La Mai­son Olym­pi­que: une ar­chi­tec­tu­re bril­lan­te, pour­tant sans éclats

Dernier épisode en date d’une longue saga architecturale pour le Comité International Olympique, son nouveau siège, conçu par le bureau danois 3XN, sera inauguré en 2019 à Lausanne.

Publikationsdatum
02-05-2018
Revision
08-05-2018

En 2015, pour son 100e anniversaire, le CIO a édité et distribué des badges en métal poli représentant la façade sud – tournée vers le lac – du château de Vidy. Epinglé sur un carton jaune, on pouvait lire en dessous la mention Un centenaire de présence olympique à Lausanne, signée de la main de Thomas Bach, président du CIO depuis 2013.

Plutôt que les anneaux ou la flamme olympiques, le symbole du centenaire de l’institution est son bâtiment, à l’architecture relativement banale, qui ne l’a finalement abrité qu’à partir de 1968. Car ce n’est qu’après avoir occupé le Casino de Montbenon de 1919 à 1922, puis la villa Mon-Repos, que le CIO a enfin rejoint les berges de Vidy et son château.

En 1986, l’architecte mexicain Pedro Ramírez Vázquez, l’un des pères de l’architecture moderne mexicaine, concepteur de nombreux bâtiments iconiques dans son pays, réalise un bâtiment administratif complémentaire aux abords du château, permettant de répondre à la croissance de l’institution olympique. Composé de trois volumes principaux quasi identiques aux façades uniformes faites de verre réfléchissant et d’éléments de structure métallique apparents, c’est une architecture typique d’un siège social qui s’installe, un peu brutalement, dans la plaine de Vidy. Vázquez réalisera également le Musée Olympique inauguré en 1993, toujours au bord du lac, cette fois à Ouchy.

Suite à un concours remporté par Brauen Wälchli Architectes, un centre multifonctionnel est édifié en 2005. La construction, sur un seul niveau, se glisse entre le château et le bâtiment administratif, les reliant par un parcours nouveau et une transparence affirmée. Les trois bâtiments accolés, aux allures radicalement différentes, composent alors un paysage bâti en enfilade, protéiforme et abscons. Preuve de sa ­compréhension tant de l’institution que de l’architecture olympique, le même bureau remporte trois années plus tard le concours pour la rénovation du Musée Olympique de Vázquez, inaugurée en 2013.

Les surfaces deviennent rapidement insuffisantes en regard de l’augmentation des effectifs du CIO et l’institution est contrainte de répartir ses locaux administratifs sur différents sites lausannois. Des réflexions stratégiques menées en interne aboutissent au maintien du siège olympique sur les bords du lac, ce qui nécessite néanmoins une restructuration complète de ses bâtiments afin de rassembler – enfin – tout le personnel, soit 600 collaborateurs, sous un même toit.

Un concours international d’architecture est lancé en 2014 et douze équipes sont retenues pour y participer, parmi lesquelles on ne compte aucun Suisse mais deux Pritzker, Toyo Ito et l’OMA. Plutôt qu’un podium traditionnel, ce sont trois projets qui sont désignés lauréats ex æquo par le jury, dont les titres sont évocateurs de l’unité recherchée : Unity house de 3XN, Olympic forum de Farshid Moussavi Architecture (FMA) et One people under one roof de Xaveer De Geyter (XDGA). 3XN est finalement désigné lauréat à l’issue de mandats d’étude parallèles permettant aux trois équipes de développer leurs propositions.

Des symboles omniprésents


Concevoir le siège social d’une institution ou d’une grande entreprise impose de s’interroger sur la manière dont l’architecture peut véhiculer ses valeurs et ses ambitions. Dans le cas du CIO, le poids des symboles est immense, et les valeurs universelles : solidarité, respect, excellence, amitié, etc. Sans oublier les icônes indissociables de l’olympisme : anneaux, devise et flamme. Les participants, et le lauréat en particulier, se sont nécessairement emparés de ces mythologies olympiques.

Les anneaux se déclinent à l’infini dans le projet de FMA, devenant tant ornements de façade que tapis végétaux d’une toiture accessible au public – démonstration de l’ouverture démocratique de l’institution. XDGA propose une approche radicale et programmatique de l’unité par l’édification d’une immense structure rassemblant sous son toit le château et les nouveaux espaces de travail. Quant à 3XN, c’est par la célérité et le mouvement que le jeu symbolique de l’architecture s’opère. Comme le montrent les images séduisantes du bâtiment reflétant la lumière du matin, ce dernier exprime fluidité et dynamisme.

