Âge et emballage: la peur de vieillir
Dans la rénovation se concentrent les enjeux contemporains de l'architecture: climat, énergie, économie, … Mais rénover touche à l'image de la ville, au patrimoine: c'est toujours un acte culturel. Les reportages de dossier thématique nous invitent à changer de perspective, à ne pas simplement courir après le temps mais à l’intégrer comme donnée fondamentale du projet de rénovation.
La construction s’est emballée, au propre comme au figuré. Avec le nouveau mot d’ordre «transformer plus, démolir moins», la rénovation énergétique est le champ de bataille contemporain où se concentrent toutes les forces et tous les enjeux : climat, patrimoine, conception, mais aussi énergie, politique, économie… Quand l’urgence d’assainir les passoires énergétiques devient synonyme d’urgence environnementale, que tente-t-on réellement de sauver?
Même s’il est question d’énergie, rénover touche à l’image de la ville; c’est une acte culturel. Ce dossier vous emmène à La Chaux-de-Fonds pour constater les désastres de certaines méthodes pragmatiques d’isolation extérieure et les outils pour les éviter. Pouvons-nous imaginer une architecture qui ne craindrait plus de vieillir, une architecture que l’on ne siliconerait plus à coup de polystyrène et d’éléments de décor en toc? L’âge est une problématique profonde, sociétale, esthétique. Entre usure et emballage, de nombreuses variations se dessinent aujourd’hui, à l’image de la proposition d’intervenir moins sur le patrimoine, en admettant une réduction des normes sur les bâtiments classés et dont nous avons déjà parlé dans nos colonnes1.
Lorsqu’on intervient, où faut-il investir ses forces? Ariane Wilson nous livre une étude passionnante sur le débat complexe de l’emballage des Tours Nuages à Nanterre. Pour l’historienne et architecte, il y a nécessité de mettre en perspective le bilan carbone global des opérations, qui est le plus souvent éclipsé par le credo normatif de la performance énergétique à court terme.
Ce dossier pose peut-être plus de questions qu’il n’offre de réponses, mais il est surtout une invitation à changer de perspective, à ne pas simplement courir après le temps mais à l’intégrer comme donnée fondamentale dans le projet de rénovation. Dans ses recherches, Tiphaine Abenia réinfuse le thème au cœur même de la pensée du détail constructif. En réintégrant la temporalité et les multiples déploiements qu’elle implique – la patine, l’érosion, la maintenance, la déconstruction –, Abenia prône une architecture dont l’âge n’est plus une fatalité, mais une qualité.
Dans l’essai l’Éloge de l’ombre, qui traîne sur la table de chevet de bon nombre d’architectes, Jun’ichiro Tanizaki faisait l’apologie de l’usure et de ses valeurs esthétiques. Serait-il temps de le relire pour inspirer notre imaginaire?
Note
1. Stefanie Schwab et Jean-Luc Rime ont développé pour le Canton de Vaud les fiches TypoRENO-VD qui présentent des guides de restauration énergétique pour les bâtiments recensés en note 2 et 3 : pour eux, intervenir de la manière la plus adéquate, c’est aussi parfois accepter d’intervenir moins, par exemple en n’atteignant que 80 % des économies d’énergie recherchées. Lire «Feuille de route pour la rénovation énergétique du patrimoine bâti», TRACÉS 12/2022