«Beau­coup sous-es­ti­ment la me­nace cli­ma­tique»

Pourquoi certaines personnes ont-elles tant de mal à prendre au sérieux la menace du changement climatique? Où en est la Suisse après le rejet de la loi sur le CO2? David N. Bresch, professeur en risques météorologiques et climatiques à l’EPFZ/MétéoSuisse, nous apporte son éclairage.

Date de publication
13-10-2021
Verena Felber
Rédactrice au sein de l’équipe Communication de la SIA

Tempêtes, inondations: les pluies abondantes seront-elles indissociables des étés suisses ou, au contraire, les précipitations se feront-elles plus rares voire inexistantes?
David Bresch: comme nous l’avons montré dans les scénarios climatiques CH2018, la tendance est aux étés chauds, aux longues périodes de sécheresse et aux épisodes tempétueux extrêmes. Lorsqu’un système aussi complexe que le climat se dérègle, cela se traduit par une évolution annuelle toujours plus importante puis par une certaine stabilisation – si toutefois l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 est atteint. Un hiver très enneigé ou un été anormalement frais sont aussi des témoins de ce dérèglement.

Pourquoi est-ce important de limiter la hausse mondiale des températures à 1,5 °C?
Nous ne savons pas exactement à quelle température les récifs coralliens disparaîtront, ni quand le Gulf Stream s’effondrera, ni à quel moment le dégel du permafrost s’amorcera, libérant des quantités considérables de méthane – véritable accélérateur du réchauffement climatique. Une chose est sûre: jouer avec les limites de ces sous-systèmes, c’est jouer avec le feu et on ne peut en aucun cas se le permettre. Un réchauffement mondial de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle semble tolérable et l’Accord de Paris vise à le contenir bien en-dessous des 2 °C. Quant à la Suisse, elle subit davantage l’augmentation des températures que la moyenne mondiale. En effet, un réchauffement de 2 °C au niveau mondial se traduit par un réchauffement de 4 °C au niveau national.

1,5 °C, c'est donc déjà presque trop pour la Suisse...
Pour protéger la Terre, il aurait fallu essayer d’inverser la tendance bien plus tôt. Si nous parvenons à la neutralité climatique d’ici 2050, la probabilité actuelle d’atteindre l’objectif fixé par l’Accord de Paris est d’environ 60%. Dans le cadre de la crise sanitaire, jamais nous n’aurions osé prendre de tels risques. Paradoxalement, lorsqu’il en va de la survie et de l’avenir de l’humanité dans des conditions climatiques acceptables, on semble prêt à tenter le diable.

Pour quelles raisons?
Bien que les effets du dérèglement climatique se fassent déjà sentir, les changements radicaux semblent encore lointains et peu tangibles en termes de temps. Lorsque la pandémie a frappé la Chine, nous n’avons pas pris la menace au sérieux. Il a fallu qu’elle arrive près de chez nous, à Bergame, pour nous ouvrir les yeux. Il en va de même pour le changement climatique: beaucoup sous-estiment la menace qu’il représente.

Les catastrophes naturelles survenues récemment en Europe ne sont-elles pas assez révélatrices?
Ces événements pourraient – et j’insiste bien sur le conditionnel – bousculer les façons de penser. L’homme peine à tirer des leçons de ce qui se produit autour de lui. On entend encore souvent: «c’est arrivé ailleurs, pas chez nous». En niant la réalité du changement climatique, on ne fait que repousser le problème et ce, parce que l’affronter peut s’avérer difficile. Pour faire écho à Karl Schmid, philologue suisse, on pourrait dire que nous nous réfugions dans le confort de notre petit pays, alors que la menace plane et qu’une inquiétude sourde devrait nous envahir.

Qu’en est-il de cet état d’esprit après le rejet de la loi sur le CO2?
C’était une mauvaise décision qui a été prise dans un souci de facilité et qui repose sur des considérations financières mesquines. Ce qui est dramatique dans tout ça, c’est le rejet de la loi dans les campagnes où les effets du changement climatique se feront probablement davantage sentir que dans les villes. Certes, les zones urbaines souffriront de la chaleur, mais l’agriculture, elle, hypothèque son avenir. Nous sommes en train de perdre un temps précieux pour l’adaptation de notre système agricole au changement climatique. La classe moyenne et les PME sont également perdantes. La loi sur le CO2  leur aurait facilité la tâche pour proposer des offres à la fois durables et lucratives, notamment en matière d’exportation.