Ce sont, à travers les projets des trois finalistes, des mondes et approches architecturales qui s’affrontent, ornementale pour l’une, programmatique pour l’autre, et symbolique – à tendance marketing – pour la dernière. «Par reconnaissance du symbolisme des Jeux Olympiques et des besoins de l’organisation, nous avons conçu le nouveau siège du CIO autour de trois éléments clés : le mouvement, la flexibilité et la durabilité.» C’est avec ces mots que Jan Ammundsen, senior partner de 3XN, décrit le projet.1

Quand l’athlète rencontre la colombe


Les intentions du projet peuvent se résumer en quelques points. Le bureau danois déploie une architecture qui se doit de raconter sa propre histoire de façon évidente et simple – voire simpliste, par nécessité de trouver une justification à tous les choix opérés ; attitude qui semble désormais courante pour une partie de la pratique architecturale contemporaine.

Au début, comme toujours, il y a un parallélépipède. Dans ce cas, il y en a deux : un socle et un corps de bâtiment le surplombant. Ils occupent la position des deux bâtiments annexes au château, voués à être démolis. Ces derniers sont déformés au milieu de chacune de leurs faces latérales, ce que les architectes justifient par deux arguments : faire pénétrer la lumière le plus profondément possible et s’inspirer de la volupté des mouvements d’un athlète. Dès lors, tout se courbe : en plan – les parallélépipèdes se muent en papillons ; en coupe, les façades déploient des surfaces gauches ; en élévation, le rythme vertical des panneaux de verres décalés est encore perturbé par des lignes courbes qui semblent aléatoires. 3XN persiste et signe : «Avec sa façade ondulante et dynamique, le bâtiment apparaîtra différemment à chaque point de vue et diffusera l’énergie d’un athlète en mouvement.»

Les creux générés par la déformation sont aussi des réactions au programme : entrée et zone de dépose officielles au nord, accès logistique à l’est, terrasses ouvertes sur la pelouse du château à l’ouest et en direction du lac au sud. Au cœur du volume de près de 18 000 m2 se télescopent dans un espace de circulation magnifié les cinq anneaux olympiques qui, une fois basculés, forment les volées d’escalier permettant de relier les six niveaux du bâtiment, parking souterrain compris. L’escalier devient lui-même symbole d’unité entre les différents services et collaborateurs de l’administration du CIO. L’intention, bien que plus littérale, n’est pas sans rappeler la rampe circulaire du Musée Olympique de Vázquez. Sa formalisation est pourtant radicalement différente : un atrium de 26 mètres de diamètre, surplombé d’une verrière, libre de tout élément structurel, dans lequel les caissons métalliques des escaliers hélicoïdaux viennent s’agrafer aux dalles des étages.

Puisque tout se justifie, la toiture n’est pas en reste. Sa géométrie générale et la position des panneaux photovoltaïques représentent une colombe, dont il faut deviner les contours comme on le fait d’une constellation complexe. Figure rassurante, l’oiseau pacifique veille sur le toit de la Maison de l’unité olympique, tel que se nomme désormais le bâtiment.

Un contexte gênant


Cette accumulation de concepts et d’astuces, si elle cherche à véhiculer des valeurs représentatives de l’olympisme, ne s’intéresse que trop peu au contexte dans lequel elle atterrit. Certes, même si le bord du lac et la plaine de Vidy offrent un cadre privilégié à l’institution, son environnement direct n’est pas des moins ingrats : en bordure d’autoroute, face à l’entrée du camping, non loin de la station d’épuration. Restent le lac et la vue panoramique sur les montagnes, mais le projet, par l’uniformité des rapports qu’il entretient avec ce qui l’entoure, ne profite pas particulièrement de cette situation formidable.

Le château de Vidy semble avoir été oublié. Coincé derrière son nouvel ami, trop grand, qui le frôle, il devient presque un résidu sur ce qui était autrefois son domaine. Son jardin ne surplombe plus seulement un cimetière médiéval découvert lors de fouilles archéologiques récentes – qui ont également permis d’identifier au nord-est du site ce qui était certainement le port commercial de la cité romaine de Lousonna – mais un parking souterrain de 200 places.

La seule réaction intentionnelle à l’environnement tient dans le pliage du socle du bâtiment, plus vaste que les étages supérieurs, et venant toucher le sol dans les angles. Son allure végétalisée et ses terrasses aménagées simulent un soulèvement artificiel du sol, comme si le parc se prolongeait jusqu’au premier étage. Le socle déformé, d’une hauteur plus importante que les autres étages, abrite les programmes publics et collectifs du bâtiment : accueil, lobby, salles de conférences, restaurant. Ses fonctions s’ouvrent sur des dégagements extérieurs, qui restent assez détachés du parc public.

