Prix Wak­ker 2021: un pas en ar­rière

Depuis bientôt 50 ans, le Prix Wakker, décerné par Patrimoine Suisse, distingue des communes «qui peuvent se prévaloir d’un développement urbanistique de qualité». Cette année, c’est Prangins (VD), 4200 habitants au bord du Léman, qui a été récompensée pour avoir su concilier croissance démographique et qualité de vie. Un choix consensuel qui semble ignorer délibérément les grands enjeux actuels de l’aménagement du territoire, que l’année qui vient de s’écouler nous a pourtant rappelés avec insistance.

Date de publication
25-01-2021

Sur les bords du Léman, Prangins accueille depuis le 18e siècle les villégiatures des grands de ce monde, qui lui ont donné quelques beaux ensembles patrimoniaux, comme le château et ses jardins, aujourd’hui Musée national suisse. Située entre Genève et Lausanne, la commune est depuis les années 1970 soumise à une forte pression démographique et urbaine, comme en témoigne le développement des zones villas autour du centre historique. Dans le cadre des planifications cantonales actuelles, elle accueillera plus de 1300 nouveaux habitants à l’horizon 2030-2040 (soit une augmentation de plus de 30% de sa population). Pour se doter d’une vision globale à long terme, la commune a élaboré à partir de 2006 son plan directeur communal (PDCom) qui lui  a permis «de mener une réflexion sur l’ensemble de son territoire et de détecter les points stratégiques les plus importants»1, comme le centre-bourg.

Centre renforcé

«Au lieu de devenir une cité-dortoir ou un quartier résidentiel de Nyon, la commune a su créer une identité de village très forte», souligne Myriam Perret, cheffe de projet du Prix Wakker chez Patrimoine Suisse. Prangins peut en effet se prévaloir d’un centre patrimonial de grande qualité, recensé à l’Inventaire fédéral des sites construits (ISOS), mais dont l’attractivité reste fragile en raison de la concurrence du centre de Nyon et des zones commerciales. La commune a donc mobilisé son foncier pour maintenir des activités et une vie de village, et proposer des logements à loyers abordables: rénovation de la maison de commune et de l’auberge communale, création de la place de la Broderie (L’atelier du paysage, Jean-Yves Le Baron, 2016) à l’emplacement d’un bâtiment démoli, rénovation de trois bâtiments historiques pour créer 16 appartements par la coopérative d’habitation Les Plantaz (Bakker & Blanc architectes, 2008).

Développement vers l’intérieur

Dans un environnement dominé par des zones villas et avec la volonté de préserver les terres agricoles, où et sous quelle forme accueillir de nouveaux logements? Le Prix Wakker salue le revirement opéré par la commune en 2018, après l’entrée en vigueur de la révision de la LAT, lorsqu’elle a renoncé à un projet intercommunal de développement2 qui prévoyait la construction de nouveaux quartiers sur des surfaces d’assolement, en faveur d’un développement vers l’intérieur. Quatre zones à bâtir sont actuellement en cours de développement au sein du périmètre déjà urbanisé3.

«Dès 2008, nous avons conçu les infrastructures pour accompagner la croissance démographique», souligne Dominique-Ella Christin, municipale chargée de l’urbanisme et de l’environnement. Trois classes sont ainsi encore libres dans l’école UAPE des Morettes, inaugurée en 2014 (concours ouvert, Pierre-Alain Dupraz architecte, 2015). Le réseau d’eaux usées a lui aussi été dimensionné pour accueillir les populations à venir.

Quid d’une possible évolution de la zone villas? Pour Dominique-Ella Christin, «la zone villas doit être considérée dans son ensemble, comme une “villa parc”, dotée d’un riche patrimoine végétal et de nombreux cheminements piétons. Elle constitue un apport considérable à la qualité de vie dans la commune, qui tient à la valoriser et à la préserver».

Consensus mou

Le prix attribué cette année laisse perplexe : est-ce bien sur des territoires privilégiés comme celui de la riche commune de Prangins, qui ont les moyens de leurs ambitions, que se jouent les vrais enjeux territoriaux actuels? Ce choix s’inscrit dans une certaine vision – désuète, exclusive, mais fort consensuelle – d’un patrimoine qui semble parfois s’arrêter avant le 20e siècle. Certains jurys des éditions précédentes avaient été plus ambitieux, en attribuant le prix à des démarches plus stratégiques qui ouvraient des débats (Delémont, 2006; Yverdon, 2009; l’Ouest lausannois, 2011 ou Langenthal, 2019), que celui attribué à Prangins aurait plutôt tendance à clore.

Notes

 

1. Entretien avec Bruno Marchand, Bruno Marchand, avec son bureau DeLaMa, a été missionné par la commune de Prangins dès 2006 pour élaborer ce PDCom et continue de l’accompagner aujourd’hui.

 

2. Le Concept RDU, concept de développement urbain le long d’une nouvelle route de distribution urbaine entre Nyon et Prangins, élaboré en 2005.

 

3. Ces futurs quartiers nécessitent des plans d’affections qui ont reçu l’accord préliminaire ou l’accord préalable du Canton selon leur état d’avancement.

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