L’économie circulaire, bras de levier de la transition écologique de l’agglomération franco-valdo-genevoise
Dans le Grand Genève, l'économie circulaire devient progressivement réalité grâce à plusieurs dispositifs (lois, Charte Grand Genève en transition...) qui confirment l'engagement de l'agglomération dans la voie du zéro carbone d’ici 2050.
Le Canton de Genève a lancé ses premières réflexions sur l’écologie industrielle, un concept très proche de l’économie circulaire, il y a une vingtaine d’années. Genève est d’ailleurs le premier canton suisse à avoir introduit l’écologie industrielle de manière explicite dans son cadre légal1 et ses politiques publiques. Plus récemment, en 2021, sa loi sur les constructions et installations diverses a été modifiée pour y promouvoir la construction bas carbone, le réemploi, le recyclage et les matériaux biosourcés. En 2022, la nouvelle loi sur les déchets a été adoptée par le Grand Conseil genevois ancrant ainsi trois grands principes: réduire les déchets à la source, mieux les trier et les éliminer localement. Enfin, en 2023, l’État de Genève et les sept autres membres du Grand Genève ont signé la Charte Grand Genève en transition2, s’accordant ainsi sur des enjeux de transition écologique pour l’agglomération transfrontalière et notamment sur l’objectif de réduction par cinq de l’empreinte matière3 sur ce territoire d’ici 2050.
Le métabolisme d’un système et celui d’un territoire répondent à la même logique qui suppose de connaître et comprendre les flux. À la manière d’un organisme qui assimile des ressources, les convertit en énergie et rejette des sous-produits, l’activité d’un territoire capte des matières premières, les transforme et/ou les consomme, puis émet des rejets (déchets et émissions dans l’air, l’eau et les sols…). Dans un cas comme dans l’autre, l’efficience du métabolisme et donc la résilience du système ou du territoire reposent alors sur l’optimisation des flux pour minimiser les pertes et améliorer l’usage des ressources.
Une première étude4 du métabolisme genevois a été publiée en 2002. Elle propose une vue d’ensemble des flux et stocks de matière et d’énergie utilisés par les activités économiques genevoises. Cet aperçu synthétique a permis de mettre en évidence les flux les plus importants : les matériaux de construction, les agents énergétiques, l’eau et les produits alimentaires. Ce travail a également permis de déclencher des premières actions, dont le programme ECOMATGE qui promeut le recyclage et la réutilisation des matériaux d’excavation et des matériaux minéraux issus des déconstructions5. La plateforme Genie.ch6 découle également de la démarche initiée en 2002. Une seconde étude7, publiée en 2015, dégage les résultats et les perspectives suite aux travaux menés depuis la première recherche de 2002.
Une nouvelle échelle pour amplifier l’économie circulaire
En observant à la fois la distribution des ressources et l’intensité des flux, qu’ils soient naturels (eau, air, biodiversité…) ou anthropiques (population, énergie, matières, déchets…), le canton de Genève (282 km2) apparaît au cœur d’un bassin de vie bien plus vaste et transfrontalier, le Grand Genève (2000 km2).
C’est donc à cette échelle qu’un travail a été engagé en 2021 pour l’accélération de l’économie circulaire du bassin de vie franco-valdo-genevois8, en admettant que la matérialité des flux prévaut sur le découpage administratif lorsqu’il s’agit d’appréhender le métabolisme du territoire.
Cette dernière étude du métabolisme du Grand Genève a été couplée à une étude économétrique. En premier lieu, le territoire s’est doté d’une compréhension de ses vulnérabilités économiques (contribution des filières à la dynamique économique du territoire, évasion de la demande locale et dépendance aux importations) et environnementales (empreinte climatique et empreinte matière de ces filières). Parmi les enseignements majeurs de cette phase, on retiendra que 40 % de la demande du Grand Genève s’évade du territoire, et que l’impact de la consommation par les ménages et les entreprises s’avère treize fois supérieur à celui de sa production. Agir sur les filières les plus dépendantes aux importations représente aussi un réservoir d’emplois substantiel de l’ordre de 100 000 emplois. Convertir 10 % des importations en échanges locaux permettrait de générer plus de 10 000 emplois directs et 5 milliards CHF de production au sein de l’économie régionale, et ce, sans compter sur l’effet multiplicateur estimé à 161/100 pour le Grand Genève. Ce ratio signifie que 100 CHF de production directe génèrent par ailleurs 61 CHF de production supplémentaire dans le reste de l’économie du Grand Genève.
Ensuite, l’étude a permis de prioriser les secteurs à forts enjeux économiques (les plus dépendants des importations et pouvant satisfaire une large partie de la demande locale) et environnementaux (les plus contributeurs à l’empreinte environnementale générée par la consommation du territoire). Les filières disposant de la plus forte capacité d’agir, de part des dynamiques locales circulaires déjà en œuvre et soutenues par des priorités politiques, ont pu être mises en lumière. Au total, six filières stratégiques ont été identifiées, parmi lesquelles trois sont considérées comme des leviers clés pour soutenir l’accélération d’une économie circulaire et durable du Grand Genève: les industries des machines et équipements, le secteur du bâtiment et des travaux d’urbanisme, ainsi que les filières de l’agro-alimentaire. Enfin, une dynamique collective a été initiée en invitant à la fois les acteurs privés et publics à coconstruire des recommandations à l’attention des pouvoirs publics.
