En­tre­tien avec Jo­na­than Ser­gi­son

Exposition Practice of Architecture au F’AR, Lausanne

À l’occasion de l’exposition Practice of Architecture présentée au F’AR, Lausanne, TRACÉS s’est entretenu avec Jonathan Sergison sur sa pratique, sa conception de la durabilité, de l’architecture des façades.

Date de publication
23-09-2021

Après 25 ans de métier, l’architecte londonien établi en Suisse depuis neuf ans pose un regard aussi admiratif que critique sur la Suisse, où il veut participer à construire une culture urbaine.

Tracés: «Une esquisse n’est pas précise, mais son idée est précise», avez-vous déclaré lors du vernissage de l'exposition présentée au F'AR Lausanne. Celle-ci présente une série de projets de l’agence Sergison Bates Architects, au travers de maquettes, de croquis, des plans et des échantillons – autrement dit, des artefacts qui évoquent une certaine conception presque artisanale du métier. S'agit-il d'un plaidoyer en faveur d’une pratique traditionnelle, d'un appel à résister à la numérisation?

Jonathan Sergison: non, l’exposition est d’abord une manière candide et honnête de partager la manière dont nous pratiquons l’architecture. La plupart des travaux exposés sont produits de manière digitale et ces dessins parlent plus de qualité architecturale en général que de la manière dont ils seront traduits dans une forme de production. Quand Stephen Bates et moi étions professeurs invités à l’EPFZ, nous avons monté une exposition appelée Brickwork qui parlait de notre intérêt pour les formes résultant de la construction en briques.

Les esquisses que j’apprécie le plus sont celles qui sont produites quand on est rassemblé autour d’une table et que l’on tâche de communiquer une idée, un détail, une manière d’organiser un projet.

Je ne peux pas dessiner sur un ordinateur, même si le travail effectué à l’agence de Zurich est en grande partie digital. Pourtant, nous portons toujours une grande valeur aux maquettes et estimons que le croquis est très important. Mais lors d’une conversation avec Oliver Lütjens, celui-ci nous disait au contraire : « je ne fais pas confiance à l’esquisse ». Je peux comprendre ce point de vue, mais ce n’est pas aussi simple. Je trouve toujours très productif de faire des croquis. Nous tâchons de partager cela dans l’exposition. Les esquisses que j’apprécie le plus sont celles qui sont produites quand on est rassemblé autour d’une table et que l’on tâche de communiquer une idée, un détail, une manière d’organiser un projet. Cela arrive également pendant l’enseignement et je ne comprends pas les enseignants qui s’efforcent d’expliquer les idées par les mots : souvent, un dessin est bien plus efficace. Mais j’apprécie surtout cette spontanéité, cette manière directe de produire : un bon dessin peut remplacer des heures de travail sur ordinateur. Un dessin informatique est bien plus précis, bien sûr, mais parfois on n’a pas besoin d’avoir un tel niveau de précision.

C’est surtout la question de l’échelle qui importe. Ce concept « stratégie et détail » organise la manière dont nous faisons du projet. Lorsque nous avons commencé à exercer, nous avions une méthode de travail très claire. Stephen Bates dessinait généralement des détails au 1:5, voire au 1:1;  Mark Tuff, notre partenaire, produisait des dessins d’arrangement en coupe, plan et élévation sur l’ordinateur. Pour ma part, je dessinais au 1:20, une échelle intermédiaire entre stratégie et détail. Cette manière de travailler est fondamentale dans notre approche de l’architecture. Nous croyons encore qu’un concept nécessite d’être testé et, en conséquence, d’être ajusté. Nous aimons donc cette façon de travailler en dialogue et c'est ainsi que les projets sont produits dans nos différents studios jusqu'à ce jour.

Je trouve ceci très intéressant parce qu’il me semble que dans cette partie du pays, en Suisse romande, les édifices ne présentent pas toujours des réflexions à toutes les échelles. Souvent un projet raconte quelque chose au 1:200, puis au 1:10 – soit dans la volumétrie générale, puis dans le détail. Mais entre les deux, il ne se passe pas forcément grand-chose.

