Quand les sur­faces im­per­méa­bi­li­sées offrent des sols fer­tiles

Au cours des six dernières décennies, le réseau des routes nationales suisses a dépassé les 1800 km de longueur pour occuper une surface quasi équivalente à 10000 terrains de football –propice au bouillonnement d’idées sur leur utilisation optimale et mixte.

Date de publication
25-01-2022

Les routes nationales existantes comptent parmi les infrastructures majeures de notre pays. Indispensables à son approvisionnement, elles occupent toutefois une part non négligeable du paysage helvétique. Les idées et projets nouveaux sont d’autant plus appréciés qu’ils portent sur l’utilisation efficace et multiple de ces surfaces imperméabilisées.

Réaffectation de la bande d’arrêt d’urgence (R-BAU)

L’Office fédéral des routes (OFROU) a, lui aussi, été sensible à cet aspect. Il entend utiliser les projets de R-BAU pour réduire la surcharge de trafic sur les routes nationales qui frappe les agglomérations urbaines aux heures de pointe. L’avantage de cette mesure tient à ce qu’elle exige nettement moins de terrain qu’un élargissement de la route.

Le principe est le suivant : en cas de forte densité du trafic, des signaux électroniques réduisent la vitesse maximale autorisée sur le tronçon concerné, pendant que des mesures de signalisation et de sécurité supplémentaires ouvrent la bande d’arrêt d’urgence à la circulation. Suite au projet pilote sur l’A1, le long du lac Léman (tronçon Morges – Ecublens), la R-BAU a été mise en place sur deux autres tronçons de l’A1 : Villars-Ste-Croix – Cossonay et Winterthour-Ohringen – Oberwinterthur.

Ces prochaines années, il est prévu d’examiner en détail les effets sur le trafic et la faisabilité technique de procéder à la R-BAU sur plus de 250 km de tronçons additionnels. L’OFROU relève qu’à ce jour, la R-BAU a eu un impact résolument positif sur la fluidité du trafic, le taux d’accidents, les émissions sonores et la pollution atmosphérique.

Des routes nationales productrices d’électricité

Outre les mesures de lutte contre les embouteillages, les routes nationales offrent également un potentiel de production d’électricité. Depuis assez longtemps, l’Austrian Institute of Technology effectue des recherches subventionnées par l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse afin de déterminer si et comment des toits à panneaux solaires surplombant les autoroutes permettraient de générer de l’électricité sans développer les surfaces imperméabilisées.

En soi, l’idée n’est pas nouvelle : en 1989 déjà, la première installation photovoltaïque au monde a été aménagée le long d’une paroi antibruit sur l’autoroute A13, à la hauteur de Domat/Ems (GR). Sous la houlette de l’Autriche, le nouveau projet de recherche étudie maintenant la possibilité d’installer des panneaux solaires au-dessus des autoroutes.

En parallèle, la Suisse prévoit depuis déjà longtemps un tronçon test à la hauteur de Fully, en Valais. Il s’étend sur 1,6 km et, une fois équipé de plus de 30 000 panneaux solaires, il pourrait produire jusqu’à 19 GWh d’électricité par an, soit la consommation de quelque 5000 ménages.

En sa qualité de propriétaire, l’OFROU a déjà approuvé le principe de ce projet chiffré à 50 millions de francs, mais les fonds privés requis pour son financement n’ont pas encore été réunis. L’idée n’en a pas moins suscité l’intérêt du district de Knonau où une étude préliminaire porte aussi sur une couverture autoroutière le long de l’A4.

Quand la mobilité douce rencontre le trafic rapide

La multiplication des vélos électriques a récemment engendré des approches en faveur d’une utilisation élargie le long de la route nationale. Les autorités de planification examinent dans quelle mesure les autoroutes cyclables permettraient des trajets ininterrompus dans l’agglomération sur des distances assez importantes.

Avec le concours de l’OFROU ainsi que des cantons de Bâle-Campagne et de Zoug, les planificateurs des transports de la société ewp ont étudié à la fois le potentiel de ces autoroutes cyclables et les obstacles qui s’opposeraient à leur réalisation.

Dans le canton de Bâle-Campagne, un projet concret d’autoroute à vélos avait déjà vu le jour. La mise en service du premier tronçon suspendu entre Augst et Pratteln devait coïncider avec l’ouverture de l’édition 2022 de la fête fédérale de lutte et des jeux alpestres à Pratteln. Toutefois, le projet a brusquement été mis en suspens, non pour des motifs techniques, mais en raison d’accusations de magouillage liées à la politique du parti.

