Ad­ap­ter la don­née à la de­man­de: la KBOB se­lon Sé­bas­tien Lasvaux

L’entrée en vigueur d’un certain nombre de normes et de lois cantonales imposant le calcul de l’écobilan de bâtiments soulève de nombreuses questions. Retour sur les méthodes de calcul, les données KBOB ainsi que les outils mis à disposition.

Publikationsdatum
21-10-2024

TRACÉS: Qu’est-ce qu’un écobilan ? Existe-t-il aujourd’hui un consensus sur sa définition et sa méthode de calcul?
Sébastien Lasvaux: Il y a un consensus sur ce qu’est un écobilan dans les grandes étapes. Une norme internationale définit cette approche par analyse de cycle de vie en évaluant les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service.

Dans le domaine de la construction, il y a des normes, des règles de bonne pratique sectorielles pour essayer de cadrer la mise en œuvre de ces écobilans. Une particularité propre à la Suisse est l’utilisation de la base de données générique KBOB – initialement, une version adaptée pour le secteur du bâtiment d’Ecoinvent1. Durant les premières phases d’un projet, la KBOB permet de réaliser des écobilans sans renvoyer vers des données propres à des produits ou à des fabricants ; alors qu’ailleurs en Europe, elles proviennent de déclarations environnementales fournies par les producteurs eux-mêmes2.

Grâce à la SIA, il existe également une base de calcul commune utilisée jusqu’à présent dans des initiatives volontaires. À terme, il est probable que l’écobilan soit demandé dans le cadre des règlementations cantonales. C’est déjà le cas à Genève où une loi carbone va bientôt devenir effective.

Quelles sont les perspectives d’évolution des outils de calcul des écobilans?
Parallèlement au développement de la KBOB, la SIA a développé des cahiers techniques pour définir la méthode de calcul de l’écobilan d’un bâtiment, en partant notamment de la norme SIA 2032 L’énergie grise – Établissement du bilan écologique pour la construction de bâtiments. Sur cette base, des petits calculateurs ont été conçus, mais l’exploration de différentes matérialisations ou types de structure y est limitée : ils permettent surtout de comparer différents principes de façade ou de toiture.

Les concepteurs de projet cherchent à aller plus loin, mais pour cela il est nécessaire de disposer de davantage de données ou d’outils mieux adaptés. Dans le cadre de la mise à jour du cahier technique SIA 2040 La voie SIA vers l’efficacité énergétique, la calculette sera revue. Par ailleurs, des outils plus spécifiques à certains métiers ont été mis au point, tels que le logiciel Lesosai pour les thermiciens, et d’autres seront prochainement disponibles.

À quelles étapes du projet l’écobilan du bâtiment sera-t-il demandé?
Demander un écobilan à toutes les phases d’un projet n’est pas réaliste. L’écobilan sera certainement exigé au moment de la mise à l’enquête d’un bâtiment, en complément du bilan thermique, alors qu’aujourd’hui seuls les labels de construction durable l’intègrent.

Il existe aussi des valeurs limites maximales de CO2/m2 pour la construction et l’exploitation des bâtiments, et elles seront abaissées dans la nouvelle norme SIA 390/1. Rappelons les ordres de grandeur : la seule édification d’un bâtiment engendre en moyenne 600 à 700 kg de CO2/m2 construit. Idéalement, pour être alignée avec les objectifs climatiques de la Suisse, toute nouvelle réalisation ne devrait pas émettre plus de 400 à 500 kg CO2/m2 dès l’an prochain, soit près de 35 % de réduction d’émissions par rapport à la pratique moyenne. Le défi est immense !

Dès le départ, on peut aisément exiger de la part des architectes une conception bas carbone facilement vérifiable en travaillant sur le facteur de forme et les grandes orientations du projet. Par la suite, tous les autres mandataires, en agissant sur plusieurs mesures à leurs niveaux, pourraient réduire les émissions de CO2 de 20 à 30% supplémentaires.

Selon vous, à qui reviendra la responsabilité d’établir ces écobilans?
On est dans une phase transitoire où il est peut-être nécessaire d’avoir des spécialistes en écobilan. À terme, il sera bien plus logique que chaque mandataire établisse son écobilan pour sa partie d’ouvrage, et que l’architecte les regroupe au sein d’une plateforme commune.