De l’analyse des flux aux orientations politiques
L’étude de 2021 a livré des enseignements nouveaux dont les élus français, vaudois et genevois du Grand Genève se sont pleinement saisis à la faveur notamment d’un séminaire politique consacré à l’économie circulaire. Pour faciliter les échanges, les responsables politiques se sont projetés dans le futur (2035) en imaginant que les objectifs de circularité auraient été atteints à cette date et en s’intéressant aux conditions cadres qui les auraient rendus possibles. La performance atteinte en 2035 se déclinait alors autour des principes suivants:
- les valeurs ont changé: le consommateur est plus enclin à acheter des produits locaux, consomme moins, mais mieux; le local, le durable, le réparable et le recyclable deviennent gages de qualité et marques de valeur;
- la population et les entreprises sont accompagnées et les moyens sont facilités pour leur permettre de trouver des solutions adaptées et concrètes;
- le secteur public assume son rôle de leader pour impulser, accompagner, coordonner et mettre en valeur;
- les métiers liés à l’économie circulaire, mais aussi le bénévolat, l’artisanat et les savoir-faire locaux sont valorisés;
- le territoire est conçu comme un ensemble de «mines urbaines»9 qui contribuent à ce qu’il soit moins dépendant des importations;
- un travail important a été réalisé pour franchir les obstacles et trouver les opportunités dans le transfrontalier afin d’arriver à une vision commune;
- les acteurs publics et privés sont mobilisés et mis en réseaux.
Plutôt inhabituel, ce format de travail a constitué un temps d’acculturation majeur pour mieux comprendre la complexité des enjeux et identifier les opportunités transfrontalières. Concrètement, les élus ont ensuite décidé d’un objectif politique chiffré: réduire l’empreinte matérielle d’un facteur cinq, en diminuant la quantité de ressources minérales et biologiques consommées de 20 t/hab/an à 4 t/hab/an à l’horizon 2050. C’est le deuxième des dix objectifs de la Charte Grand Genève en transition.
Pour répondre à cet objectif, les élus ont également exprimé des consignes claires pour alimenter une vision territoriale transfrontalière10 et construire le plan d’actions franco-valdo-genevois: Pact’Matière.
Quel passage à l’action ?
Un groupe technique franco-suisse est chargé d’élaborer ce plan d’actions, avec pour règle de ne pas composer un recueil des initiatives et des programmes propres à chacun des membres du Grand Genève, mais de repérer les leviers et les optimisations favorisant les collaborations transfrontalières, en veillant au respect des prérogatives de chacun. Exercice toujours délicat…
Pact’Matière propose ainsi 34 actions. Identifiées en collaboration avec les acteurs publics et privés, elles s’articulent autour de cinq domaines stratégiques, dont un transversal contenant des mesures communes d’accompagnement au changement. Les quatre restant étant: construction; biens de consommation (notamment les textiles et équipements électriques et électroniques); agriculture et alimentation; industries. Neuf mesures ont été retenues comme prioritaires au lancement de la mise en œuvre de Pact’Matière et se déclinent en trois catégories:
- observer, suivre et évaluer les pratiques d’économie circulaire;
- accompagner au changement l’ensemble des acteurs de la vie économique du bassin transfrontalier;
- faciliter les activités de l’économie circulaire, par exemple par l’innovation ou des soutiens financiers.
En développant des réseaux locaux d’échanges et les interactions entre les acteurs d’un même territoire, l’économie circulaire est un formidable vecteur pour relocaliser les flux, développer une société plus résiliente et répondre aux enjeux de maîtrise de la chaîne de valeur et des circuits courts. Si la circularité présente de belles opportunités, elle demande de relever un certain nombre de défis: par exemple la mise en place d’un leadership partagé au sein des acteurs publics, la mesure de l’impact des actions ou encore l’accompagnement au changement.
Comme tout processus de transformation, le passage du modèle linéaire au circulaire semble générer plus de questions que de certitudes, peut-être même – d’un certain point de vue – plus de risques que d’opportunités. C’est pourtant tout l’inverse, car au registre des certitudes, il en est une – majeure – que l’on connaît: au rythme actuel de la consommation des ressources, l’avenir de l’économie linéaire est compté. À ne rien changer ou à agir trop lentement, le plus grand risque réside alors dans l’altération de notre qualité de vie, sauf à faire preuve de volonté et de dextérité en repérant dans la sobriété l’étendue des possibles prometteurs et les nouvelles formes d’innovation sociale.
Article paru dans "Économie circulaire et aménagement du territoire", Les cahiers d'EspaceSuisse, n° 1|2025
Notes
1. Notamment art. 12 de la loi cantonale Agenda 21, entrée en vigueur en 2001, art. 161 de la Constitution cantonale de 2012
2. Charte Grand Genève en transition, version adoptée par l’Assemblée du Groupement local de coopération transfrontalière (GLCT) Grand Genève le 23 juin 2022. Téléchargeable sur grand-geneve.org
3. L’empreinte matière correspond à l’ensemble des matières premières mobilisées pour satisfaire la consommation finale, y compris les flux indirects (matières premières utilisées lors de la production à l’étranger, lors du transport, etc.).
4. Écologie industrielle, premiers résultats et perspectives, publié sous la direction du Service cantonal de gestion des déchets (État de Genève), consultable sur ge.ch
5. ge.ch>dossiers>reduisons-nos-dechets>reduire-nos-dechets-source>construire-avec-materiaux-recycles
6. genie.ch
9. L’expression «mine urbaine» fait le parallèle avec celle de «mine naturelle» et se réfère aux matières ou objets sur un territoire, dont les détenteurs n’ont plus l’usage et qui constituent un gisement de ressources.