du pouvoir par les Khmers Rouges et réinvesti par une communauté d’artistes et leur famille –, qui doivent aujourd’hui quitter les lieux. Comme dans Bonne Maman et Le Corbusier, la question du devenir de ce patrimoine se pose. Dans certains cas, on détruit et on passe à autre chose, avec des conséquences désastreuses à la fois sur la vie des gens et sur la dimension patrimoniale et historique d’un pays.

Quels autres types de films pourra-t-on voir dans cette sélection?
HB: Nous voulions offrir une diversité de propositions pour montrer que les thématiques afférentes à la ville peuvent être abordées aussi bien à travers des documentaires, des films expérimentaux que des fictions grand public. Nous projetterons les films lauréats du prix Transfer 20191. Le focus sur les «courses poursuites» (sous réserve) nous montrera que l’espace urbain est un formidable terrain de jeu pour les cinéastes. On pourra notamment voir un chef-d’œuvre des années 1980, To Live and Die in L.A. de William Friedkin (1985) ou un film plus méconnu mais matriciel de Walter Hill, Driver (1978). Enfin la section «Panorama» mettra l’accent sur la diversité des sujets, des points de vue ainsi que quelques propositions de cinéastes suisses.

Y a-t-il des films qui vous tiennent particulièrement à cœur?
HB: Dans le très singulier et évocateur Alis Ubbo de Paulo Abreu (2020), Lisbonne est à l’honneur. Le réalisateur évoque les réalités de sa ville à travers un personnage qui, tel un Nanni Moretti en Vespa ou un Monsieur Hulot à vélo, explore avec ironie les transformations de la capitale portugaise.

AB: Le film O Fim do Mundo (2019) de Basil Da Cunha, réalisateur suisse qui vit au Portugal. L’action de ce film noir basé sur un important travail de repérage se déroule dans un bidonville de Lisbonne. Il montre l’exclusion des populations qui travaillent en ville, mais vivent sur les hauteurs, et la destruction progressive de ces quartiers qui deviennent alors intéressants pour les promoteurs parce qu’ils possèdent une vue sur la baie. Je citerais aussi Nul homme n’est une île (2018) de Dominique Marchais, un réalisateur que nous aimons beaucoup, qui affirme sa ligne au fil de ses documentaires et creuse les rapports entre nature, environnement, paysage et production. Il développe une approche à la fois pédagogique, sensible et de terrain, et délivre une parole positive, en montrant des initiatives locales, des gens qui font et produisent autrement.

Ce serait une note d’optimisme dans cette programmation finalement assez sombre?
HB: Il y a de l’optimisme dans beaucoup de films, des poches de résistance à l’intérieur de ces situations complexes, donc de l’espoir. Ces rencontres ont pour but de montrer des propositions singulières, touchantes et formellement puissantes. Et de susciter du débat et de la réflexion, y compris provoquer les acteurs de la fabrique de la ville, architectes et urbanistes en tête.

Hervé Bougon et Aldo Bearzatto sont directeurs artistiques des rencontres Écrans Urbains.

Note

 

1. Initié par la plateforme d’architecture en ligne Transfer: transfer-arch.com/video-award

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