En avant, jeunesse
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Troisième film de la trilogie des Fontainhas du cinéaste Pedro Costa, En avant, jeunesse raconte la rencontre entre un vieux maçon cap-verdien et un quartier sans histoire et sans vie
Ville blanche et pittoresque aux ruelles étroites et aux maisons recouvertes d’azulejos, Lisbonne est aussi, et au-delà de son image d’Epinal, une capitale aux banlieues sordides et délaissées. Dans Ossos (1997), le cinéaste Pedro Costa avait filmé avec maestria et sans misérabilisme le quartier des Fontainhas, bidonville au nord-ouest de la ville, où immigrants cap-verdiens, Lumpenproletariat et toxicomanes s’entassaient dans de sombres taudis. C’est aussi à Fontainhas que se trouvait la chambre de Vanda, l’actrice improvisée d’Ossos, jeune junkie souffrante que Costa accompagnait (Dans la Chambre de Vanda, 2000). Sur fond de ruines, le film est la chronique d’une disparition annoncée, la mairie de Lisbonne entreprenant alors la démolition de cet îlot insalubre surgi à la fin des années soixante. Tourné en 2006, En avant, jeunesse se déroule déjà dans le nouveau quartier HLM qui accueillit les anciens habitants des Fontainhas.
Puissante leçon de cinéma, les trois films de Pedro Costa sont aussi le récit d’une rencontre : celle du cinéaste avec la réalité de the other half, une société en marge, oubliée de tous. En filigrane, s’esquisse par ailleurs l’histoire d’une dépossession, incarnée par l’entreprise «sociale» de relogement. Car si la blancheur aveuglante du quartier HLM offre à ses habitants des logis certes moins lugubres, elle leur ôte le sentiment d’appartenance à une communauté de fortune. Des tours en hauteur remplacent les masures communicantes d’antan et renforcent le sentiment d’isolement. En avant, jeunesse, dernier volet de la trilogie des Fontainhas, nous met ainsi face à la détresse de Ventura, vieux maçon cap-verdien incapable de trouver sa place entre les murs immaculés de ce nouveau quartier. Rien ne l’illustre mieux que les plans où il visite un appartement témoin. Face à la rigueur géométrique et standardisée des lieux, son corps vivant fait tache et ne réussit pas à remplir le vide : Ventura, prédicateur des pauvres, les quitte en silence, condamné à devenir un zombie dans ces pièces blanches, à la fois trop petites et trop grandes. Quartier sans histoire et sans vie, sans mystère et sans photogénie, Casal da Boba est un nouvel enfer.