La Bis­to­quet­te: dé­fi­nir le con­fort avec les ha­bi­tants

Dans le cadre du forum Bâtir et Planifier 2023, qui portait sur les limites du confort, Stéphane Fuchs, fondateur et administrateur du bureau genevois atba, a présenté la Bistoquette, un projet de coopérative d’habitation qui place l’architecture et le choix des matériaux au service d’une vision particulière du confort: débattue et orientée vers les communs.

Publikationsdatum
06-02-2024

La Bistoquette est un projet à Plan-les-Ouates (GE) issu d’un concours et consistant en une coopérative low-tech composée de six immeubles, soit une centaine de logements, qui interroge les comportements des usagers. Le projet constructif part du projet coopératif, à travers lequel chaque aspect est discuté: finances, social, mobilité et écologie. L’architecture s’inscrit à la croisée des propositions recueilles. Dans les groupes de travail, des exigences sur le réemploi, la gestion des déchets ou les places de stationnement ont fait l’objet de réflexions. En groupe, on peut exploiter une intelligence collective, explique Fuchs, qui permet d’atteindre un projet mesuré et répondant à toutes les demandes, étant donné que la majorité des personnes concernées ont pu participer au débat.

De nos jours, les individus sont à la recherche de grandes surfaces lumineuses dans des logements privés. À la Bistoquette, au contraire, il est proposé de réduire les surfaces des logements (à la limite de la loi genevoise) pour pouvoir favoriser les parties communes liées aux circulations et aux lieux partagés. Souvent, c’est dans l’entrée que les habitants vont se rencontrer. Dès lors tout le travail consiste à créer des salons communs aux immeubles dans les halls d’entrée, avec bibliothèque et sofas, voire un « bar intérieur », en dégageant à l’arrière les sorties de secours. Tous les locaux partagés donnent sur ces communs : on peut choisir de s’arrêter ou non, mais tout le monde passe quotidiennement par ou devant ces espaces.

Le confort dans les murs

Qu’est-ce que le confort? C’est la température, l’hygrométrie (entre 40 et 60%), l’effusivité et la pollution de l’air, répond Stéphane Fuchs. atba développe des façades perspirantes (calculée avec une SD entre 2 et 3) à même d’absorber et de résorber l’humidité dans l’air, puis intègre des matériaux biosourcés qui possèdent ces propriétés. Parce que cette proposition a un certain prix et que les finitions auront sans doute quelques imperfections, il est nécessaire de sensibiliser les habitants à ces questions.

Les produits utilisés sont sans formaldéhyde, COV, etc.; l’isolation est faite en copeaux d’argile récupérés chez un charpentier, puis insufflés dans des caissons (brevet Jasmin: lambda 0,043 W/mk avec un déphasage de 15hrs). Cette idée est venue d’un coopérateur qui a posé la question pendant la visite d’une usine de charpente: pourquoi ne pas employer les déchets du bois pour isoler? L’entrepreneur a ensuite découvert qu’un brevet existait depuis 15 ans en Allemagne, avec uniquement des copeaux de bois et de l’argile naturel.

Le projet de la structure est basé sur l’utilisation de bois avec un concept de perspirance. Dès lors, une ossature a été imaginée afin de ne pas utiliser de panneaux CLT/BLC pleins car ceux-ci n’autorisent pas la gestion de la vapeur d’eau. De plus, l’ossature permet de diminuer l’empreinte carbone. Enfin, les noyaux seront réalisés avec du béton armé pour une question d’équilibre financier, le concept de terre coulée ayant été intégré afin de remplacer des murs en béton armé qui séparent les appartements. Les murs autoporteurs, jusqu’à sept niveaux, seront réalisés avec la terre extraite du site. La solution, développée à l’origine par CraTerre, permet ainsi de détourner les techniques standard du gros œuvre pour diminuer les coûts de réalisation.

Les revêtements intérieurs sol, plafond et murs sont prévus en bois, en terre et quelques murs en béton brut (noyau central) pourvoient les intérieurs de surfaces chaleureuses et prodiguent un niveau de confort perçu plus élevé, au contraire des surfaces lisses, froides, auxquelles nous avons été contraints de nous habituer pour des raisons plus économiques qu’architecturales. 

Avec l’exigence Minergie-P et les 42 cm de profondeur de façade, il n’y a pas de risque de déphasage. Les bétons en terre autoporteurs sont employés pour les murs coupe-feu: la recette est élaborée avec 5% de ciment, 37.5%, terre 45.5%, HMP1 2%, eau 10%.  L’hygroscopie est importante dans le projet: la terre absorbe en effet la vapeur d’eau dans les appartements, ce qui permet de minimiser le dimensionnement de la ventilation, ce qui impacte la gestion du CO2.

Les balcons épousent plusieurs rôles simultanément (protection contre la surchauffe estivale, végétation, social) et les protections solaires sont activées mécaniquement. Ces balcons évitent les stores à lamelle de protection pour les séjours et cuisines permettant de maintenir un dégagement visuel en cas de fortes chaleurs. Les structures verticales extérieures des balcons sont réalisées à l’aide de 350 troncs de chênes récupérés lors des coupes du canton de Genève.

(Faire) accepter le confort

Après cette description technique, Stéphane Fuchs ajoute un dernier point qui lui semble particulièrement important dans le projet coopératif: les eaux traitées sont réemployées in situ pour l’arrosage et celles des toilettes via un filtre végétal (eaux grises) et un lombrifiltre (eaux brunes). Quant aux eaux jaunes (urines), elles sont transformées par la technique de recyclage Vuna, avant d’être revendues sous forme d’engrais fertilisant appelé Aurin (homologué). Après les coopératives de Cressy et Soubeyran (toutes les deux dans le canton de Genève), la Bistoquette sera le troisième projet équipé d’une telle gestion des eaux usées. Et sur le confort, l’architecte indique que l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau EAWAG a conçu un WC (commercialisé par Laufen) qui intègre un séparateur d’urine ingénieux permettant de capter l’urine sans les eaux de la chasse, mais qui demande aux hommes d’uriner assis.

atba s’inspire de méthodes traditionnelles et tâche de les transposer dans la construction hyperindustrialisée contemporaine. La Bistoquette présente ainsi de nombreuses innovations écologiques, mais qui reposent sur un travail de sensibilisation, puis une appropriation de la part des habitants. C’est pourquoi l'impact de ces décisions sur leur confort quotidien est accepté, mais également parce qu’elles apportent d’autres avantages en termes de sociabilité qui n’existent pas dans les projets standards.

Notes

1. Le HMP (Hexametaphosphate de sodium) est un adjuvant qui contribue à liquéfier la terre afin de faciliter la mise en œuvre.

La présentation des intervenants du forum Bâtir et Planifier est accessible en ligne