La bru­ta­li­té des pier­res et le té­moignage des rui­nes

Alexander Kluge, Brutalität in Stein (1961) 

Avec son premier film, nous raconte Le Silo, le cinéaste allemand Alexander Kluge décide de faire face à l'histoire de son pays. Son court métrage, intitulé «Brutalität in Stein», s'attarde sur le passé et le présent du Reichsparteitagsgelände, complexe construit par l'architecte en chef du parti nazi Albert Speer.

Publikationsdatum
26-02-2013
Revision
01-09-2015

En 1961, lors du festival d’Oberhausen, le cinéaste allemand Alexander Kluge jetait un pavé dans la mare d’une Allemagne volontairement amnésique. Il lui suffit d’un film (son premier) : le court métrage Brutalität in Stein, réalisé avec Peter Schamoni un an auparavant. Kluge s’y attaquait avec rigueur à un sujet frappé de tabou dans la société allemande de l’ère Adenauer (1949-1963) : son abominable passé national-socialiste. Pour Kluge, l’heure était venue non pas de « surmonter le passé », comme le répétait la rhétorique officielle, mais de lui « faire face ». Kluge entame ce véritable travail de mémoire en tournant son regard vers le Reichsparteitagsgelände d’Albert Speer : le gigantesque complexe architectural de Nuremberg qui servit de terrain aux congrès du parti du Reich (et que Leni Riefenstahl sut si habillement sublimer dans Le Triomphe de la volonté). Kluge démontre à quel point la brutalité d’un système politique et de son idéologie se trouve bel et bien inscrite dans la pierre, suggérant ainsi que l’horreur nazie n’appartient pas au passé, mais au présent allemand. 
Œuvre incisive et puissante, le film détourne le modèle du Kulturfilm, genre documentaire à la vocation propagandiste qui fleurit pendant le Troisième Reich. Au début de Brutalität in Stein un carton donne le ton : « Tous les édifices de l’Histoire, témoignent de l’esprit de l’époque, même s’ils ont perdu leur fonction. Les bâtiments abandonnés du parti national-socialiste sont les témoins de pierre de l’époque qui déboucha sur la pire catastrophe de l’histoire allemande ». 
La caméra de Kluge est l’instrument d’un enquêteur, l’outil de l’archéologue : ses plans fixes sur les ruines abandonnés du Zeppelinfeld, son travelling sur l’escalier monumental, son recours aux images d’archives, la puissance rythmique de son montage, tous en disent long sur l’obsession de l’ordre, l’horreur concentrationnaire, la barbarie. Faire face au passé signifie désormais faire témoigner les ruines. 

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