La méthode de calcul de la SIA a quelque peu simplifié les étapes du cycle de vie des matériaux de construction, en se limitant notamment aux phases de production et d’élimination de la base KBOB. Le but n’est pas de contraindre l’architecte ou le planificateur avec toujours plus de paramètres, mais de lui fournir la «bonne donnée» à la «bonne échelle» ainsi que les bonnes interfaces d’outils pour chacun d’eux.

L’architecte a été servi en premier, les données sont plus ajustées à son travail. Mais ce n’est pas forcément le cas pour l’ingénieur civil ou l’ingénieur en technique du bâtiment. Ces derniers sont tributaires de beaucoup de données forfaitaires. Par exemple, dans le cas d’une pompe à chaleur dans la KBOB, il n’est pas possible de voir la conséquence sur l’écobilan d’un type de fluide réfrigérant naturel comparé à un hydrofluorocarbure fortement émissif pour le climat. Cet exemple peut paraître anecdotique, mais il rappelle que beaucoup de mesures activables par les planificateurs ne peuvent pas encore être correctement évaluées par les données KBOB.

À défaut d’être exhaustive, comment la KBOB devrait-elle évoluer pour ne pas susciter la défiance face à des données simplifiées?
La KBOB est une base de données qui intègre de nombreux matériaux et sources d’énergie, établis avec une même méthodologie. Cet acquis doit être conservé pour garder la crédibilité des calculs comparatifs qui en découlent. Mais, une fois ces données compilées, tout reste à faire pour les amener vers les practiciens.

Il faut davantage cibler et répondre aux attentes de chacun. On pourrait préciser dans une colonne «commentaire» du fichier Excel de la KBOB certaines informations utiles pour comprendre les données génériques calculées à partir de forfaits notamment. De même, il ne faut pas uniquement signaler les mises à jour, mais les expliquer en quelques mots. Ces informations sont aujourd’hui dans les mains de certain·es expert·es en Suisse. En somme, la KBOB doit chercher à être plus accessible, interactive et rapidement consultable, sans que l’on ait à se dire: «Est-ce que j’ai téléchargé le dernier fichier? Est-il à jour?»

Il est essentiel que les données correspondent aux besoins. Le comité de la KBOB ne se rend peut-être pas bien compte à quel point les professionel·les souhaitent se les approprier. On pourrait aussi imaginer une gouvernance de la KBOB un peu plus élargie, incluant les retours d’expérience.

Quid des données concernant les matériaux de réemploi dans la KBOB?
Actuellement, il n’y a pas de données de matériaux de réemploi dans la KBOB. Des travaux ont permis d’estimer des pourcentages d’économie carbone d’un élément réemployé par rapport à son équivalent neuf pour servir en études préliminaires3, 4. On pourrait simplement décréter: «Le réemploi c’est 20% de l’impact du neuf.» Et on doit se poser la question: faut-il des données et des calculs pour tout?

Un travail de recherche mené conjointement par la HEIG-VD et des partenaires de terrain à Genève est en cours pour ajuster l’écobilan de composants réemployés selon la logistique des opérations de réemploi en cours5. Finalement, c’est aux concepteurs de mettre le bon matériau au bon endroit ; et aux experts de fournir la bonne donnée en fonction des besoins.

Notes

 

1. Ecoinvent est une base de données globale de cycle de vie développée par l’Association éponyme fondée en 2003 par l’ETH Zurich, l’EPFL, l’Empa, l’Agroscope et l’Institut Paul Scherrer.

 

2. Depuis quelques années, la KBOB intègre le calcul des données spécifiques à un produit de construction et un fabricant donné.

 

3. Étude de Katrin Pfäffli sur le bâtiment K118. Disponible en ligne sur le site de la Ville de Zurich.

 

4. Projet OFEN Reuse-LCA conduit par la HEIG-VD avec ses partenaires (ETH Zurich, Baubüro in situ, K. Pfäffli). Rapport final prévu en 2025.

 

5. Projet OFEN Mat-Loop conduit par l’HEPIA en partenariat avec la HEIG-VD, plus d’informations sur le site internet de l’OFEN.

Ingénieur civil de formation et au bénéfice d’un doctorat sur les écobilans, Sébastien Lasvaux participe depuis plus de 15 ans à différents projets de recherche appliquée dans le domaine des écobilans du secteur de la construction. Actuellement adjoint scientifique au sein du nouvel Institut des énergies de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD), il met son expertise à disposition de différents groupes de travail spécialisés en Suisse et à l’étranger.

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