Le dessin soulève également une autre question: la tolérance. Vous comprenez combien il faut être précis ou au contraire détendu, selon les situations

Nous ne comprenons pas l’architecture dans un sens linéaire. S’engager rapidement dans le détail est nécessaire pour maîtriser l’ensemble du projet. Les échelles intermédiaires entre le 1:1 et le 1:100 sont absolument déterminantes pour obtenir une vraie cohérence. Quand vous dessinez sur l’ordinateur, vos dessins peuvent atteindre une précision incroyable. Mais en dessinant à la main, vous comprenez l’échelle, celle-ci devient plus tangible. Le dessin soulève également une autre question: la tolérance. Vous comprenez combien il faut être précis ou au contraire détendu, selon les situations. Prenez une rue typique de Londres : au premier coup d’œil, elle ressemble à une répétition de bâtiments identiques. Mais ce sont justement leurs différences qui nous intéressent, et cela se perçoit par la tolérance, une notion qui nous fascine depuis bien longtemps.

Si vous dessinez un mur de brique, l’épaisseur du joint ou le fait que chaque brique est différente aboutit implicitement à une forme de construction imprécise. En revanche, en construisant en béton, en particulier avec des éléments préfabriqués, il y aura une tendance à dessiner de manière plus précise. Comme nous avons travaillé dans des cultures constructives différentes (en Belgique, dans le Royaume-Uni, en Suisse, en Autriche, en Espagne, en France, etc.), le point d’entrée du projet est toujours une question: «qu’est-ce qui est possible d’atteindre avec telle industrie du bâtiment?» Ne pas se poser cette question mène à la déception, voire à l’échec.

Nous venons de publier un numéro de TRACÉS dédié à la question du temps, «matière première de l’architecture», dans un contexte d’accélération constante de la production. Après ces 25 années de pratique, diriez-vous que le temps mis à disposition pour mener un projet est une condition centrale de sa réussite, et donc que les architectes ont tout intérêt à se réapproprier cette question?

Le management du temps est une discipline nécessaire de l’architecture. Parfois, être mis sous pression apporte une certaine qualité, car il faut prendre une décision rapidement. Je ne trouve pas cela forcément négatif. Certains facteurs du projet sont hors de notre contrôle, en raison d’un délai, d’une mise en attente pour toutes sortes de raisons. Mais quand vous devez soudainement reprendre un projet, vous oubliez certaines choses, qui n’étaient peut-être pas si importantes, et cela mène à une forme d’édition qui révèle la force du projet : quelque chose de plus claire et de plus précis apparaît. Je ne crois pas avoir jamais expérimenté une forme de projet linéaire et continue. Après toutes ces années, je dois bien conclure que la relation entre le temps et la production est imprécise. La manière dont nous organisons le travail pour être efficace et dont nous affectons des tâches à différents employés, tout cela est indispensable pour survivre en tant qu’entreprise, comme dans n’importe quel autre domaine. On peut essayer de tout contrôler, mais parfois tout conspire contre nous ! C’est incroyable le temps que prennent certains projets pour aboutir. Il y a un projet que nous travaillons depuis plusieurs années : à Zurich, nous avons remporté un concours en 2017 et je pensais à un moment donné que le projet serait stoppé, jusqu’à ce qu’il soit vendu à un autre client. Soudain, une nouvelle énergie est arrivée – et nous n’avons aucun contrôle là-dessus. Il y a tellement de versions de cette histoire.

Votre architecture était réputée être très "suisse" en Angleterre dans les années 1990. Maintenant que vous construisez en Suisse, comment votre pratique britannique se rapporte-t-elle aux petites villes suisses, où la densité perçue avec beaucoup de craintes?

Dans les années 1990, quand les premiers projets d’architectes alémaniques comme Herzog de Meuron étaient exposés à Londres, c’était très stimulant. Je suis parti en voyage à Bâle avec David Adjaye et Jonathan Woolf. Les projets de Diener & Diener m’ont fait forte impression; c’était une contribution très importante sur l’urbanité à Bâle, très précise, une approche urbaine très forte. La tâche d’ajouter quelque chose à la ville semblait relativement claire. Mais quand nous parlons de notre relation à l’architecture suisse, c’est évidemment une relation mouvante. Quand j’étais étudiant, ce sont les projets des architectes tessinois qui étaient les plus connus. Avec le temps, nous avons découvert les travaux d’architectes genevois des années 1960, puis ceux de collègues des Grisons et, peu à peu, nous avons réalisé combien la scène zurichoise contemporaine était intéressante, etc. Je dirais que nous avions énormément de respect pour les travaux de bon nombre d’architectes suisses.