D’une architecture générique à une autre


Le bâtiment de Vázquez, désormais démoli, développait un ensemble d’espaces génériques et modulaires de travail et de réunion de petite taille, typiques d’une certaine architecture administrative de l’époque. Une architecture qui, d’une certaine façon s’autoproclamait de façon positive et fonctionnelle, générique et reproductible. Certes clinquante, mais finalement presque discrète.

La nouvelle Maison Olympique développe quant à elle de vastes plateaux de surfaces de travail où open spaces côtoient salles de réunion disséminées, créant ainsi des espaces fluides, finalement devenus très conventionnels aujourd’hui. L’intérieur du bâtiment «est conçu avec le minimum de contraintes structurelles possibles. Cet environnement ouvert et flexible est pensé pour s’adapter aux multiples façons de travailler, aujourd’hui et à l’avenir.» Pour permettre cette ambition, les dalles de grandes portées en partie précontraintes reposent sur une façade porteuse et une dizaine de poteaux en acier, agrémentés de quatre noyaux circulaires en béton abritant les espaces servants des étages – circulations, techniques, sanitaires. De nouveau, on retrouve, en plan cette fois-ci, les cinq anneaux olympiques, si l’on compte le grand espace circulaire de l’escalier central.

L’architecture générique de Vázquez n’a pas seulement été remplacée par celle de 3XN, elle a été engloutie par elle. En effet, la quasi-totalité du béton des bâtiments démolis a été réutilisée dans le nouveau, en particulier dans le radier et les murs du sous-sol. Cette démarche fait partie d’un projet global de déconstruction et de recyclage, élaboré notamment en partenariat avec l’EPFL, qui a pris la forme d’un atelier visant à identifier les pistes de réutilisation de matériaux et éléments de construction des bâtiments existants2. Par exemple, l’arche de marbre, à l’entrée du bâtiment de Vázquez, trônera en bordure du site, lieu idéal des visiteurs pour contempler la nouvelle Maison Olympique.

L’épreuve du temps


La question de la durabilité de la future Maison Olympique se pose nécessairement. Lausanne restera sans doute capitale de l’olympisme, et donc siège du CIO, pour encore quelques décennies. L’investissement total que représente ce projet est colossal, environ 200 millions de francs. L’histoire récente du CIO démontre néanmoins que ses besoins évoluent rapidement, nécessitant des adaptations de ses infrastructures. Consciemment spectaculaire, le projet de 3XN revendique quant à lui son autonomie. Et même s’il prône une flexibilité intérieure qui s’adaptera à des besoins futurs, on voit mal comment il pourrait accepter toute éventuelle extension ou adaptation sérieuse. Ses gesticulations en font un objet unique et indépendant, au risque de se retrouver demain esseulé, dépassé, voire obsolète.

  • C’est le mouvement d’un athlète qui a inspiré la forme du bâtiment.
  • Ah, c’est ça… Et tu savais que les panneaux solaires dessinaient une colombe sur le toit ?
  • Non, je ne savais pas. Par contre, il y a cinq escaliers circulaires, comme les anneaux.

On entendra très certainement dans les années à venir ce genre de bavardages à la cafétéria du CIO, ou dans un dîner mondain lausannois. Car l’architecture de la Maison Olympique est conçue autant pour être construite que communiquée. A l’instar d’un Pecha Kucha, ce mode de présentation orale courte qui impose d’aller à l’essentiel par un enchaînement d’idées, le bâtiment se résume en quelques points concis facilement appropriables, mais néanmoins consommables et périssables. Une collection de symboles et de bonnes idées mises bout à bout ne garantissent pas à une architecture sa résistance à l’épreuve du temps.

Une architecture qui brille certes aujourd’hui, mais dont les éclats risquent de s’estomper demain.

Oscar Gential est architecte urbaniste. Il vit et travaille à Lausanne.

 

 

Notes

3xn.com/project/ioc-headquarters

2 L’atelier Youth for Reuse s’est tenu au CIO au mois de février 2016 ; il a été organisé par Archizoom et le laboratoire EAST-EPFL, en collaboration avec les bureaux spécialisés ROTOR (Bruxelles) et AFF Architects (Berlin) avec 23 étudiants en architecture.

 

 

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