Comment convaincre les indécis?
Ce n’est pas la raison qui est à l’origine de l’action. Prenons l’exemple du secteur automobile et du passage à l’électrique. Cette transition est motivée par son attractivité et son confort : pas d’odeurs, pas de bruit et une recharge rapide et peu onéreuse. Morale de l’histoire : il faut proposer des offres qui rendent le changement simple et attractif. Au lieu d’imposer la taxe sur le CO2 uniquement sur les combustibles, il conviendrait de la prélever aussi sur les carburants. Cette taxe d’incitation serait reversée sous forme de dividende climatique à la population et profiterait particulièrement à ceux dont les émissions de CO2 sont moindres.

Une idée qui aurait du mal à s’imposer politiquement.
Les opposants doivent voir cela comme une opportunité. Nous pourrions par exemple développer des systèmes de transports durables et vendre nos idées à l’étranger. N’oublions pas que plus de 70% de notre prospérité repose sur l’exportation.

La Suisse s’est engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Est-ce encore faisable?
La Suisse est une nation de volonté. Et les technologies sont là. Elles ne nous sauveront pas, mais elles nous permettront de contribuer largement à la réalisation de notre objectif. Par ailleurs, nous devons modifier nos comportements : favoriser le télétravail, renoncer partiellement à prendre l’avion et à consommer de la viande, par exemple. Ici aussi, une taxe sur le CO2 prélevée de manière généralisée inciterait la population à revoir ses habitudes.

Les notions de «protection du climat» et d’«adaptation au changement climatique» sont souvent mises en parallèle. Laquelle a la priorité?
La protection du climat. Sans ça, nous n’atteindrons jamais l’objectif zéro émission nette d’ici 2050 et la limite du possible en termes d’adaptations sera franchie. La dynamique intrinsèque de la machine climatique sera alors hors de contrôle. Le système a déjà muté et c'est pour cette raison que nous devons nous adapter. Nous pouvons déjà agir à notre échelle, en rendant nos bâtiments plus résistants, par exemple. À court terme, c'est une bonne chose. Ne pas investir radicalement dans la protection du climat ne fait qu’aggraver le problème.

Le changement climatique représente-t-il une opportunité ou une menace pour le secteur de la construction?
L’environnement bâti est le cadre dans lequel nous évoluons et que beaucoup contribuent à façonner. Concevoir induit une responsabilité à assumer et c’est une chance inouïe pour les professionnels du secteur et les investisseurs. Pourquoi? Parce qu’ils ne connaîtront le succès à moyen et long terme que s’ils anticipent les changements – climatiques, en l’occurrence. Lorsque le label Minergie a été lancé, certains ont cru à une plaisanterie des écologistes de gauche. Aujourd’hui, plus personne ne construit selon les standards en vigueur avant l’apparition de ce label.

La SIA encourage la construction de bâtiments et d’infrastructures neutres pour le climat. Comment pouvons-nous y parvenir?
Penser à long terme, c’est ambitionner de développer, entretenir et exploiter des bâtiments qui ont une valeur élevée sur la durée. De tels bâtiments sont compatibles avec la sauvegarde du climat, c’est-à-dire qu’ils remplissent les conditions nécessaires à sa protection et qu’ils sont résistants aux éventuelles répercussions du changement climatique. La demande de telles habitations et d’un cadre de vie façonné dans cette optique continuera d’augmenter. Les membres SIA aident les maîtres de l’ouvrage à satisfaire cette demande en poursuivant les objectifs fixés par la Société pour la création d’un parc immobilier et infrastructurel contribuant à la lutte contre le changement climatique.

Mois du climat SIA

À la SIA, le mois de novembre 2021 sera placé sous le signe du climat. Des mesures relatives à la protection de ce dernier seront discutées lors de plusieurs journées thématiques et cycles de formation. Informations complémentaires et inscription: events.sia.ch/themenmonat-klima/themenmonat-klima (page disponible en allemand uniquement)

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