Parfois j’ai besoin de rappeler aux architectes suisses que l’éducation et le système de compétition, contrairement à de nombreux pays d’Europe, sont des structures absolument exceptionnelles

Dans les premières années de notre agence, nous avons été invités à mener exercice de planification test à Winterthur puis appelés comme jeunes professeurs invités à l’EPFZ, à l’EPFL, enfin à Mendrisio, où j’enseigne depuis 13 ans. Parfois j’ai besoin de rappeler aux architectes suisses que l’éducation et le système de compétition, contrairement à de nombreux pays d’Europe, sont des structures absolument exceptionnelles. C’est également vrai pour d’autres programmes culturels: les revues et journaux, les événements, les forums d’architecture et le musée suisse d’architecture de Bâle. La culture architecturale s’enrichit considérablement de ces investissements qui promeuvent l’échange du travail et une ouverture à la discussion. Il faut également dire que le patronage est bien structuré. Même si certains de mes collègues estiment que les choses deviennent plus difficiles dans l’industrie du bâtiment, en comparaison de tous les autres pays européens, c’est toujours un endroit exceptionnel pour construire.

Mais peut-être les architectes suisses ont-ils raisons de se plaindre, par crainte que le modèle actuel ne s’oriente vers ce qui se passe dans le reste de l’Europe?

Il faut surtout résister. Dans votre question, vous évoquez également la dimension des villes suisses. Quand j’ai réalisé après ces années l’originalité incroyable du pays et la chance d’avoir été invité dans des concours, j’ai eu le sentiment que notre studio zurichois était plus considéré comme zurichois que suisse : nous ne sommes pas invités à prendre part à des concours à Bâle. C’est une rivalité curieuse entre ces deux villes, que je ne parviens pas à comprendre. Au sud du pays, où pourtant j’enseigne, je me sens encore un peu comme un outsider. Je sens une grande affinité avec l’Ouest mais c’est une culture constructive, ou architecturale, bien différente de la Suisse alémanique. Michael, notre associé, prétend que les choses deviennent plus incertaines à mesure que nous nous éloignons du centre de Zurich. Tout cela me mène à penser que c’est une certaine ouverture envers un bureau de Londres qui motive les invitations aux concours, donc une certaine ouverture vis-à-vis de notre background. Quand nous travaillons dans une ville de petite ou moyenne dimension, nous pouvons offrir une lecture du lieu qui ne sera pas conditionné par une certaine familiarité.

L’exposition montrée au F’AR a ses origines à Kriens, où nous avons participé à un concours il y a plusieurs années de cela. Selon le commissaire de l’exposition, nous aurions particulièrement compris l’esprit du lieu avec notre contribution.

Le projet de Kriens est un petit morceau d’urbanité relativement dense. C’est peut-être parce que vous promouvez ce type d’espaces, comme on le voit dans l’exposition, que vous étiez invité à concourir: une culture urbaine assumée dont il existe peu de référence bâtie en Suisse, à l’exception de quelques quartiers de Genève ou Zurich.

Je coirs que c’est vrai. L’échelle de Londres est pratiquement inégalée en Europe ; c’est à la fois excitant et chaotique. Cela n’a pas les mêmes structures de développement des villes suisses. Je conduis actuellement une étude sur la ville de Zurich. La croissance actuelle des villes suisses doit être planifiée, absorbée à l’intérieur des limites territoriales de la ville. Si Zurich est la plus grande ville de Suisse, sa densité est deux fois moins importante que celle de Bâle et peut-être le tiers ou le quart de celle de Genève. Il faut considérer Genève comme la direction que devra prendre Zurich. Si l'on considère la nécessité d'absorber une population de 100 000 habitants, en termes de densité, Zurich sera plus proche de la densité actuelle de Bâle. Dans notre approche, nous estimons que cette augmentation de la population doit être considérée en prenant en compte toutes les qualités de la ville : continuer à investir dans le domaine public, donner priorité à l’espace public. La Ville doit prendre des décisions difficiles en termes de démolition et densification. Construire est également chercher un engagement à préserver, non seulement des bâtiments, mais également des ensembles qui ont une qualité inhérente. Mais nous savons aussi qu’une ville ne résout pas ses problèmes en construisant simplement plus d’appartements : le médical, l’éducation, l’emploi, etc. tout cela nécessite une société, tous les besoins doivent être planifiés dans une sorte de matrice d’évaluation fédérative.