Le système de l’autoroute à vélos suspendue modulaire n’en reste pas moins séduisant. Sa construction utilise du bois local et ses balustrades sont équipées de modules photovoltaïques, si bien que son tracé parallèle à la route nationale pourrait bénéficier triplement à la durabilité  : polyvalence, construction durable et promotion du trafic cycliste.

Regrouper les infrastructures pour préserver le paysage

Le Conseil fédéral soutient, lui aussi, l’utilisation multifonctionnelle des infrastructures de transport afin de minimiser les atteintes au paysage. À l’avenir, il entend utiliser les synergies de la planification –majoritairement sectorielle– des réseaux à haute tension, routiers et ferroviaires, en faisant évaluer en amont dans la planification si des lignes à haute tension peuvent être posées parallèlement à la construction ou à l’aménagement d’infrastructures de transport.

Il a donc chargé le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication d’élaborer tous les ans un document avec une vue d’ensemble de toutes les constructions et rénovations planifiées pour les trois réseaux précités, et d’analyser les regroupements possibles.

Ces dernières années, les échanges entre les exploitants des infrastructures concernées ont déjà donné naissance à deux projets de regroupement dont l’un concerne le second tube du Gothard (utilisation de la galerie technique pour des lignes à haute tension) et l’autre le contournement de Genève (pose en terre des lignes aériennes à très haute tension et d’un nouveau réseau hydrothermique).

Un bilan malgré tout décevant

Le tableau n’est guère réjouissant : de toutes les approches ingénieuses, c’est avant tout la généralisation de la R-BAU aux fins de densification qui semble s’établir. La volonté de regrouper les infrastructures est, elle aussi, vouée à se concrétiser toujours davantage dans les projets qui le permettent. En revanche, après plus de 30 ans de développement, les installations solaires ne semblent pas jouer un rôle fondamental le long des infrastructures de transport.

On se demande si leurs recettes compensent les dépenses liées à leur réalisation, à leur entretien et au transport de l’énergie. Les pistes cyclables, quant à elles, sont tout simplement là pour sauver les apparences, vu les surfaces considérables accaparées par les autres moyens de transport.

Ces dernières années, d’autres études ont encore été consacrée à l’utilisation mixte des routes nationales. L’une d’elles, mandatée par l’Office fédéral du logement, a examiné le potentiel à des fins d’habitation que présenterait ce type d’utilisation. Elle conclut qu’à titre ponctuel, la couverture d’autoroutes à des fins d’habitation peut s’avérer utile mais qu’à l’échelle nationale, le potentiel en termes de logements apparaît relativement modeste. L’utilisation mixte ne saurait donc résoudre les problèmes du marché du logement.

En définitive, dès qu’il s’agit de densification, on renvoie immanquablement la balle aux centres urbains. Or c’est précisément là que les questions de densification des infrastructures de transport ne rencontrent guère d’écho. Depuis des années, les villes mettent l’accent sur la gestion et la régulation du trafic individuel motorisé, et non sa densification. Faute de volonté politique, les solutions prônant une densification verticale (tunnel du Rosengarten à Zurich ou tunnels de contournement) ont lamentablement échoué en Suisse ces dernières années. Il nous faut absolument d’autres idées pour densifier tous les types d’aires de circulation.

Une autoroute à vélos sous la gare centrale de Zurich

 

En juin 2021, les habitants de Zurich se sont prononcés sur l’aménagement en tunnel cycliste d’un tunnel autoroutier construit pour le trafic de transit dans les années 90 mais jamais mis en service. Ils ont adopté le crédit de cet objet (CHF 27,7 millions) à une majorité de 74 % ; les coûts du crédit d’ensemble atteignent tout juste CHF 44 millions, la différence avec celui soumis au vote étant couverte par un crédit-cadre alloué aux mesures liées au vélo.

 

Les coûts sont considérables pour un tunnel dont le gros œuvre est déjà achevé et dont le canton, en sa qualité de propriétaire, pourrait exiger une nouvelle déconstruction s’il fait valoir ses propres besoins au bout de 20 ans d’utilisation. Force est de constater que, malgré tous les plans de réaffectation et d’utilisation multiple ou transitoire, les coups de maître manquent encore ou bénéficient à titre purement temporaire aux usagers de la route qui servent les intérêts politiques du moment.