Je trouve que le réseau cyclable doit être amélioré radicalement. Je ne crois pas que conduire une grosse voiture en ville soit un choix innocent

Ce qui me préoccupe le plus sont les questions de mobilité: Zurich, comme la plupart des villes suisses, a un système de transport exceptionnel, mais l’impact de la voiture est lamentable. Des embouteillages se forment facilement. Je sais qu’une partie de l’éventail politique estime que la propriété de la voiture est un choix et une liberté qui doit être admise, mais je ne suis pas certain d’être d’accord avec cette idée. Je trouve que le réseau cyclable doit être amélioré radicalement. Je ne crois pas que conduire une grosse voiture en ville soit un choix innocent. Je trouve que Londres a fait une chose remarquable en introduisant le péage urbain. Le niveau d’embouteillage grandissait de manière exponentielle. Ce sont des questions que nous devrions nous poser pour l’avenir des villes. J’observe également le nombre de parking souterrains dans les opérations contemporaines et je suis profondément critique à ce sujet. C’est une forme de construction qui un impact très significatif sur l’environnement, car c’est forcément réalisé en béton. Construire des parkings qui resteront vide est absolument immoral et là, la ville devrait se distancier des normes actuelles ou les réviser.

Vous avez mentionné ce projet de recherche de quatre ans à l'Institut d'études urbaines et paysagères (ISUP) de l'Academia di Mendrisio. Cette recherche est à la fois analytique et basée sur des projets. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

À Mendrisio, nous avons fait travailler nos étudiants pendant six semestres consécutifs sur six parties différentes de Zurich, et la somme de ces travaux est une vision du développement de la ville pour les 20 prochaines années. Comme une forme de planification propositionnelle. Vers la fin de cycle, j’ai contacté Tom Avermaete, qui vient de prendre la chaire d’histoire et théorie de l’urbanisme à l’EPFZ, et proposé d’entamer une collaboration dans laquelle j’apporterai mon intérêt de projeteur pour l’avenir de la ville et lui une recherche sur les règlements de construction qui ont façonné Zurich. Tom Avermaete s’intéresse aux questions de typologie et de morphologie, la manière dont les règlements ont influencé les formes; de mon côté je demande comment il faudrait réviser ces règles et aller de l’avant. Mon assistant a produit une image de ce à quoi Zurich pourrait ressembler dans l’avenir. Ce n’est pas une ville uniquement hérissée de tours; selon nous, l’augmentation de la population peut être absorbée sans sacrifier la qualité de vie.

Concrètement, comment comptez-vous concilier recherche et design?

Il y a deux doctorants qui vont commencer le 1er octobre: une personne travaillera de mon côté sur des propositions de plan et une autre avec Tom Avermaete sur les questions liées aux règlements et leur histoire. Ensuite, nous cherchons un ou une postdoc qui sera chargé d’organiser différentes formes de consultation avec le public, favoriser un engagement critique avec, d’une part, les promoteurs et les agences qui travaillent la ville et, de l’autre, la société civile, les associations et coopératives.

Cela soulève la question de la participation de différentes parties à la conception de la ville. Un débat est en train d’émerger sur la possibilité d’évaluer la qualité de la «Culture du bâti». L’OFC propose un instrument avec huit critères pour procéder à une telle évaluation, en avez-vous entendu parler?

Non, mais je dois dire que je suis un peu sceptique sur la possibilité d’évaluer les choses par des moyens pseudo-scientifiques. À la fin, il y a toujours une forme de manipulation. On le sait avec l’expérience des concours: la formule d’évaluation n’est utilisée qu’a posteriori pour légitimer le projet que le jury veut privilégier. Souvent, ce qui fait une urbanité forte et attractive va au-delà de critères stricts.

Dans l’appréciation des façades, par exemple. En Suisse romande, nous n’avons pas la tradition semperienne, Venturi est mal considéré; les architectes me semblent suivre de manière parfois dogmatique l’idée moderniste que la façade devrait être l’expression d’une structure et non être une construction en soi.

Je suis d’accord avec vous: dans l’Ouest les architectes sont fascinés par le projet de la Modernité – un projet ininterrompu jusqu’à aujourd’hui. Cela explique cette fascination pour des techniques de construction qui atteignent un certain degré d’abstraction. Beaucoup de projets que nous avons livré abordent l’expression ou la forme de la construction brique. La plupart de nos travaux est en Belgique, où on rencontre une culture forte de la brique. Venant de Londres, je dis toujours que si on n’aime pas la brique, ce doit être bien triste d’y vivre. En Suisse romande, c’est l’industrie du béton et du béton préfabriqué en particulier qui prévaut encore. Pour l’immeuble de la rue du Cendrier à Genève, le bâtiment n'a pas beaucoup de répétition, ce qui met au défi la logique de l’élément en béton préfabriqué… Il y a tellement d’exceptions. Mais nous avons insisté parce qu’ils apportent un caractère cohérent à l’ensemble qui nous semblait plus important que d’accepter la répétition. Je trouve parfois qu’en Suisse allemande il n’y a pas une telle emphase sur la façade. Certes il y a eu dans les dernières années un intérêt marqué pour les façades milanaises de l’après-guerre et des architectes comme Lütjens Padmanabhan qui citent volontiers les travaux de Venturi. Mais dans les concours c’est l’attention donnée sur les plans qui prédomine, parce qu’on peut parler objectivement des qualités d’un plan; sur une façade, il est beaucoup plus difficile d’avoir une discussion objective. À la fin, c’est hautement subjectif. Pourtant, selon moi il y a une nécessité de discuter des façades lors des concours, parce qu’elle contribue à constituer les situations urbaines, elle va avoir un impact sur l’espace public. La question de l’apparence est importante. Nous devons parler de proportions, du choix des matériaux, de la relation entre construction et apparence, des choses qui commencent au début d’un projet. Lors des six semestres à Mendrisio, nous avons demandé aux étudiants de faire un relevé des bâtiments – ce qu’on peut voir dans l’exposition. Quand vous effectuez ce travail de redessin, vous réalisez la complexité des façades bien conçues.

Que pensez-vous par exemple de l’usage de la brique dans le nouveau Musée des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA)?

Je dois dire que je suis un peu déçu. Je l’ai découvert la première fois lors d’un après-midi pluvieux et trouvé les joints de dilatation effroyables. C'est une utilisation brute d'un matériau noble. Je connais les architectes et les respecte, mais dans ce cas j’ai eu le sentiment qu’il y avait une profonde incompréhension de ce qu’un bâtiment en brique peut être – cela ressemble plus à un diagramme qu’une exploration de la construction brique. Ce que nous explorons dans notre travail est le pouvoir que la brique peut amener. Vous avez mentionné Semper : la brique parle de tissage, de texture. Nous avons beaucoup appris avec les immeubles anciens de Londres : quand il est bien construit, avec le soin apporté aux détails, ça devient meilleur avec l’âge.

Aujourd'hui, compte tenu des changements climatiques qui affectent les villes du monde entier, les architectes se concentrent sur les questions environnementales : énergie, ressources, durabilité, etc. On a même proposé un moratoire sur les constructions nouvelles. De votre côté, dans votre pratique et votre enseignement, vous mettez en avant un lien avec la ville européenne. Comment ce thème vous permet-il d'articuler des réponses à ces questions contemporaines?

Je ne crois pas que ces thèmes devraient s’exclure mutuellement. Trouver la solution la plus appropriée, responsable, durable et investir dans la ville européenne peut être combiné. Le programme de densification de la ville européenne est une idée durable, dans ma compréhension du problème. Nous devons faire attention à rendre les villes plus vertes pour éviter les surchauffes estivales, donc c’est une tâche difficile de combiner densification et végétalisation dans la même proportion. La période d'après-guerre a été marquée par un programme de construction massif et rapide, et la plupart des bâtiments de cette période sont épouvantables en termes de performance. Mais dire simplement qu’on doit arrêter de construire est une idée naïve. Il vaut mieux se demander sérieusement comment réemployer. Je regarde l’industrie du bâtiment français avec le même scepticisme quand soudain elle déclare : « maintenant, nous allons tout construire en bois ». Y a-t-il assez de bois dans le monde ? Et d’où vient-il ? Le choix de la technique de construction doit être locale. Notre intérêt pour la durabilité date de nos débuts. Par exemple dans les maisons doubles de Stevenage [en 1998].

L’initiative pour le moratoire peut paraître radicale, mais en réalité il y a déjà de nombreuses formes de moratoires en vigueur : dans le Canton de Genève, dont les terrains constructibles sont pratiquement épuisés, ou sur des sites exceptionnels comme Lavaux. Le moratoire est donc un instrument que l’on peut appliquer dans certains lieux, pour un temps donné. Dans cette condition, la tâche de l’architecte évolue vers l’accompagnement de l’existant plutôt que la création. Pouvez-vous considérer votre activité dans ce cadre?

Oui, c’est ce que je dis à mes étudiants : ils seront plus préoccupés par le réemploi que par de nouveaux bâtiments. Nous l’avons pratiqué depuis les débuts et dans chaque projet nous nous demandons si un bâtiment peut être conservé à la place d’être remplacé. Stephen a écrit récemment sur la « ruine intelligente » avec ses étudiants de Munich : nous devons créer des nouveaux bâtiments capables de s’adapter à l’évolution à venir, grâce à la précision des choix effectués au niveau de la structure.

The Practice of Architecture

 

Sergison Bates Architects

 

Forum d’Architectures, Lausanne

 

08.09.2021 – 03.10.2021

 

Informations complémentaires sur le site du f'ar

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